Poissons d’avril

« Il est apparu que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après desserrage. »
« Il est apparu que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après desserrage. » Philippe Turpin / Photononstop

Dans sa chronique Annie Kahn réintègre sur quelques études pour le moins insolites menées par les chercheurs en conduites des organisations ou les psychologues du travail. Tour d’horizon instructif en ce jour si distinctif.

Les chercheurs en conduite des organisations, sociologues et psychologues du travail, neuroscientifiques, s’inclinent parfois sur des sujets qui auraient passé pour des poissons d’avril, et qui pourtant n’en sont pas. En cette semaine propice aux canulars de tous ordres, nous en avons choisi trois, qu’il serait risqué de ne pas prendre au sérieux malgré leurs apparences.

Ainsi en est-il du port de la cravate. Porter une cravate bien ajusté diminue le flux sanguin cérébral prévient Christophe Rodo, jeune chercheur finissant une thèse en neurosciences à Aix-Marseille Université, au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, dans un article de la revue en ligne The Conversation. Une équipe de chercheurs en médecine de l’Université de Kiel (Allemagne), a établi le phénomène en passant trente personnes, pour moitié attaqués, et pour moitié col ouvert, au crible d’un IRM.

Il est présenté que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après dévissage. Cette fluctuation serait sans gravité pour les personnes en bonne santé. En revanche, elle pourrait se révéler problématique pour les personnes âgées, les fumeurs et tout individu fragile au plan vasculaire. On ne peut donc que s’amuser de l’abandon progressif du port de cet auxiliaire vestimentaire.

Avec caquette de baseball ou casque à vélo?

Si œuvrer cravaté reste une pratique proportionnellement courante, il est plus rare de porter un casque de cycliste au travail, quand la tâche à accomplir n’est pas physiquement dangereuse. Sauf à gamberger professionnellement, tout en roulant. Quoiqu’il en soit, mieux vaut savoir que porter un casque incite à prendre des décisions plus risquées ont prouvé des chercheurs en psychologie de l’Université de Bath (Angleterre).

Ils ont confronté les attitudes de deux groupes de joueurs de jeu vidéo. Les uns portaient une casquette de baseball et les autres un casque de cycliste. Le résultat était patent. Les porteurs de casques étaient plus audacieux. Enfin que l’on soit ou non casqué ou cravaté, travailler debout affile l’esprit, affirment Yaniv Mama, chercheur à l’Université Ariel (Israël) et deux de ses collègues.

Une formation pour anticiper le burn-out

Des stagiaires du Crédir pendant une séance de travail en extérieur.
Des stagiaires du Crédir pendant une séance de travail en extérieur. Crédir

Cette situation touche des salariés occasionnellement très jeunes et il reste mal pris en charge. En pleine campagne, des salariés ou les directeurs d’entreprises souhaitant anticiper ou guérir un burn-out peuvent suivre un stage sur le phénomène.

Au XIVe siècle, la commanderie des Antonins d’Issenheim, en Alsace, est un haut lieu de pèlerinage. On vient ici projeter une maladie effrayante, le « feu de saint Antoine ». Les souffrants sont conduits devant le fameux retable d’Issenheim : ils trouvent réconfort et consolation devant ce chef-d’œuvre de la Renaissance germanique. Aujourd’hui, c’est un mal différemment moderne que l’on soigne en Alsace. Depuis 2013, à Kientzheim, près de Colmar (Haut-Rhin), un centre organise des stages de formation pour anticiper ou sortir du burn-out. Un état de détresse psychologique qui, selon un rapport de l’Académie nationale de médecine, est lié à une « impossibilité de faire face à un facteur professionnel stressant chronique », et qui se traduit par un épuisement et un « sentiment de perte de sens de soi-même ».

