« Pour modifier la finance, on commence par changer son enseignement »

Pour voir si des leçons avaient été tirées de la crise financière  de 2008, trois professeures d’économie ont envoyé à leurs collègues un questionnaire sur les évolutions de leurs pratiques.

Dix ans déjà après la crise financière. De part et d’autre de l’Atlantique, ni les gouvernants, ni les régulateurs, ni les banquiers n’en ont réellement tiré les leçons. Les réformes engagées n’ont pas été à la hauteur des défis de l’instabilité financière. Pis, nous sommes entrés dans une phase de pause, voire de détricotage réglementaire, et nous sommes déjà en train de nous demander quand éclatera la prochaine crise.

Mais qu’en est-il du côté des enseignants de la finance ? Avons-nous, dans le contenu de nos enseignements, dans les méthodes que nous utilisont, tiré les leçons de 2008 ?

Pour essayer de répondre à cette question, nous avons élaboré au printemps 2018 en collaboration avec l’Institut Veblen un questionnaire, diffusé en mai-juin auprès de nos collègues francophones enseignant la finance dans les départements d’économie ou de gestion des universités et dans les écoles de commerce. 198 personnes (dont 56 femmes – c’est l’occasion de rappeler la sous-représentation des femmes chez les économistes, surtout dans le champ de la finance) ont accepté de répondre aux 27 questions de l’enquête.

« Ni le contenu des cours ni les pratiques pédagogiques n’ont beaucoup évolué depuis la crise »

Les répondants étaient interrogés sur leurs enseignements, l’importance donnée à différentes thématiques (telles que l’instabilité financière, le risque systémique, la régulation financière ; le but de la finance sur la croissance, sur les inégalités, ou sur la transition écologique ; l’efficience des marchés, la finance comportementale, le mimétisme, l’éthique, le cycle financier, l’innovation financière…), ainsi que sur leurs pratiques pédagogiques, leur perception du changement opéré dans l’enseignement de la finance depuis la crise et de la motivation de leurs étudiants à s’attacher à la finance et à ses métiers, etc.

Des réponses à ce questionnaire, il ressort que ni le contenu des cours ni les pratiques pédagogiques n’ont beaucoup changé depuis la crise.

Le risque peut peser très cher

« Le Coût du risque. , de Jean-David Darsa et Nicolas Dufour (2e édition). Gereso, 2018, 160 p., 23 €. »
« Le Coût du risque. , de Jean-David Darsa et Nicolas Dufour (2e édition). Gereso, 2018, 160 p., 23 €. » D.R

C’est un livre qui détaille les treize grandes familles de risques auxquels toutes les entreprises sont ou seront éventuellement exposées. Risques géopolitiques, financiers, juridiques, sociaux et psychosociaux, ou encore informatiques.

Souvent, des cas médiatiques retentissants nous alertent sur le coût du risque en entreprise. D’autant que dans différents domaines, la réglementation s’est renforcée : le règlement européen sur la protection des données (RGPD) entré en vigueur en mai 2018 prévoit sitôt de sanctionner lourdement les manquements des entreprises, à l’image de Google, qui vient d’être condamné à verser 50 millions d’euros. Dans un autre domaine, accusée de complicité de blanchiment d’argent sale, HSBC a payé un montant record de 1,48 milliard d’euros pour mettre fin aux poursuites des autorités américaines. Finalement, Deutsche Bank a connu une erreur opérationnelle d’un montant de 21 milliards d’euros.

Pourquoi et comment arrêter de dédier des ressources à un coût qui, peut-être, ne verra jamais le jour ? Comment inspecter la cohérence et la pertinence des actions éventuellement initiées pour réduire les effets désastreux du coût du risque sur les comptes annuels de l’entreprise à court, moyen et long terme ? Autant de questions que l’expert en gestion des risques en entreprise Jean-David Darsa et le docteur en gestion Nicolas Dufour abordent dans Le Coût du risque (Gereso), une nouvelle édition de leur essai publié pour la première fois en 2014, enrichie d’exemples récents.

