Mathilde Ramadier : « Echouer, un privilège que s’arrogent les patrons de la Silicon Valley »
« Fail fast, fail often. » Echouez vite, échouez souvent. C’est l’un des mantras les plus répétés dans la Silicon Valley – si bien que son écho rebondit jusque dans nos oreilles. En France aussi, à Bercy, Toulouse ou encore Grenoble, on organise désormais des « failcon », des conférences sur l’échec, calquées sur le modèle californien. Le nom fait sourire, mais force est de constater que cela a quelque chose de réjouissant. Lors de ces conférences, on y apprend non seulement qu’on a droit à l’échec mais qu’on peut même le provoquer, à bon escient.
Bill Gates, Steve Jobs et Mark Zuckerberg, pour ne citer qu’eux, en ont eu marre de l’élite des premiers de la classe et l’ont répété maintes fois : inutile d’être bon à l’école les gars, « you’re too cool for school » (« vous êtes trop cool pour aller à l’école »), renoncez à la fac, « drop out ! » Lors de son discours prononcé le 12 juin 2005 à l’université Stanford, Steve Jobs, alors PDG d’Apple, enjoignait même les étudiants à rester « déraisonnables ». Chic, pourrait-on se dire, c’en est fini de la tyrannie de la réussite, de l’excellence à la française ! On sait qu’on peut toujours compter sur la Silicon Valley pour nous apporter un peu de disruption.
J’ai, pour ma part, un souvenir vivace de l’esprit de compétition qui régnait au lycée, avec ses filières plus prisées que d’autres et les résultats de contrôles annoncés dans l’ordre décroissant. En prépa, en école d’art, où l’on prônait pourtant le droit à l’expérimentation, certains enseignants nous accueillaient en cours avec les cinq meilleurs travaux punaisés au mur. On devait prendre exemple sur ceux qui n’échouaient pas. Les créations les moins abouties, qu’on aurait pu commenter pour permettre de progresser, n’avaient pas droit de cité. On continuait de faire le tri entre les bons élèves et ceux qui seraient « en échec ».
Quittons la cour d’école pour les open spaces. De quels échecs parle-t-on, dans la…