« Les quotas, je trouvais cela humiliant au début, mais sans eux il n’y aurait pas de femmes dans les conseils d’administration »
Dans les entreprises comme dans la fonction publique, l’accès des femmes aux postes de direction n’a jamais été un long fleuve tranquille. En 2011, la loi Copé-Zimmermann, qui impose des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance, était adoptée. Un an plus tard était votée la loi Sauvadet pour la haute fonction publique. Marie-Anne Barbat-Layani, secrétaire générale du ministère de l’économie et des finances, retrace les évolutions survenues ces dernières années, notamment à Bercy.
Dix ans après la loi Sauvadet visant à nommer davantage de femmes à des postes à responsabilité dans la fonction publique, leur situation s’est-elle améliorée ?
C’est évident. Cette loi de 2012 est extrêmement ambitieuse. Elle demande de nommer 40 % de femmes dans des emplois de direction correspondant en partie aux comités exécutifs des entreprises. Certes, le ministère des finances avait un énorme retard en la matière. L’histoire l’explique. Avant 1974, par exemple, les femmes ne pouvaient pas intégrer l’inspection générale des finances. Le ministère était un milieu d’hommes, comme tous les lieux de pouvoir ou d’argent.
Quand je suis arrivée à Bercy, en 1993, mon chef m’a prévenue : « Tu vas voir la plus belle brochette de costumes gris de ta vie ! » Dans des locaux que je fréquentais souvent à l’époque, ceux du Club de Paris [où se négocient des solutions pour les Etats endettés], le plus court chemin qui reliait les deux salles où nous travaillions traversait les toilettes des hommes… Je passais en fixant la ligne bleue des Vosges ! Collaborer avec des femmes n’était vraiment pas habituel.
Comment cela s’est-il manifesté dans votre parcours ?
Pendant mon stage de l’Ecole nationale d’administration (ENA), le préfet qui m’accueillait m’appelait « ma cocotte ». Mais je crois qu’il le faisait davantage par affection un peu paternaliste que par misogynie. Lorsque j’étais directrice adjointe au cabinet du premier ministre, entre 2010 et 2012, il m’est arrivé de l’accompagner à Londres. Alors qu’il déjeunait en tête à tête avec son homologue, les collaborateurs ont été installés dans une autre salle pour partager le repas des conseillers britanniques. Quand mon alter ego m’a trouvée assise au centre, en face de lui, il a paru totalement perdu. Il m’a demandé qui j’étais, si je m’occupais de la communication ! Il ne comprenait pas qui était cette bonne femme qui avait eu le toupet de s’installer à cette place…
Un haut fonctionnaire européen avec qui j’avais maille à partir m’a dit un jour que je ferais mieux d’être chez moi à élever mes enfants… A Bercy, un chef de service me croisant dans un couloir et constatant ma grossesse très avancée, m’a lancé dans un sourire : « Tu nous quittes ? » On a, en effet, longtemps considéré dans ce ministère que la tâche était trop lourde pour une femme, ou qu’elle devait renoncer à avoir des enfants. Les générations précédentes ont peut-être dû choisir. Pas la mienne.
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