« Depuis trente ans que les travailleurs font le gros dos en espérant que la “destruction créatrice” fasse son œuvre »

« Depuis trente ans que les travailleurs font le gros dos en espérant que la “destruction créatrice” fasse son œuvre »

JOHN HOLCROFT / IKON IMAGES / PHOTONONSTOP

La bipolarisation du marché du travail, avec d’un côté peu d’emplois très compétents et de l’autre une masse de petits jobs, rend les inégalités insupportables parce qu’elles deviennent irréparables.

Après avoir longtemps fait la claque pour encourager la mondialisation heureuse, le Forum de Davos est aujourd’hui à l’heure des scrupules. Lors de la dernière édition, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, a ainsi appelé à apporter des réponses aux inquiétudes des « gilets jaunes » en reformulant leurs interrogations : « Qu’est-ce que va devenir mon job ? Est-ce que j’ai ma place dans cette nouvelle économie ? Est-ce que cette révolution industrielle que l’on nous prédit permettra à mes enfants d’avoir une place dans la société et de réaliser leurs rêves ? »

De Vesoul à Dax (Landes) en passant par Issoire (Puy-de-Dôme), on entend certainement cette peur du déclassement, ce constat que le travail ne paye plus, que l’ascenseur social est bloqué. Que ces préoccupations trouvent un relais au sommet de la station des Grisons est inédit. Mais prendre de l’altitude ne sera pas suffisant pour y apporter des réponses, tant la problématique semble insoluble.

Durant des années, on nous a bercés d’illusions avec la théorie de l’économiste Joseph Schumpeter, selon laquelle la croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques. Pour faire court : les mutations sont des mauvais moments à passer pour déboucher in fine sur plus de prospérité.

L’exception qui confirme la règle

Cela fait trente ans que les salariés font le gros dos en attendant que la « destruction créatrice » fasse son œuvre. Mais entre-temps, le mouvement continuel de l’économie s’est ossifié autour de la bipolarisation du marché du travail.

Dans tous les pays développés, les emplois se réunissent aux deux extrémités de ce marché avec, d’un côté, un petit nombre d’emplois très qualifiés à rémunération élevée et dont la productivité bondit grâce aux nouvelles technologies et, de l’autre, des emplois de service, peu qualifiés, plus précaires et à rémunération faible qui, eux, sont toujours plus nombreux. Passer de la seconde catégorie à la première tient aussitôt de l’exception qui confirme la règle. Les inégalités deviennent insupportables parce qu’irrémédiables.

Entre les deux, le champ des carrières s’est atrophié. Sous l’effet du progrès technologique, les emplois automatisables qui, depuis les « trente glorieuses », portaient la classe moyenne, expirent. En vingt ans, leur poids sur le marché du travail dans l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a chuté de vingt points. En France, plus de 150 000 postes de secrétariat et 70 000 postes d’employés de banque se sont volatilisés depuis 1990. Parallèlement, le nombre d’emplois peu qualifiés et moins bien payés a augmenté dans les mêmes proportions. On compte par exemple 90 000 employés de maison de plus ou encore 100 000 serveurs de café et restaurant additionnels.

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LJD

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