L’argot de bureau : au commencement était le « brainstorming »

L’argot de bureau : au commencement était le « brainstorming »

Deux jours de travail intenses pour quatorze penseurs, une présélection des meilleures idées par un jury, et le vote de 41 000 personnes. Résultat des courses ? Des points colorés, de toutes tailles, qui dessinent un hexagone. Voilà le nouveau logo de France Travail (ex-Pôle emploi), censé « illustrer le maillage et l’ancrage territorial » d’un « service public de l’emploi rénové ».

Pour impliquer ces équipes, outre le fait que les votants étaient exclusivement des agents de France Travail, les quatorze « graphistes » étaient en réalité des volontaires, choisis parmi les équipes. Ce « processus participatif sans précédent » ressemble bien à un bon vieux « brainstorming ».

Ce terme incontournable nous vient du publicitaire américain Alex Osborn (1888-1966) et date des années 1940. A l’époque, il s’agit d’une technique de résolution collective de problèmes, qui veut rationaliser la collecte d’un maximum d’idées au sein d’une entreprise. Etymologiquement, elle prend d’assaut (storming, un terme militaire) le cerveau (brain).

Big bang créatif

Il n’est pas question d’une tempête, comme on le croit souvent : les traductions en langue française sont donc toutes des faux-sens, que l’on parle de « tempêtage cérébral », de « remue-méninges », de l’original « cervorage », ou du titre d’un chapitre des Misérables de Victor Hugo, « Une tempête sous un crâne ».

Le brainstorming fait souvent office d’acte originel du jargon d’entreprise. S’il s’agit du big bang de l’argot de bureau, il est aussi censé s’agir d’un big bang créatif, où chacun dit tout ce qui lui passe par la tête sans réfléchir, même si 95 % des idées ont déjà été dites ou mises en œuvre ailleurs. Le but est de combiner, sans les juger, les demi-réponses des uns avec celles des autres, pour voir si l’on tient une idée complète. Un animateur doit veiller à ce que la bienveillance empêche l’autocensure. Pas de soupirs ni de levers de sourcils comme dans une réunion classique, donc.

Mais l’orage a perturbé la clarté du concept. Peu à peu, le terme « brainstorming » a permis de désigner toute réunion informelle, avec l’idée qu’elle doit être ludique. Au fil du XXe siècle, de nombreux chercheurs en sciences de gestion ont mis en évidence qu’une somme d’individus réfléchissant de leur côté peut produire plus de résultats qu’un brainstorming, et que les idées prononcées devant tout le monde témoignent parfois d’une volonté d’être bien vu… Ce qui tend à multiplier les poncifs.

La version ludique a perduré, puisqu’elle offre un bénéfice collatéral en termes d’ambiance, et de sentiment d’implication des salariés. En politique, il s’agit par exemple de l’invention du concept d’« université d’été ».

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LJD

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