En Allemagne, un million de réfugiés ukrainiens accueillis en un an
Svitlana Kryzhaniwska touche encore son téléphone portable. Elle l’ouvre et le referme, sans vraiment regarder l’écran, comme pour s’assurer qu’elle est toujours proche de ceux restés là-bas, en Ukraine. « Le jour où ma ville, Ivano-Frankivsk [dans l’ouest du pays], a été bombardée, le 24 février 2022, ma vie a basculé. J’ai eu une peur terrible. Je n’aurais jamais imaginé que cela puisse arriver. » Elle parle de ses fils, âgés de 27 et de 32 ans, de leurs familles, restés à Kiev. « Ils m’ont dit : “Toi, tu parles allemand, tu devrais partir en Allemagne.” Alors j’ai pris le bus. Il y avait surtout des femmes et des enfants, et beaucoup de chats, de chiens. J’ai rejoint Varsovie, et puis l’Allemagne. »
Comme beaucoup de réfugiés arrivés en Allemagne à la suite du conflit, Svitlana s’est d’abord installée chez des amis qui ont accepté de l’héberger, près de Hanovre, en Basse-Saxe. Depuis quelques mois, elle a son propre appartement et un emploi. Elle travaille pour Temps, une entreprise familiale de taille moyenne spécialisée dans la peinture de bâtiments, à Neustadt am Rübenberge, à 30 kilomètres de Hanovre. Elle donne des rudiments d’allemand à 23 réfugiés afin qu’ils puissent, s’ils le souhaitent, démarrer ensuite un apprentissage en alternance dans l’entreprise. Treize autres jeunes apprennent l’allemand chez Temps dans un autre cours.
« Quand, chez Temps, ils m’ont demandé si je voulais le faire, je leur ai dit que je n’avais pas l’âme d’une prof, s’exclame-t-elle en riant. J’ai une formation d’ingénieure. A Ivano-Frankivsk, j’ai dirigé un bureau de représentation d’une entreprise belge d’alimentation pour animaux. Mais je n’aime pas rester les bras croisés, et personne d’autre ne parlait allemand parmi les Ukrainiens ici, alors j’ai dit oui. »
Son cours n’a pas seulement un but pédagogique. Il permet aussi aux réfugiés de se retrouver et d’échanger, et ainsi de faciliter leur intégration, un souhait explicite de l’entreprise. « Nous avons organisé la fête traditionnelle du 14 octobre [la Journée des défenseurs de l’Ukraine] ici, dans les locaux de Temps ! Avec nos plats, nos chansons, et même une pièce de théâtre. C’était formidable de faire comme à la maison, raconte Svitlana. Rester ici à long terme ? Je ne sais pas. Nos corps sont ici, mais nos esprits sont encore là-bas… »
Titre de séjour immédiat
Quelque 1,1 million d’Ukrainiens sont arrivés en Allemagne en 2022 – 140 000 sont repartis –, soit davantage que le nombre de Syriens, Irakiens ou Afghans accueillis entre 2014 et 2016. Pourtant, cette fois-ci, pas d’images de l’administration débordée, pas de reportages sur les centres d’hébergement d’urgence organisés dans des gymnases, pas de grandes manifestations hostiles aux arrivants ou de disputes au sein des partis conservateurs sur une « limite » de personnes qu’il serait possible d’accueillir en Allemagne. Les premiers mois d’accueil se sont déroulés sans encombre, même si certaines communes et régions ont récemment alerté le gouvernement sur le fait qu’elles atteignaient leurs limites, alors que le flux d’arrivées, en provenance également d’autres pays, ne faiblit pas.
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