La question du coût du risque est « un sujet crucial entre enjeu financier, de réputation, réglementaire mais aussi humain, tant certains incidents ont des impacts sur l’activité et le devenir même d’une entreprise », déclarent-ils. Les auteurs définissent la notion de risque, de coût, mais aussi de coût d’opportunité – lorsqu’une entreprise décide de ne pas se conformer à une réglementation dont la mise aux normes implique des coûts, quitte à payer la sanction –, avant de présenter les treize grandes familles de risques auxquels toutes les entreprises sont ou seront éventuellement exposées. Risques géopolitiques, financiers, juridiques, sociaux et psychosociaux, ou encore informatiques : chacune des grandes classes de risques est analysée et illustrée par un exemple, qui indique les spécificités en termes de coûts.

Des outils de découverte précieux

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs s’inclinent sur la mesure du coût. Délicate et complexe, elle sollicite « une mécanique de réflexion, d’arbitrage et de prise de décision constants ». Ils installent une priorisation dans les moyens mis à disposition pour lutter contre le risque, les outils et les méthodes.

General Electric va verser 50 millions d’euros, pour ne pas avoir tenu ses promesses de création d’emplois

Le groupe américain General Electric (GE) va devoir créer « un fonds de réindustrialisation doté de 50 millions d’euros », faute d’avoir tenu ses engagements en matière de création d’emplois après l’acquisition de la branche énergie d’Alstom, en 2014.
Le groupe américain General Electric (GE) va devoir créer « un fonds de réindustrialisation doté de 50 millions d’euros », faute d’avoir tenu ses engagements en matière de création d’emplois après l’acquisition de la branche énergie d’Alstom, en 2014. JOHN MINCHILLO / AP
Suivant Bercy, seuls 25 emplois ont été créés, alors que le groupe américain en avait prévu 1 000 au moment de l’acquisition de la branche énergie d’Alstom.

Le groupe américain (GE) va devoir concevoir « un fonds de réindustrialisation doté de 50 millions d’euros », car il n’a pas tenu sa promesse de créer un millier d’emplois nets en France après avoir acquis la branche énergie d’Alstom, en 2014. C’est ce qu’a avisé mardi 5 février le ministère de l’économie, où s’est tenu, dans la matinée, un comité de suivi, en présence de la direction de GE.

A la fin de 2018, GE avait accompli « près de 1 milliard d’euros » d’investissements en France et créé « 25 emplois nets » en France, note Bercy dans un communiqué. Bien loin, donc des 1 000 emplois promis. General Electric avait renoncé en juin à cet objectif, mais le nouveau PDG, Larry Culp, avait assuré à la mi-octobre que son groupe « tiendrait ses engagements ».

Lors de la réunion à Bercy, « GE a annoncé l’importance de ses investissements continus en France sur la période et a précisé que, dans un contexte de marché particulièrement difficile, le groupe a fait le maximum pour créer des emplois et a tenu ses engagements contractuels signés avec l’Etat », a réagi l’entreprise dans un communiqué.

Des « intentions de développement à long terme en France »

Le fonds de réindustrialisation créé par (GE), « conformément à ses engagements », sera logé à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Il sera « piloté par un comité présidé par une personnalité spécialiste de l’industrie » et réunira des représentants désignés par l’entreprise, les collectivités concernées et les services de l’Etat, définit le ministère de l’économie.

Selon Bercy, l’entreprise a « marqué ses intentions de développement à long terme en France, notamment (…) dans le domaine des énergies renouvelables ». Un point que souligne également le groupe, qui écrit que « depuis plus de cent ans, GE a démontré un engagement constant en France, comme le prouve encore le renforcement sur le territoire de la division Renewable Energy [énergies renouvelabies] annoncé le 30 janvier dernier ».

GE a diffusé à la fin de janvier des résultats en demi-teinte au quatrième trimestre 2018, affectés par les difficultés continues de sa division énergie, qui comprend l’ancien fleuron industriel français.

Ryanair face à la crise

Le patron de Ryanair, Michael O'Leary, à Machelen, près de Bruxelles, en octobre 2018.
Le patron de Ryanair, Michael O’Leary, à Machelen, près de Bruxelles, en octobre 2018. Francois Lenoir / REUTERS

Alors que le groupe irlandais a dénoncé une perte de 19,6 millions d’euros au troisième trimestre 2018, son patron-fondateur communique une réorganisation de l’entreprise.

