« Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail »
Tribune. Il y a plus d’un siècle à propos du débat sur la loi portant réparation des accidents du travail, le professeur Louis Josserand (1868-1941) rappelait l’impossible neutralité du droit.
Si un système juridique est incapable après un accident d’attribuer le risque, alors la place vide du responsable sera occupée par la victime. C’est elle qui dans sa chair et jusqu’au prix de sa vie en supportera les conséquences sans pouvoir s’en décharger ne serait-ce que symboliquement sur ceux qui sont à l’origine de son malheur. Or dans les catastrophes sanitaires les acteurs sont nombreux, les causes souvent multiples, la complexité qui tient à la nature des faits permet difficilement de remonter la chaîne causale.
Il appartient au système juridique d’attribuer le risque. Or les systèmes d’indemnisation des victimes sont exagérément diversifiés, inégaux et incohérents.
Démontrer la date de la contamination
Le 21 mars, la mort du docteur Razafindranazy suscitait une vive émotion dans tout le pays. Pour la première fois un médecin urgentiste était contaminé par le virus dans l’exercice de ses fonctions. Alors qu’il était à la retraite, il était spontanément revenu à l’hôpital et il avait pris une garde de nuit à l’hôpital de Compiègne pour soulager ses collègues. Quelques jours plus tard il était testé positif au Covid-19. Il n’a même pas pu être inhumé comme il le souhaitait dans son île natale à Madagascar. Nous avons une dette à l’égard de sa famille.
Il faut d’urgence construire un système moderne de reconnaissance et d’indemnisation intégrale spécifique sous forme d’un fonds cofinancé par les entreprises et par l’Etat
De la même façon, la mort, le 26 mars, d’Aïcha Issadounène, 52 ans, caissière au supermarché Carrefour de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) depuis trente ans, laisse ses proches dans une immense détresse. Un des effets de cette pandémie aura été que nous nous mettions à regarder avec reconnaissance et considération ces travailleurs autrefois invisibles. Au travers d’une juste indemnisation de ses enfants nous dirons que nous ne les abandonnons pas sur le bord du chemin une fois la crise surmontée.
Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail dont les conséquences en l’état actuel du droit échapperont à toute forme de régulation efficace.
Accident du travail ? Mais comment démontrer la date de la contamination qui est une des clefs de la reconnaissance ?
Maladie professionnelle ? Mais la plupart n’atteindront pas le taux d’incapacité minimal de 25 % sans lequel la reconnaissance est impossible !