« Est-ce le rôle de la loi que de transformer la “tricoche” en retraite chapeau ? »
Tribune. La proposition de loi « sécurité globale » offre une nouvelle occasion de saisir l’importance d’une facilitation sans véritable limite de la relation ambiguë qu’entretiennent les sociétés privées et certains agents, qui exercent souvent de hautes responsabilités de la fonction publique.
Depuis environ trois décennies, la mission régalienne essentielle qu’exerce la force publique constitue un marché en expansion constante dans lequel les fonctionnaires de la police et les militaires de la gendarmerie trouvent des opportunités lucratives de compléter une retraite que des régimes spéciaux permettent de prendre dans la fleur de l’âge.
On ne compte plus les anciens hauts fonctionnaires de la police ou hauts gradés de la gendarmerie qui exercent la fonction de directeur de la sécurité dans des entreprises, parfois prestataires de services pour le ministère de l’intérieur, ou qui créent des officines de conseil en sécurité pour vendre à leur profit les compétences que le service de l’Etat leur a permis d’acquérir.
Jalousie
La proposition de loi autorise à craindre un accroissement de l’attractivité de la sécurité privée pour ces personnes titulaires de l’autorité publique, au risque de la confusion des genres que les actuels dispositifs en matière de transparence et de conflits d’intérêts ne permettent manifestement pas de circonscrire efficacement.
Aux termes de l’article 15 de ce texte, il est créé un régime dérogatoire de cumul emploi-retraite et prévu que, par dérogation aux dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite, « les revenus perçus à l’occasion de l’exercice d’une activité [de sécurité privée] peuvent être entièrement cumulés avec la pension s’agissant des retraités des catégories actives de la police nationale ». En clair, les policiers prenant leur retraite pourront cumuler leur pension et leur nouveau salaire s’ils vont pantoufler dans le domaine de la sécurité privée.
Officiellement, il ne s’agit que d’offrir aux fonctionnaires de police le même privilège que celui dont jouissent déjà les militaires de la gendarmerie. Après l’usage des armes, la loi doit donc permettre à nouveau d’apaiser la jalousie d’une des composantes du ministère de l’Intérieur envers l’autre.
Qu’importe que le Conseil constitutionnel consacre la sujétion particulière du seul état militaire comme un motif d’exception juridique et que la carrière des gendarmes s’effectue dans des conditions bien différentes de celles des policiers ; qu’importe aussi que le secteur de l’action publique qui fut longtemps présenté comme le plus vertueux, avec des fonctionnaires qui ne pantouflaient pas, soit désormais concerné au premier chef.
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