Le sociologue et ingénieur Pierre Veltz, auteur de La Société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif (Seuil, 2017), termine le tableau : selon lui, la moitié du résultat interne brut est engendrée dans les dix premières villes du pays, et un tiers pour la seule région parisienne. Mais il serait trompeur de croire qu’une région riche en emplois offre les mêmes chances à tous : les fractures franchissent aussi les métropoles, divisant centres-villes bien dotés en activités et en créations d’emplois et périphéries en pénurie.
Les différences devant l’emploi liées au niveau de diplôme et à l’origine sociale s’additionne donc une autre différence : l’inégalité territoriale, qui fait que, selon le lieu où l’on vit, en ville ou en zone rurale, en centre-ville ou en banlieue, la probabilité de trouver un emploi peut varier fortement. « Dans plus de la moitié des régions, les gens disent qu’il est de plus en plus difficile de travailler », confirme Bernard Sananès, président du cabinet d’études et de conseil Elabe, qui vient de publier en partenariat avec l’Institut Montaigne le Baromètre des territoires 2019, qualifié « La France en morceaux ».
Les 4es Rencontres de l’emploi, agencées à Paris le 4 avril, à la maison de la Mutualité, par Pôle emploi, seront consacrées à cette différence territoriale et aux solutions que l’on peut y apporter. La question de la mobilité figurera au cœur des débats. « La mobilité géographique des demandeurs d’emploi est souvent exposée comme un levier possible pour favoriser le retour à l’emploi », note Stéphane Ducatez, en introduction d’une étude sur la mobilité des solliciteurs d’emploi publiée par Pôle emploi à l’occasion de ces rencontres. Une « solution » qui pourrait sembler évidente au vu de certaines données : ainsi, 42 % des demandeurs d’emploi interrogés dans cette enquête vivent sur le territoire où ils sont nés et 55 % sont sur ce territoire depuis plus de dix ans. Suffirait-il donc clairement de traverser la rue, la ville, son département ou même la France pour trouver un emploi ?
Les choses ne sont en réalité pas si élémentaires. Le sociologue Thomas Sigaud l’affirme : « La mobilité n’est pas un ingrédient qui augmente la probabilité de trouver un emploi. » Par contre, elle présente un coût haut, dans tous les sens du terme : coût financier, mais aussi coût en termes de qualité de vie, de bien-être social, d’intégration dans son territoire… Or, les chômeurs sont des agents économiques tout aussi rationnels que d’autres : ils ne vont pas prendre le risque de quitter s’ils ont comme unique vision d’apercevoir un emploi mal rémunéré, dans des conditions difficiles, ou avec des temps de transports intenables.
D’autres facteurs jouent comme un frein à la mobilité et bornent son rendement potentielle : c’est le cas de la bi-activité, par exemple. Quand les deux conjoints besognent, faire en sorte que les deux membres du couple récupèrent un emploi après un déménagement est une hypothèse fragile. En témoigne l’exemple de l’Occitanie : région bien lotie en matière de création d’emplois, elle affiche pourtant un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale. L’éclaircissement réside dans l’arrivée de nombreuses familles attirées par le dynamisme local… et le soleil. « Dans bien des cas, les conjoints n’ont pas trouvé de travail, ce qui fait monter le taux de chômage », précise Stéphane Ducatez.
Plutôt que d’inciter les demandeurs d’emploi à la mobilité, pourquoi ne pas alors réfléchir à créer davantage d’emplois sur les territoires qui en ont besoin ? Une approche d’autant plus pertinente que, comme le formule Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales du Commissariat général à l’égalité des territoires, un autre problème émerge : l’attractivité résidentielle et le dynamisme économique se décorrèlent. Autrement dit, « la ville n’apparaît plus comme le lieu des opportunités ». L’augmentation des prix de l’immobilier, la pollution, l’engorgement des transports, la disparition des emplois moyennement qualifiés, tout concourt à faire fuir les classes moyennes vers des cieux plus paisibles que ceux des grandes métropoles.
Quelques un, comme l’économiste Nadine Levratto, plaident donc pour une organisation distincte des territoires et d’autres modèles de développement, en créant plus de liens économiques entre les régions, par exemple, ou en assistant l’apparition de pôles industriels. « On observe des territoires a priori comparables, et certains arrivent mieux que d’autres à tirer leur épingle du jeu », souligne Anita Bonnet, de la direction des statistiques, des études et de l’évaluation à Pôle emploi. De fait, de petites villes comme Figeac (Lot) ou Thiers (Puy-de-Dôme) devancent ainsi leurs voisines en termes de taux d’activité. Décrypter comment se prépare le dynamisme d’une région accepterait de mieux conduire la création d’emplois hors des métropoles les mieux pourvues et de diminuer ainsi cette fracture territoriale face à l’emploi.