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Cibles de leur réussite sur Parcoursup, les écoles d’infirmiers doivent administrer la forte demande d’adhésion.

Les établissements vivaient pour la première fois inclus dans la plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur. Plus de 100 000 postulants doivent se répartir 31 000 places.

C’est l’ébahissement de l’année, sur Parcoursup. Alors que nombreux établissements hospitaliers se déplorent, en ce moment, d’avoir des complications à embaucher des infirmiers, en raison des conditions de travail et des rétributions insuffisantes, les écoles qui forment ces professionnels sont prises d’assaut sur la plate-forme d’accès dans l’enseignement supérieur. Un enthousiasme qui contredit ceux qui s’inquiètent d’un désamour généralisé pour ce métier éprouvant.

Avec 1,5 million de vœux et de sous-vœux (soit 21,7 % du total), les institutions de formation en soins infirmiers (IFSI), pour la première fois conquis cette année au régime de Parcoursup, y font une entrée tonitruante. Ils constituent la filière la plus sollicitée, devant le droit et la première année commune des études de santé (Paces).

On compte ainsi plus de 100 000 postulants infirmiers parmi les quelque 900 000 candidats inscrits sur la plate-forme. Ils devront se distribuer, au terme du processus de sélection, 31 000 places réparties dans 326 instituts. Cet engouement n’est pas sans conséquence. Les listes d’attente sont longues, très longues. « Il y a eu beaucoup de panique et de stress », déclare Bilal Latrèche, le président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi).

Après un long délai, Lucille Dias a été définitivement admise dans les écoles de l’académie de Toulouse. Toutefois, elle n’y croyait pas. Le jour des résultats, le 15 mai, aucun de ses vœux n’avait été confirmé. Elle était partout sur liste d’attente. « J’étais effondrée. C’était une vraie claque », raconte la jeune femme de 19 ans, qui travaille depuis plusieurs mois en tant qu’aide-soignante.

Pétition

Sur les réseaux sociaux, plusieurs candidats aux IFSI se sont émus de ces listes d’attente à rallonge. En particulier ceux issus des prépas, pensant que ce serait un sésame suffisant. « Ma fille est sur liste d’attente partout, alors qu’elle a suivi une préparation à la formation d’infirmière », s’agace Céline Mattielli, détrompée. Près de 3 000 euros déboursés pour n’être finalement prise nulle part, la pilule ne passe pas.

Un groupe d’étudiants a même lancé une demande adressée au ministère de l’éducation nationale. Elle réunit plus de 11 000 signatures. Ces mécontents interpellent l’engagement pris par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, d’améliorer les prépas dans l’examen des dossiers. « Valorisées mais pas données prioritaires », retient Sylvie Thiais, conseillère pédagogique régionale de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France. Le ministère garantit de son côté que les élèves en prépa ont reçu plusieurs réponses favorables que les autres candidats.

 

« L’ENA doit admettre de bâtir une dominante fonction publique paritaire »

Les membres du bureau de l’association ENA 50-50 émettent une série d’offres qu’ils désireraient voir optées à l’occasion de la réforme en cours de l’ENA.

Alors que la haute fonction publique fait le concept de plusieurs critiques, la discussion autour de sa modification et de la suppression de l’ENA s’est focalisée ces derniers mois sur les demandes de différence sociale et géographique, laissant de côté celle de l’égalité femmes-hommes. Ainsi, si la lettre de mission de Frédéric Thiriez – l’ancien président de la Ligue de football professionnel, choisi par le Président de la République pour changer la haute fonction publique – met en avant la nécessité de « mettre fin aux biais de sélection qui entravent l’accès à la haute fonction publique de talents issus d’horizon divers », elle ne mentionne la parité que de manière incidente, en vue de dynamiser les parcours de carrière des agents. Pourtant, comment accéder l’égalité femmes-hommes dans l’accès aux emplois supérieurs de l’Etat sans faire la question de la formation des hauts fonctionnaires et de la parité au sein des viviers ?

Le fait est connu – et nous l’avions rappelé en décembre 2018. A l’entrée à l’ENA, les femmes demeurent minoritaires, avec seulement 36,25 % des admissions en 2018 et 38,75 % en 2017. A la sortie, elles sont moins abondantes à se mener vers la diplomatie (2 femmes sur les 12 postes ouverts ces trois dernières années) ou la préfectorale (7 femmes sur 24 élèves ayant élu le ministère de l’intérieur durant la même période), et cela sans parler des inégalités qui demeurent dans l’accès aux « grands corps » (depuis 2017, seules 3 femmes sur 15 élèves sont sorties à l’Inspection générale des finances). Après, elles n’occupent que 28 % des emplois de l’encadrement supérieur et conduisant de la fonction publique d’Etat.

Divers mesures mis en place ces dernières années ont essayé d’y corriger. Depuis 2016, l’ENA sensibilise les jurys des concours d’entrée aux biais sociaux et à la lutte contre les discriminations. Notre association, ENA 50-50, a mis en place depuis trois ans un mécanisme de coaching des candidates afin de lutter contre l’autocensure. Au sein de la fonction publique d’Etat, la loi Sauvadet de 2012 a exigé des règles de nomination équilibrée aux emplois supérieurs et de direction (40 % de primo-nominations de chaque sexe depuis 2017).