Pertes & profits. Le teigneux patron-fondateur de Ryanair déteste s’avouer vaincu. Michael O’Leary a pourtant dû aviser, ce lundi 4 février, que la compagnie aérienne irlandaise avait perdu 19,6 millions d’euros au troisième trimestre (octobre-décembre) de son exercice 2018-2019. Une perte sans précédent depuis 2014, dans un cadre européen du low cost de plus en plus impitoyable sur le segment du court-courrier. Et l’occasion pour prévenir qu’il réorganisait l’entreprise et prenait de la hauteur, plus que du recul.

Le président du conseil d’administration, David Bonderman, passera la main à un administrateur, Stan McCarthy, au cours de l’été 2020. M. O’ Leary dirigera la holding de tête jusqu’en 2024 et contrôlera une réaménagement destinée à rendre le transporteur plus efficace et plus rentable. Il comportera quatre compagnies dotées de leur propre équipe de direction : Ryanair DAC en Irlande, Ryanair UK pour préparer le Brexit, Laudamotion en Autriche et Ryanair Sun en Pologne. M. O’Leary dit s’inspirer du géant britannique IAG, qui abrite plusieurs compagnies (British Airways, Iberia, Aer Lingus…) et affiche de solides résultats. Il entérine surtout une structure qui se dessinait en 2018.

Si les derniers résultats sont « décevants », a-t-il déclaré, c’est « entièrement dû à des tarifs plus faibles que prévu pour faire profiter [leurs] clients de prix qui n’ont jamais été aussi bas ». Ces pertes étaient attendues, vu que la guerre des promotions a fait rage à la fin de l’année et que Ryanair avait alors publié un avertissement sur résultats. En décembre 2018, le billet moyen aller-simple valait moins de 30 euros (– 6 % sur un an). Comme ses concurrents, Ryanair tente de se rattraper sur le nombre de passagers, qui a atteint 33 millions entre octobre et décembre 2018 (+ 8 %).

Objectif d’avoir  200 millions passagers en 2024

Ryanair reste fructueuse, même s’il doit encaisser les hausses de salaires arrachées par ses pilotes et ses personnels de bord après les grèves de 2018, ainsi que l’augmentation du prix du kérosène. Il table sur un bénéfice 2018-2019 situé entre 1 milliard et 1,1 milliard, en fort recul par rapport à l’exercice précédent (1,45 milliard), et réaffirme son objectif de 200 millions de passagers en 2024, contre 139 millions en 2018. Elle est mieux armée que d’autres : sept petites compagnies européennes ont cédé depuis l’été 2018 ; d’autres cherchent des capitaux ou un acheteur. Faute d’avoir été rachetée par IAG, Norwegian Air Shuttle (long-courrier à bas coûts) vient de lever 309 millions.

Après quelques années de calme, l’industrie française dans l’attente

Si 2018 a fini sur un solde positif de 17 ouvertures d’usines, contre 25 en 2017, selon Trendeo,  13 autres sites ont enfermé depuis novembre.

Comme la croissance économique, ramenée de 2,3 % en 2017 à 1,5 % en 2018, l’industrie française tend à se fatiguer sérieusement. Après un millésime 2017 exceptionnel, avec vingt-cinq ouvertures d’usines de plus que de fermetures, l’année 2018 finit également sur un solde positif, de dix-sept ouvertures, indique le cabinet Trendeo dans son bilan annuel publié mardi 5 février. Mais « les trois derniers mois enregistrés, de novembre à janvier, sont en négatif », relève David Cousquer, son gérant. Durant de cette période, treize sites industriels ont fermé leurs portes.

En 2009, après l’explosion de la crise, la France avait subi la fermeture de quelque 224 usines. Ensuite, chaque année, des dizaines de sites fermaient. Il a fallu attendre 2016 pour observer un retournement de tendance. « [Après trois ans d’embellie], nous pensions que le déclin était enrayé, estime Philippe Varin, le président de France Industrie. Cela reste vrai pour 2018, mais la condition demeure fragile pour l’avenir. »

Selon l’organisation professionnelle, la croissance du résultat manufacturière en France pour l’année 2018 devrait être de 0,6 %, près de cinq fois moins qu’en 2017. Pis, en termes d’investissements industriels, l’évolution serait « proche de zéro, voire légèrement négative » par rapport à 2017, où ces montants possédaient bondi de près de 5 %, constate M. Varin.

