L’emploi des jeunes dépendants du besoin de se loger

Les exemples de cherté des loyers près du lieu de travail, véritable frein à l’emploi, ne manquent pas. Témoignages de jeunes salariés contraints de résider dans un foyer à Roissy, Istres, ou Rodez.
Il n’y a peut-être qu’à traverser la rue pour trouver un emploi, mais pas une habitation. Cyrille Boyer, qui dirige, dans le 8e arrondissement, la permanence accueil des jeunes de l’hôtellerie, en sait quelque chose : « J’ai soixante places et dix fois plus de demandes, y compris d’employeurs, restaurants et hôtels de luxe prêts à payer le double du tarif pour réserver des chambres à leurs salariés », déclare-t-il, évoquant le cas d’un jeune homme venant chaque jour de Lille pour travailler à l’hôtel Royal Monceau. « Dans l’hôtellerie et la restauration, les journées sont longues, avec des coupures dont on ne sait que faire, surtout quand, dans un quartier comme les Champs-Elysées, le Coca est à 15 euros », témoigne-t-il.
L’habitation de jeunes travailleurs implanté sur la plate-forme de l’aéroport de Roissy ne manque pas non plus de solliciteurs à la location qui trouvent facilement un emploi, parfois qualifié, sur place, dans la sécurité, la maintenance des avions, l’accueil ou la zone hôtelière, mais pas de quoi se loger : « Il y aurait bien des possibilités de logement à Sarcelles, Goussainville, Villiers-le-Bel, mais pas de transports commodes vers Roissy », déplore Christophe Quenet, directeur de ce foyer et de l’association du logement des jeunes du Val-d’Oise.
Fortuné Aldegon a passé son bac pro puis son BTS en alternance avant d’être recruté par Air France Industries comme mécanicien, puis au bureau technique de la maintenance des avions. Avant de résider près de son travail, il a, pendant deux ans, fait des allers et retours entre son foyer familial, à Nemours, dans la Seine-et-Marne, et Roissy, soit une heure et demie aller et deux heures et demie retour : « J’ai tenu le coup parce que je veux devenir ingénieur dans l’aéronautique pour, peut-être, aller travailler à l’étranger, et heureusement que l’entreprise nous payait des indemnités kilométriques car j’avais mon véhicule à assurer », se souvient-il.
En zones rurales, offre de logements et transports sont rares
« Avoir une habitation, c’est, pour nous les jeunes, un rêve que nous n’arrivons pas à concrétiser tellement les exigences des bailleurs sont impossibles à satisfaire, explique Yasmine, 28 ans, hôtesse d’accueil à Marne-la-Vallée Village. Il faut gagner trois fois le loyer, être embauchée en contrat à durée indéterminée et avoir achevé la période d’essai ou, mieux, avoir déjà six mois ou un an d’ancienneté dans le travail… », déclare-t-elle. Elle a, dans un premier temps, été logée en foyer de jeunes travailleurs à Roissy, ce qui lui occasionnait trois heures journalières de transports, et, aujourd’hui, dans un autre foyer à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), avec des temps de trajet plus prudentes mais moyennant 480 euros par mois pour vivre dans 20 mètres carrés.
« Cocotte » est un vélo triporteur à assistance électrique et le cœur de l’activité de Vépluche : collecter les épluchures des restaurants locaux pour les transformer en compost. Un compost qui servira à faire de nouveaux légumes qui seront distribués aux restaurateurs. La boucle est bouclée.
Projet de fin d’études
L’idée de Vépluche, c’est donc de concevoir les poubelles. Ce ce n’est pas exactement ce qu’imaginait Clara en poussant la porte de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, à Paris (7 e). L’étudiante voulait alors, simplement, « changer le monde ». Son plan : enseigner dans cette grande école, « avoir une grille de lecture de la société » pour faire une carrière dans une grande organisation où elle aurait de « grandes responsabilités ». Dans sa ligne de mire, l’Organisation des nations unies, rien de moins.