Malgré cela, force est d’enregistrer qu’à l’heure actuelle, ces mesures restent insuffisantes. La réforme de la haute fonction publique expliquée par Emmanuel Macron fournit un évènement unique de faire de l’égalité femmes-hommes un principe structurant. A l’inverse, il serait inconcevable et contraire aux engagements de la France à l’international, ainsi qu’à l’ambition du gouvernement, que, faute d’avoir assimilé à son analyse l’égalité femmes-hommes, déclarée grande cause du quinquennat, une telle réforme renforce les différences déjà existantes.

Crise de l’ENA en 1979

Le professeur de gestion Mario d’Angelo rappelle, que la suppression de l’ENA et des grands corps de l’Etat existait déjà dans les offres du sociologue Michel Crozier pour une réforme de l’action publique, il y a quarante ans.

La nouvelle annonce présidentielle de retirer l’Ecole nationale d’administration (ENA) et les « grands corps » de l’Etat rétablit sur le métier une réforme souvent rappelée par le passé, dont les sources datait en fait à 1979.

Il y a quarante ans en effet, le sociologue des organisations Michel Crozier (1922-2013) proclamait un essai désigné On ne change pas la société par décret (Grasset, coll. « Pluriel »). Il y trace les bordures d’un « vrai changement », apercevant surtout de changer les grandes écoles et leurs classes préalables (les « prépas »), de retirer l’ENA, les grands corps de l’Etat et les concours de la fonction publique.

Des conduites de déviation

L’auteur de ces offres était alors déjà internationalement connu pour ses analyses de la bureaucratie présentées dès 1964 aux Etats-Unis et en France, et pour son essai La société réunie (1970), qui avait fermement inspiré le courant réformiste en France.

Une relecture de Crozier reste donc d’actualité, non uniquement par rapport à la cession de l’ENA mais, plus amplement, par rapport à la capacité d’ajuster le mode d’action publique en France.

Les thèses de Crozier immobilisent sur le constat essentiel que la société française se définit par des comportements d’évitement. Aux rapports de face-à-face, à la communication directe, les Français favorisent l’administration par les prescriptions impersonnelles. Cette impersonnalité satisfait d’abord les aspirations d’égalité et la peur de l’arbitraire d’un décisionnaire trop proche. On exclut ainsi la possibilité de soutenir des solutions distinguées en fonction des problèmes.

Pour l’auteur du Phénomène bureaucratique (1963), ce mode de fonctionnement affermit dans la machine politico-administrative une concentration qu’il caractérise par les prises de décision espacées du niveau où se posent les problèmes, soit que ces niveaux sont dénués pour le faire, soit qu’ils n’osent prendre des décisions et en endosser l’implication de peur d’être rattrapés par des circuits parallèles qui s’adressent immédiatement au sommet du système.

Le besoin d’égalité en cause

Crozier contemple que c’est l’exigence d’égalité qui a nourri cette stratification poussée entre des niveaux entourés les uns aux autres. Une bonne illustration en est donnée par les concours de la fonction publique. Bases du recrutement public, ils veulent garantir l’égalité et le moins d’arbitraire possible en soutenant sur de la connaissance standardisée, et ne permettent par conséquent que peu de portée aux capacités et potentiels des candidats, principes de sélection résolus trop subjectifs.

Le grand vertige de la culture générale

Certains saisissent connaissance de leurs déficiences durant les études supérieures, entourés par des camarades au capital social et culturel plus élevé.

Premier cours de littérature dans sa prépa toulousaine. Julie (le prénom a été changé) reste silencieuse. Elle examine ébahie ses camarades prendre la parole et s’exprimer sur l’œuvre étudiée. « Ils m’impressionnaient par leurs connaissances. Devant leurs phrases si bien élevées, je me suis dit : “Des gens savent vraiment parler comme ça ?” Les mots qu’ils employaient désiraient dire tout ce que je ressentais et que je n’arrivais pas à nommer. » Julie a grandi dans un petit village, à deux heures de la capitale occitane. Ses parents ont connu, enfants, la grande précarité, et Julie est la première de la famille à arriver jusqu’au bac.

Soutenu par la dynamique des « trente glorieuses », son père a relevé son imprimerie et connu une ascension sociale. Actuellement, la famille vit commodément mais, à table, on ne parle ni littérature, ni cinéma, ni histoire.

Une attention pour cultiver sa mémoire et ses connaissances

Quand Julie, bonne élève au lycée, préfère aller en prépa littéraire, elle est loin d’imaginer le choc qui sera le sien au contact de ses nouveaux camarades. « Je me suis vite sentie en éloignement. Abondamment venaient de familles de professeurs, ils avaient grandi en entendant France Inter, étaient allés plusieurs fois au musée et avaient beaucoup de connaissances politiques ou historiques qui m’étaient inconnues. »

« Une très discriminante logique du mimétisme »

De nombreux universitaires perçoivent un tel malaise en entrant dans l’enseignement supérieur, lorsqu’ils se comparent à des jeunes ayant profité, par le biais de leur famille et de leur environs, d’un important capital social et culturel. Ce sentiment de « manquer de culture générale » culmine lorsque celle-ci fait l’objet d’une épreuve écrite ou orale pour intégrer une grande école, un institut d’études politiques ou un concours administratif.

C’est uniquement au début du XXe siècle que la culture ­générale devient une épreuve de concours – d’abord pour les écoles militaires. Elle ­départage les candidats sur leur « hauteur de vue et la sûreté de leur jugement », exposent les chercheurs Charles Coustille et Denis ­Ramond, dans un article de la revue Le Débat. Les compositions de culture générale se multiplient au milieu du siècle, particulièrement dans les concours menant à la haute administration, ou dans les écoles de commerce.