« Il faut parler du verre à moitié plein »

Lors du sommet Choose France, structuré mi-janvier, quelque 600 millions d’euros d’investissements étrangers ont bien été avisés, mais c’est bien moins qu’un an auparavant. Début 2017, plus de 3,5 milliards d’euros d’investissements avaient été dévoilés. « Depuis deux ans, la France a réussi à stopper le déclin industriel engagé depuis vingt ans. Certes, en ces temps d’inquiétude, on ne voit que le verre à moitié vide, mais il faut parler du verre à moitié plein et des performances que nous avons enregistrées », assure Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’Etat à l’industrie.

Le ministère de l’économie contrôle plusieurs filières en pénurie, à l’instar de celle du diesel et de ses quelque 37 500 salariés

Reste que, selon le baromètre annuel de la chambre de commerce américaine en France (Amcham) et du cabinet Bain, diffusé mardi 5 février, « seuls 30 % des investisseurs américains présents dans l’Hexagone se déclarent optimistes quant aux perspectives économiques françaises dans les trois années à venir. » En 2017, ils étaient 75 %… La France n’est pas seule en cause, l’environnement international et les tensions commerciales expliquent pareillement ce sentiment.

 

Loi Pacte : « Dans dix ans, le marché de la comptabilité sera transformé »

La révolution numérique et la loi Pacte vont changer le marché de l’expertise-comptable et du commissariat aux comptes, déclare la chercheuse Marie Caussimont

Les spécialistes du chiffre vont devoir d’urgence réinventer leur offre, et les commissaires aux comptes sont les premiers concernés. La loi Pacte, en cours de finalisation au Parlement, va en effet autoriser trois entreprises sur quatre à cesser de faire certifier leurs comptes pour en garantir la sincérité. La mesure est censée alléger les contraintes des PME. Mais la loi va mettre fin à un marché qui était acquis aux commissaires aux comptes, les prévenant, pour survivre, à proposer aux PME des services innovants.

La situation va s’avérer émouvante pour les jeunes professionnels, endettés pour financer leur installation. Selon toute vraisemblance, les « Big 4 », ces cabinets internationaux qui auditent les grandes entreprises, seront les moins touchés par la loi ; ils pourront acheter à bon compte les indépendants mis en difficulté. Un fort mouvement de concentration s’amorce. La profession estime à 6 500 le nombre d’emplois qui seront retirés.

Les cabinets d’expertise comptable sont eux aussi à un tortueux, en raison de la numérisation des documents comptables. Beaucoup de PME étaient en effet restées très en retard au « tout papier ». Ce ne sera plus possible. Depuis le 1er janvier, celles qui travaillent avec des clients du secteur public sont tenues de facturer par voie électronique. Dans un an, les TPE seront à leurs tours concernées. On peut imaginer qu’une fois le pli pris, elles numériseront aussi les documents intéressant leurs clients privés, d’autant que les banques leur fournissent dorénavant des relevés de compte électroniques. Pourquoi accepteraient-elles, dès lors, de continuer à payer des cabinets d’expertise comptable pour faire manuellement des données ?

Une augmentation exponentielle                                                              

Ce travail usait une partie importante du temps des employés des cabinets et sollicitait des compétences techniques et une grande minutie. Il sera vite réduit à peu de choses. Les quelque 70 000 emplois du secteur en deçà de bac + 3 seront les premiers concernés. Déjà, ces personnels comptent les trois quarts de l’effectif de la branche en 1996 n’en constituaient plus que la moitié en 2014. Le mouvement devrait s’accélérer. Aux Etats-Unis, où la numérisation est beaucoup plus avancée, l’industrie comptable n’a absorbé en 2016 que 35 000 des 79 000 nouveaux diplômés.

« La situation va s’avérer dramatique pour les jeunes professionnels, endettés pour financer leur installation »

Le dégât du chômage atteint une grande ampleur en Inde

Les sans-emploi sont les grands oubliés de l’ultime budget du gouvernement Modi avant les élections générales

Le gouvernement indien a exposé, vendredi 1er février, devant le Parlement, un budget taillé sur mesure pour les élections générales prévues dans quelques semaines, en avril et mai. De nombreuses exemptions fiscales et subventions ont été dévoilées pour satisfaire le maximum d’électeurs, des classes moyennes aux agriculteurs, en arrivant aux travailleurs du secteur informel.

