Le bilan critique des RH sur les 10 ans de la loi Copé-Zimmermann

Le bilan critique des RH sur les 10 ans de la loi Copé-Zimmermann

« En dix ans, le quota légal de femmes aux conseils d’administration a pourtant été atteint et même dépassé. »

« En 2011, j’étais à l’Assemblée nationale, le soir où la loi Copé-Zimmermann qui a imposé 40 % de femmes dans les conseils d’administration [CA] des entreprises a été votée, se souvient Corinne Hirsch, la cofondatrice du Laboratoire de l’égalité. Il y avait beaucoup de résistances, il n’y avait pas de femmes candidates, disait-on ; on leur faisait un procès en compétences. » Pour exprimer le chemin parcouru, Jean-François Copé, maire de Meaux (LR) et ancien ministre, invité à la conférence du Medef du 19 janvier, a cité une réaction d’un responsable patronal emblématique du machisme d’alors : « Nous allons avoir un problème de stocks et un problème de flux. »

En dix ans, le quota légal de femmes aux conseils d’administration a pourtant été atteint et même dépassé : « A 44 % pour le CAC 40 et 46 % au SBF 120, c’est vraiment une réussite, se félicite Marie-Jo Zimmermann. J’ai réussi à prouver que les femmes compétentes existaient. Elles ont réussi à prendre toute leur place au sein des CA. » Le président du Medef estime aussi que « la loi a atteint son but. Ce n’est maintenant plus qu’une question de bonnes pratiques », déclare Geoffroy Roux de Bézieux. Le gouvernement voudrait aller plus loin en renforçant la parité au niveau des cadres dirigeants. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a souhaité, le 18 janvier, le dépôt d’une proposition de loi en ce sens dans la semaine du 15 mars.

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Quel regard les responsables des ressources humaines portent-ils sur l’évolution réelle de l’égalité femmes-hommes depuis dix ans ? Quelle a été l’efficacité de la loi ? Une dizaine de DRH se sont retrouvés le 21 janvier au Monde, en partie à distance, en partie en présentiel, pour en débattre dans le cadre des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité RH organisé par Le Monde en partenariat avec LinkedIn et Manpower. Leur bilan est assez critique.

Diversement appréciée

« On note des progrès, mais je suis étonnée de voir à quel point c’est toujours difficile. Les PME ne comptent encore que 20 % de femmes dans les instances dirigeantes, les comités de direction des grandes entreprises n’en ont que 17 % ou 18 %, et du côté de l’égalité salariale, ça ne bouge pas. On trouve encore des entreprises qui n’atteignent que 40 des 100 points de l’index de l’égalité femmes-hommes, remarque Mme Hirsch. La loi n’est qu’un moyen transitoire, pas une fin. »

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Le contexte n’est pas propice à une amélioration : « L’année 2020 a été un catalyseur des inégalités, les femmes ont été victimes de la baisse du recrutement, rappelle Fabienne Arata, la DG de LinkedIn France. Sur la plate-forme, qui regroupe 84 0000 entreprises, les recruteurs consultent beaucoup plus les profils masculins, bien que les femmes aient des profils plus en phase avec les offres. »

La pratique des quotas instaurée par la loi Copé-Zimmermann est diversement appréciée : comme « un mal nécessaire pour lutter contre un phénomène sociétal », pour Alexis Berthel, le DRH de Panthera, « le sparadrap du capitaine Haddock, dont on ne sait se débarrasser », commente Christine Blanc-Michelland, la responsable diversité d’Enedis-EDF. « Sans cette loi, rien n’aurait bougé, mais les quotas desservent aussi la cause des femmes, estime Dominique Brard, de Manpower. Vous avez la cote, on cherche des femmes, donc faut en trouver, nous disent les clients. » « Les quotas sont mal perçus, même par les femmes », renchérit Odile Hermabessiere, la DRH de l’Institut Pasteur.

« Pas de recette miracle »

Les DRH présents aux Rencontres ont évidemment abordé l’essentiel engagement de la direction générale ; l’importance des politiques de sensibilisation « nécessaires mais pas suffisantes » pour lutter contre les biais inconscients ; les déséquilibres inhérents aux métiers moins bien rémunérés et occupés majoritairement par des femmes (santé et les fonctions supports) ou inversement bien payés et occupés par des hommes ; le syndrome de l’imposteur qui retient les femmes au moment de postuler à l’expatriation chez CFAO ou aux postes à responsabilités de l’Institut Pasteur.

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C’est l’efficacité des objectifs chiffrés qui a fait l’unanimité, « car ce qui n’est pas affiché n’existe pas », souligne Diane Deperrois, la DRH d’Axa France. « On a vraiment parlé d’égalité depuis la création de l’index Pénicaud qui a permis de calculer nos données. Les Direccte [Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi] ont pu mettre la pression sur les entreprises, notamment pour considérer la maternité comme une période normale de la vie », affirme M. Berthel. « L’index a été une aubaine pour mesurer, repérer ce qui ne va pas et pour qualifier nos marges de progrès. Avec un effectif aux trois quarts féminin, les équipes de direction ne comptent que 55 % de femmes, note Jérôme Friteau, le DRH de la CNAV. La féminisation des cadres dirigeants passe par une politique de mixité globale. »

« Il n’existe pas de recette miracle, il faut faire feu de tout bois », confirme Marie-Dominique Leclère, la directrice égalité professionnelle du groupe Orange, qui vise 35 % de femmes dans les postes à responsabilités à l’horizon 2025. Capitaliser sur l’ensemble des leviers est aussi la ligne de la BNP. « On a regardé tous les processus RH – identification des talents, recrutements, mobilité – et remarqué qu’on pouvait être vigilants à l’égalité femmes-hommes sur tous ces sujets », témoigne Marion Azuelos, DRH monde de BNP Paribas Asset Management. « Mais les stéréotypes sont tellement forts qu’il faut en passer par des objectifs chiffrés. Ne pas s’occuper d’égalité aujourd’hui serait comme négliger l’informatisation il y a vingt ans », conclut Mme Hirsch.

Les invités du 21 janvier

Ont participé aux Rencontres RH du 21 janvier : Fabienne Arata, directrice générale de LinkedIn France ; Marion Azuelos, DRH monde de BNP Paribas Asset Management ; Florent Balayé, directeur commercial de LinkedIn France ; Alexis Berthel, DRH de Panthera ; Christine Blanc-Michelland, responsable diversité Enedis-EDF ; Elodie Bleinc, directrice santé au travail et diversité de Carrefour; Dominique Brard, directrice générale Talent Solutions de ManpowerGroup ; Diane Deperrois, DRH d’Axa France ; Cécile Desrez, DRH, communication et RSE de CFAO ; Jérôme Friteau, DRH de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse ; Laetitia Ghassemi, DRH d’Artefact ; Odile Hermabessiere, DRH de l’Institut Pasteur ; Corinne Hirsch, cofondatrice du Laboratoire égalité ; Marie-Dominique Leclère, directrice égalité professionnelle du groupe Orange ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.

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