« En seulement quatre mois, nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique. »
« “Tu voulais être diplomate”, m’a évoqué récemment ma grand-mère ! », déclare l’entrepreneuse. Mais, entre le moment où la native de Toulouse a gommé son accent du Sud-Ouest et celui où ses camarades de promotion ont passé le concours de conseiller cadre d’Orient, sa vision des choses à faire pour « changer le monde » s’est infléchie. Elle a, en amuse-bouche de sa future carrière, testé la grande entreprise lors d’un stage chez Airbus en tant que « storyteller ». « J’étais chargée d’écrire sur les succès de l’avionneur », explique-t-elle. Après quelques mois, elle éprouve le besoin de se confronter à un public et intègre l’Institut français, à Rome, où elle travaille à promouvoir la littérature française.
Simultanément, une autre voie s’esquisse. « A mon arrivée à Paris, à 18 ans, j’avais constaté qu’il n’y avait pas de tri des déchets alimentaires dans la capitale », déclare-t-elle. Une idée germe alors dans son esprit. Et, cette fois encore, l’école lui donne une clé : son projet de fin d’études de master en affaires européennes qu’elle décide d’orienter « business ». Clara et trois autres étudiantes imaginent un projet de collecte des déchets des lieux de restauration en vélo cargo. « En seulement quatre mois, nous avions été hyper loin. Nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique », se félicite-t-elle. Romain Slitine, maître de conférences en entrepreneuriat social à Sciences Po, remarque la qualité du projet. « L’enjeu, c’est de le rendre concret et de passer à l’action », témoigne-t-il. Vépluche existe sur le papier et les tableaux Excel… Il ne reste plus qu’à le lancer. Ou pas.
« Souvent, les femmes s’autocensurent »
« La peur, c’est comme une petite sœur. Sa petite voix, on la laisse à l’arrière de la voiture », s’amuse Clara. Mais parfois, elle vous couvre : « Est-ce que je veux autant de responsabilités ? Est-ce que je veux monter une boîte ? Est-ce que je peux seulement le faire ? Est-ce que je dois mettre une jupe ou un col roulé ? Comment cela va-t-il être interprété ? Souvent les femmes se freinent, s’autocensurent. Elles se posent tellement de questions… »
« On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris. Vous imaginez l’impact ? »
Son master en poche, la jeune femme essai d’entrer à HEC. Première claque, elle n’est pas admise. « De rage, j’intègre un programme, Women4Climate, un système de mentorat qui encourage l’action des femmes qui veulent lutter contre le changement climatique, chacune à sa manière. » Un réseau de décideuses dont la voix porte bien plus fort que la petite sœur abandonnée à l’arrière de l’auto. Boostée par ces femmes qui osent, Clara lance Vépluche en 2018.
« J’avais déjà aperçu les possibilités de l’entrepreneuriat social chez Phenix », une jeune société qui s’attache à donner une seconde vie aux produits usagés et travaille à rendre la consommation plus responsable et économe en ressources. « J’y ai découvert qu’on pouvait faire du business avec un impact social ou environnemental positif. Ça m’a aidée à ôter les œillères que j’avais pour le privé. En janvier 2018, je suis repartie de zéro pour monter mon entreprise. »
Avec le soutien d’un associé et l’aide de deux collaborateurs, « Cocotte », le vélo fourgon, déambule quotidiennement dans les rues de la ville à l’assaut des poubelles des restaurateurs. Le défi : convaincre, expliquer aux gérants et patrons de cuisine l’intérêt collectif d’un circuit court et circulaire. A Boulogne-Billancourt, les restaurants L’Atelier, La Terrasse Seguin, 750 g La Table figurent parmi les trente clients pionniers. Grégory, patron du Pré en bulles, avoue « approuver une démarche qui (…) permet de [se] sentir responsables ».
L’espoir de Vépluche, c’est une prise de conscience collective que ce qui peut être consommé et transformé à l’échelle locale doit l’être. « On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris, prévoit Clara. Vous imaginez l’impact ? » Sortir le diesel, voire le moteur à explosion de la grande ville et le modifier par des transports doux. Pourquoi pas ? « Allez, Cocotte ! »