Le gouvernement de Narendra Modi a garanti une aide directe de 6 000 roupies (73 euros) à 120 millions de paysans, pour un montant total de 9,3 milliards d’euros, et envisage, dans le même temps, d’exempter d’impôts les prestataires qui gagnent jusqu’à 6 250 euros par an. Pour ceux qui, parmi les hindous, vénèrent les vaches sacrées, le gouvernement va créer un nouvel organisme bovin national chargé de se pencher sur le bien-être animal. M. Modi a pensé à toutes les catégories de la population sauf deux : les minorités religieuses et les chômeurs.

Lors de la campagne électorale de 2014, la création de millions de fonctions avait pourtant été l’une des promesses-phares de M. Modi. Vendredi, elle a quasiment disparu du discours du ministre indien de l’économie par intérim, Piyush Goyal, qui a préféré insister sur la création « d’une économie à 5 000 milliards de dollars [4 370 milliards d’euros] d’ici à cinq ans ». Pourtant, la crise du chômage a atteint en Inde une ampleur inédite. Selon l’exposé d’une agence gouvernementale qui a fuité dans la presse indienne, il s’élevait à 6,1 % lors de l’année fiscale se terminant au 31 mars 2018, un record historique.

La mesure du nombre des sans-emploi dans un pays où entre 80 % et 90 % de la population active travaille dans le secteur informel est forcément imprécise, mais elle donne une tendance qui ne cesse de se dégrader, année après année. Une réalité confirmée par plusieurs chiffres. Les chemins de fer indiens ont, par exemple, reçu, en 2018, 25 millions de candidatures pour 89 000 postes à pourvoir, et la cantine d’une administration publique en a reçu 7 000, après avoir fait savoir qu’elle explorait à recruter treize serveurs.

Travail précaire et peu qualifié

« La forte croissance ne peut pas être une fin en soi dans une démocratie aussi vaste que l’Inde », s’inquiète le quotidien Hindustan Times. Alors que les responsables politiques indiens avaient l’habitude de mesurer leur bilan économique à l’aune du seul taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), l’inactivité est en passe de devenir un enjeu politique. « Le “Führer” nous a promis 20 millions d’emplois par an. Cinq ans plus tard, le rapport sur la création d’emplois montre que c’est un désastre national », a diffusé, jeudi 31 janvier, Rahul Gandhi, le président du Parti du congrès, dans l’opposition, sur Twitter.

Enfants d’agriculteurs le « retour à la terre »

Ils ont fréquemment fait des études supérieures, voyagé, vécu en ville, puis sont revenus « à la ferme », avec un regard neuf sur l’activité familiale. Témoignages de cette génération qui veut régénérer les pratiques agricoles.

L’instant de la moisson est sa madeleine de Proust. Quand il évoque ses souvenirs d’enfant, Guillaume Fourdinier, 31 ans, parle avec émotion de la ferme de ses parents, sur la côte d’Opale. Ses odeurs, le bon goût d’un fruit mûr juste cueilli, les repas où l’on mange les produits des fermes voisines, les jeux sur le tracteur paternel.

Emile et Jules Winocour, 35 ans et 31 ans ont, eux, vécu dans une ferme à l’orée de la forêt de Rambouillet. Et eux aussi sont imprégnés de ce moment si distinctif qui cristallise la fin d’une récolte : la moisson, à la fin de l’été, synonyme de fête et d’accomplissement dans l’année.

Tous les trois ont fait des études à l’université. Ils ont voyagé, vécu à l’étranger, en ville, puis ils sont de retour dans le monde agricole, avec des idées et un regard neuf sur l’activité familiale. « Les parents encouragent les enfants à se constituer un capital scolaire car la construction d’un revenu agricole est de plus en plus incertaine, explique François Purseigle, coauteur de Sociologie des mondes agricoles (Armand Colin, 2013, 320 p.,) avec Bertrand Hervieu. Depuis les années 2000, le niveau de formation des chefs d’exploitation n’a pas cessé de croître. En 2010, 17 % d’entre eux avaient un diplôme d’études supérieures. Ils n’étaient que 11 % en 2000. Les jeunes actifs agricoles sont aussi mieux formés que leurs aînés. »

« Quelques hectares de bio »

« Reprendre la ferme » n’est plus systématique, même si l’agriculture figure parmi les univers professionnels où la transmission intrafamiliale est la plus forte. Selon l’Insee, 46 % des fils d’agriculteurs deviennent ouvriers ou employés, 26 % exercent une métier intermédiaire ou deviennent cadres et 28 % conservent un statut d’indépendant.

