Hausse historique du chômage au mois de mars
Les superlatifs manquent pour qualifier le désastre qui n’en est qu’à son commencement. En mars, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) a enregistré une poussée vertigineuse de 246 100, soit + 7,1 %, sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, excepté Mayotte), d’après les données publiées, lundi 27 avril, par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares). Il s’agit d’une augmentation historique, qui n’a pas d’équivalent depuis la création, en 1996, de ces séries statistiques. Elle provient, bien évidemment, du coup d’arrêt que l’épidémie de Covid-19 a infligé à notre économie, avec la mise en place du confinement à partir du 17 mars.
Depuis deux ans, ces indicateurs sont présentés sur une base trimestrielle et non plus mensuelle, les évolutions au mois le mois étant jugées trop volatiles donc difficiles à interpréter. Mais cette fois-ci, en plus des résultats calculés pour les trois premiers mois de l’année, la Dares a décidé de communiquer une note à propos des changements intervenus uniquement en mars. Et les enseignements qui en ressortent sont éloquents.
La brutale dégradation qui s’est produite le mois dernier concerne toutes les tranches d’âge, en particulier les moins de 25 ans (+ 7,9 %), suivis de près par les 25-49 ans (+ 7,8 %). Les publics les plus touchés sont ceux qui recherchent un métier dans la construction, les services à la personne, l’hôtellerie, le tourisme, le monde du spectacle, etc.
Autre phénomène impressionnant par son ampleur : le repli marqué (− 3,1 %) du nombre des demandeurs d’emploi en activité réduite (catégories B et C). Cette variation, qui pourrait sembler positive de prime abord est, en réalité, liée au fait que beaucoup de personnes ont cessé de travailler ou ont occupé un poste moins longtemps que prévu. Une partie d’entre elles, se retrouvant sans aucune activité, sont, du même coup, venues grossir les rangs de la catégorie A.
Expiration de contrats courts
Au total, les inscrits à Pôle emploi émargeant dans les catégories A, B et C – donc avec un contrat de travail ou sans – voient leurs effectifs s’étoffer de 177 500 en mars (soit + 3,1 %), ce qui constitue également un record. « Ces tendances sont inédites, mais il faut bien se souvenir qu’elles surviennent dans un contexte de perte d’activité causé par le confinement, qui est sans précédent depuis la seconde guerre mondiale », décrypte Bruno Ducoudré, de l’Observatoire français des conjonctures économiques.
Deux mouvements ont joué. D’abord, souligne la note de la Dares, les entrées à Pôle emploi « sont en nette hausse » pour mars (+ 5,5 %), du fait, « principalement » des fins de mission d’intérim et de l’expiration de contrats courts qui n’ont pas été renouvelés. En parallèle, le flux de personnes quittant les fichiers de Pôle emploi a énormément ralenti en mars (– 29 % comparé à février), notamment parce que les possibilités d’être embauché par une entreprise se sont raréfiées.
C’est d’ailleurs ce que montrent les données dévoilées, le 22 avril, par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui coiffe le réseau des Urssaf. Ainsi, les déclarations d’embauche de plus d’un mois ont dégringolé dans des proportions inégalées : – 22,6 % en mars. Le recul se révèle tellement violent qu’il efface les progressions constatées durant la période antérieure : sur un an, les recrutements de plus d’un mois ont baissé de 5,8 %.
La situation s’est donc très rapidement détériorée, malgré le recours massif à « l’activité partielle » – le terme officiel pour désigner le chômage partiel. Ce dispositif, qui concerne désormais près de onze millions de travailleurs (soit plus de la moitié des salariés du privé), permet aux entreprises de conserver leur main-d’œuvre, la rémunération des personnels étant prise en charge par l’Etat et par l’Unédic (l’association paritaire qui gère le régime d’assurance-chômage). Faut-il en conclure que ce filet de protection n’a pas produit les effets escomptés ? « Il a contribué à limiter les destructions d’emplois, répond Bruno Ducoudré. Sans lui, beaucoup de sociétés auraient procédé à des licenciements économiques et le chômage se serait accru encore plus fortement. Nous ne sommes pas dans la même situation que les Etats-Unis où, en l’espace d’un mois, un peu plus de 20 millions de salariés ont été congédiés. »
Ne pas aggraver les difficultés
Pour autant, l’avenir s’annonce très sombre. « La probabilité est grande que les tendances relevées dans la deuxième quinzaine de mars préfigurent ce qui va se passer en avril et en mai, pronostique Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée. Toute la question, maintenant, est de savoir si le choc est durable : plus il le sera, plus il portera atteinte au capital humain et à l’outil de production des entreprises, repoussant ainsi à plus tard le moment où notre économie rebondira. »
« Je suis inquiète pour l’emploi », confie la ministre du travail, Muriel Pénicaud, dans un entretien au Parisien, mardi. La veille, elle avait exprimé la volonté d’engager une réflexion avec les partenaires sociaux « pour adapter rapidement nos règles d’assurance-chômage ». Cette annonce a été faite alors même que l’exécutif a déjà décidé, récemment, de suspendre ou de différer l’application de plusieurs mesures prévues par sa réforme du système d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Parmi les dispositions mises sous cloche, il y a notamment la dégressivité des allocations et les nouvelles modalités de calcul de la prestation, susceptibles de pénaliser les individus qui alternent petits boulots précaires et périodes d’inactivité. Le fait de reporter l’entrée en vigueur de ces mécanismes, très critiqués par les syndicats, vise à ne pas aggraver les difficultés des plus vulnérables.
Aujourd’hui, Mme Pénicaud entend donc discuter de la prise en charge des individus privés d’emploi. « Nous aimerions avant tout que le gouvernement mette au rebut sa réforme et rétablisse la convention conclue en 2017 par les partenaires sociaux, qui était beaucoup plus favorable aux chômeurs », indique Michel Beaugas (Force ouvrière). La CFDT défend une position similaire, mais aimerait aussi aller plus loin : « Nous ne pouvons pas nous limiter à une modification des règles de l’assurance-chômage, affirme Marylise Léon, la numéro deux de la centrale cédétiste. Le débat doit être élargi aux politiques de l’emploi qu’il convient de mener, pour prévenir le risque d’un creusement des inégalités induit par la crise que nous traversons. »
En attendant d’y voir plus clair sur les intentions du pouvoir en place, un constat s’impose : il faudrait un miracle pour que se concrétise la promesse faite par Emmanuel Macron de parvenir à un taux de chômage de 7 % en 2022, alors que ce ratio se situait encore à 8,1 % au dernier trimestre 2019.
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