Face à l’idée d’une retraite sans cesse repoussée, les jeunes revoient leur rapport au travail
D’où qu’ils parlent, de l’Yonne à la région parisienne, en passant par le Maine-et-Loire ou le Cantal, les jeunes âgés de moins de 30 ans expriment un même désenchantement. « Je me suis toujours dit que je n’aurai pas de retraite », « La retraite, on nous a répété toute notre vie que notre génération pouvait s’asseoir dessus », commence ainsi la quasi-totalité de ceux qui ont répondu à l’appel à témoignages lancé par le Monde sur l’idée qu’ils se font de leur retraite. Qu’ils soient cadres supérieurs, indépendants, techniciens ou manutentionnaires, ces jeunes nés dans les années 1990 se lancent sur le marché du travail avec l’intime conviction qu’ils ne pourront bénéficier du même droit au repos que leurs aînés. Persuadés aussi, pour la plupart, qu’il leur faudra repenser leur carrière en conséquence.
Entrer ainsi sur le marché de l’emploi, avec le sentiment qu’aucune ligne d’arrivée n’existera, influe souvent sur leur façon même d’envisager le travail et la place à lui accorder. « Les incertitudes sur l’état futur de la retraite s’ajoutent à une longue liste d’incertitudes concernant l’avenir, ce qui fait qu’il est difficile de se projeter, témoigne Louison (qui souhaite rester anonyme), chargée de communication de 25 ans, à Paris. J’ai l’impression qu’avec les collègues de mon âge il est plus difficile d’envisager de s’impliquer corps et âme dans le travail, car nous n’avons aucune garantie que notre investissement trouvera une contrepartie plus tard. Ni qu’il donnera droit à un répit. »
Ces dernières semaines, la jeunesse a d’ailleurs été visible dans les cortèges organisés contre le projet de réforme des retraites – par « solidarité » pour ses aînés, mais aussi pour exprimer sa crainte du futur. « Nous ne sommes pas encore au niveau de la mobilisation des jeunes contre le CPE [contrat de première embauche, en 2005], faute d’organisations de jeunesse fortes sur le territoire, mais un mouvement se dessine dans cette tranche d’âge, constate le sociologue Vincent Tiberj, professeur à Sciences Po Bordeaux. Pour cette génération, qu’elle manifeste ou non par les voies traditionnelles, la réflexion se fait notamment autour de la notion du “droit à vivre”. Mais aussi de celui à faire des erreurs ou à changer de voie, ce que découragera le nouveau système de cotisation. »
Sentiment d’urgence
Partagée par les jeunes interrogés, l’inquiétude de voir le report de l’âge de départ à la retraite prévue par la réforme ouvrir la voie à d’autres ajournements vient boucher leur horizon. Surtout quand l’usure se fait déjà sentir, comme pour ceux qui occupent des métiers pénibles. Entrés tôt sur le marché de l’emploi, ces jeunes seront parmi les plus affectés par un allongement du temps de cotisation.
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