« Je suis de plus en plus captivé par l’agriculture. Mais pas celle de mes parents, conventionnelle, intensive »

Alexis B., enfant d’agriculteurs céréaliers dans le Val-d’Oise, est de ceux qui posent en question les pratiques de leurs parents. Encouragé à faire des études, il est diplômé de l’Ensae ParisTech en 2011. Il commence sa vie professionnelle à Londres, dans la recherche, la finance, le journalisme économique. De retour en France, à 25 ans, il choisit de passer l’agrégation de philosophie. « L’économie, mes parents trouvaient ça prestigieux, mais la philosophie, ils ont eu trop de mal à accepter », déclare aujourd’hui ce jeune enseignant de 30 ans, qui s’interroge peu à peu sur son envie de reprendre la ferme familiale.

Le mérite est la « bonne attention des gagnants du système »

David Guilbaud, technocrate issu de la classe moyenne, déconstruit le mythe d’un système scolaire français qui admettrait l’ascension sociale. Selon lui, l’idée que « quand on veut, on peut » est en conflit avec « la rigidité de notre société ».

Le principe du mérite agit comme une fiction très forte, notamment parce qu’il donne « bonne conscience » aux gagnants du système. C’est ce que démontre David Guilbaud, 26 ans, haut fonctionnaire, ancien élève de Sciences Po et de l’ENA, dans l’essai L’Illusion méritocratique, publié fin 2018 chez Odile Jacob. Originaire de Rennes, David Guilbaud est issu de la classe moyenne, avec un père cadre qui a connu de longues périodes de chômage et une mère qui a débuté des études supérieures sur le tard. Il raconte son expérience et sa pédagogie des codes de « l’élite » parisienne.

« Vous êtes l’élite de la nation » : voilà le genre de phrase que les étudiants de Sciences Po entendent dès leur arrivée, comme vous l’écrivez dans votre livre. Pourquoi cela pose-t-il problème ?

Ce genre de phrase collabore à ancrer dans l’esprit des étudiants qu’ils sont, par essence, différents des autres, que s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont davantage de valeur que les autres. Pourtant, dans le cas de Sciences Po, ce ne sont jamais que des jeunes de 18 ans qui ont réussi un concours, certes exigeant mais reposant sur l’apprentissage d’une méthode et la mémorisation d’un contenu. Cette phrase acte le fait qu’avec l’étiquette donnée par la grande école, l’élève n’aura plus à faire ses preuves, ou en tout cas profitera partout et tout le temps d’un a priori favorable.

Ce genre de discours existe pareillement ailleurs, à l’ENA notamment : il alimente le sentiment que les élèves sont d’une valeur telle qu’ils peuvent se suffire à eux-mêmes et que, quel que soit leur poste, ils pourront s’en sortir grâce à leurs qualités personnelles. C’est mauvais pour le fonctionnement de l’administration et pour l’intérêt général, car l’une des qualités premières des cadres de la fonction publique doit être de savoir assister avec leurs collègues et écouter leurs critiques.

Vous faites le portrait-robot d’un diplômé type de Sciences Po, mélange d’« arrogance tranquille » et de « mépris souriant », qui n’a pas connu de vraies difficultés mais aime « donner des leçons sur la valeur travail ». N’est-ce pas ces caractéristiques qui sont reprochées au gouvernement actuel ?

L’idée que « quand on veut, on peut » est en contradiction avec la rigidité de notre société et du marché de l’emploi. Les jeunes ont le sentiment que tout est joué dès la sortie de l’école et, de fait, les destins sociaux sont largement déterminés à l’âge de 30 ans. Cette impression de blocage n’est sans doute pas sans lien avec ce qui se passe actuellement.

De même, il est assez impressionnant de voir que toutes les analyses sur les « gilets jaunes » se concentrent sur la manière dont le mouvement s’exprime, alors que le véritable sujet est de comprendre pourquoi cela est arrivé. Ce mouvement est la traduction concrète de cette réalité sociale que nient précisément les discours méritocratiques du type « quand on veut on peut ». La violence de ce discours a été exaspérée par certaines petites phrases, critiquées pour le mépris social qu’elles incarnaient : là se trouve sans doute un facteur conjoncturel majeur dans l’embrasement du mouvement des « gilets jaunes ». Si on est démocrate, on ne peut que se réjouir de constater que, chez ceux qui manifestent, s’affiche une volonté de se réapproprier leur destin social.

