Modification de la fonction publique : « La France tend à se ranger sur le modèle britannique »
La modification incitée par l’état tend moins à « responsabiliser » les cadres qu’à leur exiger une récente forme de contrôle bureaucratique, et à rendre les attributions plus discrétionnaires, analyse le sociologue Gilles Jeannot.
Le projet de loi de « modification de la fonction publique » exposé mercredi 13 février au conseil commun de la fonction publique met en avant, dans son exposé des motifs, la « responsabilisation des managers publics », des « leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe » ou de prendre des « décisions au plus proche du terrain » ; en d’autres termes, l’autonomie de ces cadres. Mais de quelle autonomie s’agit-il ?
L’enquête européenne Coordinating for Cohesion in the Public Sector of the Future (Cocops) faite auprès de 5 000 cadres dirigeants d’administrations d’Etat de 11 pays, dont 660 en France – directeurs départementaux et régionaux, préfets, directeurs d’agence, sous-directeurs et directeurs d’administration centrale –, fait ressortir deux modèles d’autonomie. Pour retirer un vieux débat sur le New public management, « let or make public managers manage », littéralement « laisser gérer » ou « faire gérer ».
L’expérience dans le privé valorisée
Le premier modèle repose sur l’idée d’une nécessaire liberté admise aux cadres pour estimer avec intelligence des opportunités locales en fonction de leur maîtrise technique et juridique des dossiers et de leur compréhension des organisations. Cela s’inscrit dans un projet de détente des rigidités bureaucratiques traditionnelles. C’est le modèle des pays nordiques. La Suède surtout une tradition d’indépendance de l’administration vis-à-vis du pouvoir politique. On observe également une forte autonomie des cadres dirigeants allemands, associée au respect de compétences juridiques. C’était aussi l’esprit de la circulaire Rocard sur l’accroissement du service public de 1989 et des « centres de responsabilité » qui avaient été alors créés.
Dans le second modèle d’autonomie, des instruments d’action sont offerts aux managers de terrain, mais ils sont assortis d’un raffermissement de la nomination discrétionnaire de ces cadres et d’une nouvelle forme de contrôle bureaucratique exercé sur eux, faite de lettres de mission, d’indicateurs de suivi, de normes procédurales. Si on donne aux responsables de services des « leviers d’action », c’est d’abord pour mieux étendre les directives du gouvernement. C’est le modèle illustré par la Grande-Bretagne, et tout notamment par ses directeurs d’agences exécutives.