« Je vais reprendre le travail la tête haute, j’ai eu mes droits » : Rachel Kéké et Sylvie Kimissa, salariées du nettoyage
Elles n’en reviennent toujours pas de cette nuée de journalistes, de micros et de caméras venue les accueillir à leur sortie de l’Hôtel Ibis Batignolles, à Paris, mardi 25 mai. Le genre de cohue qu’on réserve habituellement aux vedettes ou aux ministres, mais pas aux femmes de chambre… Voilà pourtant ces invisibles dans la lumière, célébrant, poing levé, leur victoire contre le groupe Accor et son sous-traitant du nettoyage STN, au terme de vingt-deux mois de conflit.
Quelques jours plus tard, Rachel Kéké, 47 ans, nous accueille dans son appartement d’un quartier populaire de Chevilly-Larue (Val-de-Marne) avec Sylvie Kimissa, 50 ans, sa collègue. C’est ensemble qu’elles ont mené cette lutte. « On est épuisées, mais c’est pour la bonne cause ! » Le compte WhatsApp de Rachel Kéké déborde de « Bravo ! » « Tu te dis : c’est vraiment nous qui avons fait ça ? En Afrique, si tu revendiques tes droits, on te licencie ou tu te fais chicoter [embêter] par la police ! La France m’a beaucoup appris. »
Des enfants au pays, des déménagements
Les deux femmes ont choisi de nous recevoir « en tenue traditionnelle ». Rachel Kéké, aujourd’hui Française, est née en Côte d’Ivoire. Elle est arrivée en France à 26 ans, en 2000, après le coup d’Etat militaire qui a renversé Henri Konan Bédié. « On était traumatisés. Et puis, là-bas, tu attends l’Europe, tu veux découvrir un pays développé. » Coiffeuse, elle vient travailler dans le salon de son oncle qui l’héberge un temps à Paris.
Sylvie Kimissa, 50 ans, a une carte de résident de dix ans. Elle a quitté le Congo-Brazzaville, où elle était employée dans un taxiphone, en 2009. Son mari la fait venir en Italie. Mais le couple se sépare rapidement. Elle rejoint alors sa sœur à Beauvais, dans l’Oise.
« A la fin de ma première journée, j’ai failli abandonner… Et puis tu penses à l’avenir de tes enfants et tu reprends courage. » Rachel Kéké
Rachel Kéké et Sylvie Kimissa ne se connaissent pas encore, mais elles partagent le même cheminement erratique de vie. Elles ont laissé des enfants au pays, un fils pour Rachel, deux filles pour Sylvie. Leurs premières années en France sont précaires, rythmées par les déménagements chez des proches d’un bout à l’autre de l’Ile-de-France.
Elles sont nounous, caissières… « Mais, pour une maman, les horaires sont compliqués. Et tu n’as pas de quoi payer quelqu’un pour s’occuper de tes enfants », confie Rachel Kéké, qui en a eu quatre d’un deuxième mari, dont elle s’est séparée. Elle s’est remariée depuis. Sylvie Kimissa a aussi refait sa vie et s’est installée avec son compagnon et leur fils, 10 ans aujourd’hui, à Bondy (Seine-Saint-Denis).
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