Vous parlez à plusieurs répétitions de « l’indigence » de certains enseignements dans les grandes écoles…

Le contenu de la scolarité à l’ENA telle que je l’ai vécue était insuffisant. Aucun sujet de fond ne pouvait être creusé, faute de temps. A cela s’ajoute la pression des « épreuves de classement », qui encouragent une logique utilitariste chez les élèves et les détourne, donc, de cet effort intellectuel. Parce que l’ENA se considère comme une école d’application, le cursus est construit sur le postulat que l’essentiel des contenus intellectuels nécessaires a déjà été intégré pour le concours. C’est une erreur, car cela corrobore qu’une réflexion de fond sur les enjeux auxquels nous sommes confrontés dans nos métiers de hauts fonctionnaires n’est finalement pas obligatoire tant que nous sommes de bons techniciens.

Pour les oraux de l’ENA, vous écrivez que « la joute d’esprit, la repartie, (…) la détente sans l’insolence… » sont autant de qualités maîtrisées par les enfants des classes supérieures…

A l’oral de l’ENA, il faut présenter qu’on fait partie du même monde que l’examinateur, tout en sachant rester humble, et arriver, pour les plus doués, à glisser un mot d’esprit subtil au moment juste. C’est presque du théâtre. C’est pour cela qu’il est très compliqué d’apprendre à se comporter « convenablement » quand on vient d’un milieu social qui n’a pas ces codes culturels. L’apprentissage de ces savoir-être est long, difficile et jamais complètement réussi – il subsiste toujours quelque chose d’un peu forcé, d’un peu artificiel chez ceux qui n’y ont pas été sensibilisés sur le temps long.

D’où vient historiquement cette notion de méritocratie ?

Le terme a été forgé par le sociologue Michael Young [1915-2002], au milieu du XXe siècle, mais notre rapport au mérite, sur un plan politique, est lié à l’héritage de la Révolution française. C’est un principe de légitimation qu’il a été nécessaire de mettre en avant pour justifier la fin des privilèges féodaux et soutenir la montée en puissance politique et économique de la bourgeoisie. C’est l’affirmation qu’il existe une égalité en droit des individus : vision théorique, idéalisée, d’un monde où la réussite n’est plus déterminée par la naissance mais par les efforts de chacun.

« La méritocratie est un principe de légitimation puissant pour les catégories sociales dominantes, qui peuvent proclamer qu’elles ont mérité leur sort. »

C’est évident que cette idée occulte le fait que les conditions économiques et culturelles dans lesquelles grandit un enfant affectent sensiblement ses perspectives dans la société. Cette fiction est un principe de légitimation extrêmement puissant pour les catégories sociales dominantes, qui peuvent proclamer qu’elles ont mérité leur sort.

Mais la mobilité sociale est de nos jours relativement limitée : en 2009, seuls 18 % des enfants de salariés connaissaient une trajectoire sociale ascendante d’ampleur, c’est-à-dire les voyant accéder à un emploi de cadre supérieur alors que leurs parents étaient employés ou ouvriers. Un parcours comme celui de Pierre Bourdieu, fils de petit fonctionnaire, devenu professeur au Collège de France, est désormais, sinon impossible, en tout cas plus difficile. Par ailleurs, cette évolution n’est ni un processus à sens unique ni une dynamique irréversible : certains individus connaissent ainsi une trajectoire « descendante », qui les conduit à une position sociale moins favorable que celle dont bénéficiaient leurs parents. Le sociologue Camille Peugny a ainsi montré que les risques de mobilité sociale descendante étaient plus élevés pour les enfants de cadres lorsque leurs parents étaient issus de milieux dits « populaires ».

Pourquoi les dispositifs d’égalité des chances des grandes écoles manquent-ils leurs objectifs ?

