L’argot de bureau : l’« empowerment » ou l’autonomie retrouvée
Pouvoir contredire son chef en réunion car il y a une faute sur le PowerPoint, pouvoir quitter le bureau à 15 heures car le travail est fait, pouvoir dépasser les tâches contenues dans les « bullet points » (les points forts) de sa fiche de poste… Mais pour qui se prend Paul, le jeune du service com ? Paul est simplement dans une entreprise où chacun a pris le contrôle des événements qui le concernent, par un empowerment : littéralement, un processus d’acquisition de pouvoir par les salariés.
Le mot est arrivé tardivement dans le monde du travail. Puisant dans les luttes féministes des années 1930, la psychologie des communautés ou encore le mouvement américain des droits civiques, il s’est véritablement répandu chez les Anglo-Saxons dans les années 1970. Les manuels de management se disputent une traduction : « responsabilisation », « capacitation » ou « autonomisation ».
Tout doux ! Il n’est pas question de conférer un quelconque pouvoir hiérarchique aux salariés, mais de leur offrir un « pouvoir d’agir ». La philosophe américaine Judith Butler parle d’« agency » pour désigner cette marge de manœuvre : à ce titre, l’« agentivation », ou l’« empouvoirement » pour nos amis québécois, semble un néologisme approprié pour désigner la pratique, car il recouvre à la fois le résultat (le pouvoir) et le processus d’apprentissage pour y accéder.
Confiance et pression
La pratique favorise l’engagement et l’efficacité des salariés. Il s’agit de développer la confiance dans la capacité à être compétent, à faire preuve d’initiative : c’est une philosophie que l’on retrouve souvent dans les entreprises libérées, ou dans certains groupes comme Michelin. Désormais autonome, Léa, du service administratif, pourra décider d’arrêter de remplir à la main des documents qui finissent en avions en papier trois jours plus tard, et de tout numériser.
Pourtant, lâcher du lest vis-à-vis des salariés peut être vu comme un moyen de se dédouaner, et d’éventuellement rejeter la faute sur celui qui aurait trop osé. Regardez Stéphane, un commercial : on lui a subitement confié une base de données informatiques et le budget de la boîte, pas étonnant qu’il se soit perdu dans les chiffres… Le droit à l’erreur ne serait pas de trop pour lui !
Si c’est une preuve de confiance, l’empowerment porte en son sein une certaine pression du résultat, puisque le travailleur en est responsable. Rien ne résume mieux cela que la phrase laconique de l’oncle de Spider-Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » La carte blanche aurait donc un côté sombre.
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