Egalité femmes-hommes : « Quand le juge consent à reconnaître le principe d’une discrimination, il réduit l’indemnité au minimum »
Clara Gandin, avocate chez Boussard-Verrecchia et Associés, défend des femmes victimes de discrimination au travail.
Votre cabinet est spécialisé dans la défense des salariés discriminés, notamment des femmes. Quel est le thème majeur de discrimination dans vos dossiers ?
Le grand thème, c’est l’évolution de la carrière avec ses conséquences sur les rémunérations. Souvent, survient un événement après lequel la carrière décline. Par exemple, la maternité. Mais les femmes sans enfants sont aussi concernées, quand elles atteignent la trentaine, parce que l’entreprise s’attend à ce qu’elles fassent des enfants. Il y a une sorte d’anticipation de l’employeur pour qui les femmes seraient moins orientées vers leur carrière que les hommes.
Souvent, malgré une égalité apparente entre les femmes et les hommes, dans la majorité des entreprises, plus on s’élève dans la hiérarchie, plus l’écart de salaire est fort. De plus, si les écarts se réduisent, les femmes mettent davantage de temps au cours de leur carrière pour atteindre le même niveau de salaire et de responsabilités que les hommes.
Comment les juges accueillent-ils ces sujets sur l’inégalité ?
L’idée qu’il existe une discrimination systémique dans une entreprise, un ensemble de règles et de pratiques qui désavantagent les femmes, n’est pas encore reconnue, parce que l’on est dans des contentieux individuels. Les juges prennent rarement en compte les éléments collectifs que nous apportons comme étant un des éléments de preuve dans tel ou tel dossier.
On s’appuie notamment sur les données du rapport annuel de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, qui est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. Dans une décision du conseil des prud’hommes de Nanterre, par exemple, cet élément a été pris en compte. Il a été reconnu que la situation de la salariée illustrait ce contexte général. Mais c’est rare.
Quelle conséquence a cette non-prise en compte du contexte de discrimination dans une entreprise ?
Dans certains dossiers, le juge retient que toute comparaison entre salariés est impossible, parce que chacun a eu son propre parcours de carrière. Pourtant, pour prouver qu’une salariée a été discriminée, il faut pouvoir évaluer les postes que lui a proposés l’entreprise. Cela implique la comparaison de son parcours avec celui des hommes embauchés en même temps à un niveau similaire.
Si on refuse ce principe de comparaison à l’embauche, aucune réparation intégrale du préjudice n’est possible pour ces femmes aux carrières brisées. Et quand le juge consent à reconnaître le principe d’une discrimination, il réduit l’indemnité au minimum. Quant au préjudice moral pour une femme qui, pendant vingt ou trente ans, a vu tous ses collègues hommes évoluer plus qu’elle, ce qui lui a créé une souffrance, il n’est pas du tout indemnisé. Ce n’est pas dissuasif pour les entreprises, qui font, là, une économie sur le dos des femmes.