Emmanuel Macron, en retard d’une vision
Les seconds mandats ne sont jamais faciles. Celui-ci est particulièrement périlleux. Six mois après sa réélection, Emmanuel Macron a dû se livrer, mercredi 26 octobre, sur France 2, à un long exercice de pédagogie pour tenter de faire comprendre aux Français où il voulait les emmener. Bousculé par une succession inédite de crises, le pays oscille entre inquiétude et colère, sans trouver dans le jeu politique de quoi le rassurer.
Depuis la rentrée parlementaire d’octobre, l’exécutif ne parvient pas à dégager de majorité sur ses textes financiers. La radicalité des oppositions qui contestent les fondements de sa politique économique a déjà obligé la première ministre, Elisabeth Borne, à engager par trois fois la responsabilité du gouvernement.
Lundi 24 octobre, à la surprise générale, Marine Le Pen a soutenu la motion de censure déposée par la Nupes sur le projet de loi de finances pour 2023 sans que les responsables de La France insoumise en éprouvent de gêne. L’hostilité à Emmanuel Macron est apparue plus forte que le rejet du Rassemblement national, qui faisait pourtant figure, il n’y a pas si longtemps, de parti infréquentable. De cette glissade, qui s’apparente à une faute, le chef de l’Etat a tiré parti autant qu’il a pu. Il a dénoncé « l’alliance du désordre et du cynisme » pour mieux relever l’absence de majorité alternative à sa politique.
L’épisode aura au moins clarifié la situation. C’est bien du côté de LR que lorgne Emmanuel Macron pour tenter d’élargir son assise parlementaire et sortir le gouvernement de l’inconfort dans lequel il se trouve. Loin de corriger le tir, son intervention télévisée a ressemblé à un rattrapage de sa campagne présidentielle bâclée. L’axe majeur de son projet est bien que les Français travaillent plus pour « fortifier » leur pays et financer leur modèle social sans impôt supplémentaire.
Crise présentée comme transitoire
Son point d’orgue est le report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ou 65 ans. La réforme, dénoncée comme injuste par tous les syndicats, risque de précipiter des dizaines de milliers de manifestants dans la rue. Il existe cependant une possibilité de la faire voter avec le concours de la droite républicaine. En promettant des mesures d’accompagnement sur les carrières longues, l’emploi des seniors, la pénibilité, Emmanuel Macron cherche le point de passage, dans l’espoir de s’imposer comme le président qui aura, en deux mandats, musclé l’offre et ramené le plein-emploi.
Le dessein est en germe depuis 2017. Il se concrétise, année après année, à travers la réforme du marché du travail, de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle, mais dans une ambiance qui a radicalement changé.
Le premier quinquennat était placé sous le signe de la croissance ; le second est plombé par le risque de récession mondiale et la réapparition de l’inflation, que le gouvernement tente de circonscrire à coups de dispositifs coûteux. Pour apaiser l’inquiétude, Emmanuel Macron a présenté cette crise comme transitoire, mais sans pouvoir en jurer : la guerre en Ukraine n’a pas fini de mettre l’Europe sens dessus dessous.
Un autre bouleversement s’impose : la lutte contre le réchauffement climatique, qui suppose de revoir, en un temps record, tout notre modèle de développement. Le président de la République ne la néglige pas, mais il la traite essentiellement sous l’angle de la reconquête industrielle et de la souveraineté européenne. Pédagogue pugnace et pointilleux sur les sujets qui lui sont familiers, il peine en revanche à définir un projet de société en phase avec ce bouleversement majeur. La démonstration à laquelle il s’est livré était loin d’être inutile, mais elle risque de n’avoir convaincu que ceux qui demandaient à l’être.