Ils fonctionnent ponctuellement, parce qu’ils permettent à une poignée d’étudiants venant de milieux défavorisés de s’en sortir. L’expérience n’est d’ailleurs pas toujours rose pour ceux qui en bénéficient : parfois, l’étiquette « égalité des chances » colle à la peau. Je me souviens que, lorsque nous avons été admis à l’ENA, le directeur de Sciences Po avait fait une conférence devant les lauréats en soulignant que l’un d’entre nous venait des CEP [conventions éducation prioritaire]. Un hommage, de son point de vue, mais aussi, inconsciemment, le rappel que l’intéressé restait marqué par cette filière « différente » par laquelle il était entré à Sciences Po. L’adaptation des élèves concernés au nouveau milieu social auxquels ils accèdent est souvent difficile : une enseignante à Sciences Po m’expliquait ainsi qu’elle reconnaissait tout de suite les copies des CEP, parce qu’elles étaient plus « scolaires ». La carence de maîtrise de la culture légitime est aussi un handicap, dans un milieu où certains savent manier leur connaissance de l’opéra pour marquer leur appartenance à une certaine classe sociale.

Principalement, la principale délicat que l’on peut faire sur ces dispositifs est qu’ils ne changent hélas rien au problème systémique. Ce qui ne signifie pas qu’il faille les abandonner : si l’on parvient ainsi à permettre à un étudiant de s’en sortir, c’est toujours cela de pris. Mais politiquement, ils ont un effet pervers : celui de servir de « bonne conscience » aux défenseurs d’une organisation sociale inégalitaire dont ils bénéficient, et à laquelle ils doivent le fait qu’ils se situent en haut de la pyramide. Il faut donc faire l’effort de penser plus loin : à court terme, poursuivons les actions pour l’« égalité des chances », mais à long terme, interrogeons-nous sur les moyens d’atteindre une plus grande égalité des places en réduisant les différences dans la société.

La manie de démissions dans les banques françaises

Entre 2015 et 2017, les démissions ont progressé de 85 % chez LCL.
Entre 2015 et 2017, les démissions ont progressé de 85 % chez LCL. Regis Duvignau / REUTERS

Que se passe-t-il dans les banques françaises pour que les « bonnes places » qu’elles proposaient ­naguère n’arrivent plus à retenir une part croissante de leurs salariés, surtout les plus jeunes, toujours plus nombreux à présenter leur démission ?

Le constat est partagé par la composition de la profession : en l’espace de deux ou trois ans, les démissions ont gagné du terrain, au point d’évoquer « désormais le principal motif de départ, en lieu et place des départs à la retraite [largement majoritaires en 2014] », note l’Observatoire des métiers de la banque dans sa dernière étude, publiée en décembre 2018.

La disposition est identique dans tous les grands établissements, même si l’ampleur du phénomène varie. Les démissions ont progressé de 85 % chez LCL entre 2015 et 2017, de plus de 40 % chez BPCE (Banque populaire Caisse d’épargne), et de près de 30 % pour les activités françaises de Société générale et de BNP Paribas.

Les chargés de clientèle, représentes de proue des enseignes bancaires, sont les plus nombreux à renoncer

La banque, qui pèse 2 % de l’emploi salarié en France, et qui a longtemps été collaboratrice à la sécurité de l’emploi et à des perspectives de carrière, est en passe de devenir un secteur comme les autres : les démissions y représentent en moyenne 36 % des départs en CDI, contre 40 % pour l’ensemble du secteur privé en 2017.

Révolution numérique et baisse de production

Derrière ces énumérations, certains métiers retiennent moins bien les salariés que d’autres. Les chargés de clientèle, symbolises de proue des enseignes bancaires, sont ainsi les plus nombreux à abandonner, loin devant les gestionnaires de back-office (chargés du traitement administratif des dossiers), les analystes risques ou les responsables des ressources humaines.

Elise (son prénom a été changé), conseillère clientèle à Paris, vient ainsi d’abandonner LCL, où elle travaillait depuis plus de dix ans, pour passer à la concurrence, dans le groupe Banque populaire. Elle évoque les restructurations qui frappent l’ensemble du secteur bancaire et dégradent les conditions de travail.

« J’ai appris que mon agence fermait lorsque des techniciens sont venus prendre des mesures pour démonter les distributeurs automatiques, déclare-t-elle. Nous avons rejoint un autre site de la banque, de l’autre côté de la rue. Mais il n’y avait pas suffisamment de bureaux pour tous les conseillers. Nous sommes donc passés en bureaux partagés. On nous avait retiré des automates bancaires du jour au lendemain. Il fallait gérer l’insatisfaction des clients. En revanche, sur le plan commercial, la pression restait très forte. Quand une autre banque m’a proposé un poste intéressant, j’ai démissionné. »