Ce vendredi de mars, huit personnes participent au 53e stage disposé par le Crédir, à Kientzheim. Pendant trois jours, entourés par une équipe interdisciplinaire de médecins, d’experts en ressources humaines et de coachs sportifs, les stagiaires alternent présentations, entretiens individuels et activités physiques. Les profils sont variés : le plus jeune a 24 ans, la doyenne 64. Gérant, consultante, restauratrice ou étudiant, tous éprouvent les mêmes symptômes : surtravail, troubles du sommeil et de la mémoire, addictions numériques, maladies ponctuelles ou chroniques dominant aller jusqu’au problème cardio-vasculaire, l’AVC ou encore l’infarctus.

« Durant deux ans, il m’a été impossible d’apprendre ne serait-ce qu’un nouveau nom », développe le créateur de la formation

« Le terme est vulgarisé : on évoque 3 millions de personnes en risque de burn-out. Cette standardisation pose problème : d’après le psychiatre Herbert Freudenberger, le premier à décrire le phénomène, une personne en burn-out est une personne en danger de mort », souligne Jean-Denis Budin. Cet constructeur sait de quoi il parle. Avant de fonder le Crédir, il a connu une telle crise qui s’est traduit par une énorme fatigue, une apathie et une perte totale de ses capacités de mémorisation : « Pendant deux ans, il m’a été impossible d’apprendre ne serait-ce qu’un nouveau nom. »

Le Crédir présente un espace de parole bienvenu aux salariés en souffrance.

Le Crédir présente un espace de parole bienvenu aux salariés en souffrance. Crédir

Nicolas Moreau, ancien stagiaire du Crédir, a fait un AVC avant ses 40 ans. « Les médecins me disaient que c’était irréalisable, se souvient celui qui travaillait alors comme DRH pour un groupe de 3 500 salariés. L’actionnaire m’a demandé de collaborer à la destruction de l’entreprise. Une vraie irruption aux enfers : pendant neuf mois, il a fallu ménager la motivation des salariés tout en vendant la boîte par petits bouts. J’en suis sorti très abîmé. Le Crédir m’a sauvé la vie. »

Etre professeur, à tous prix

Des milliers de candidats se disposent à plancher sur les épreuves du capes. Face à la crise des vocations, à l’université de Cergy-Pontoise, des étudiants développent leur choix de regagner l’éducation nationale.

Debout, dos au grand tableau vert, Julien relit une dernière fois ses notes de cours. « Quelqu’un a une balle antistress ? », souhait le jeune homme à lunettes, souriant, avant d’affronter l’épreuve. Face à lui, ses compagnons de première année de master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation de mathématiques de l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), et leur formatrice, Céline. A la rentrée prochaine, si Julien – les personnes questionnées n’ont pas souhaité donner leur nom – réussit le concours du capes, le sésame pour apprendre au collège ou au lycée, il sera devant des élèves.

« Vous avez vingt minutes d’oral puis nous pourchasserons sur un entretien », lui développe la formatrice de l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPÉ) de l’académie de Versailles, qui rassemble cinq universités, dont celle de Cergy-Pontoise. Au menu de cet oral blanc, une leçon de géométrie sur les proportionnalités. Pour la vingtaine d’étudiants présents ce mercredi de mars, c’est la dernière ligne droite. La saison des concours s’annonce, entre la fin mars et le début du mois d’avril. Tous les étudiants présents dans la salle désirent devenir professeurs. La réputation en berne du métier, les rémunérations peu enthousiasmantes, le risque de débuter dans des établissements difficiles… : ils n’ignorent pas les pénuries qui les attendent. Ce sont celles qui, en quinze ans, ont contribué à faire diminuer le nombre d’inscrits aux concours du second degré de près de 30 %. La session 2019 du capes offre près de 9 000 places pour l’enseignement public et privé.

« Faire apprendre quelque chose à quelqu’un »

Julien et ses camarades protègent leur motivation. « J’aime l’idée d’un métier où, chaque jour, je peux me dire que je vais permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose », développe Marion, étudiante en première année, qui se destine aux lettres modernes. Même si apprendre n’était pas son « choix numéro un », ce désir a mûri au cours de ses études supérieures. Elsa, elle, assure une envie précoce. « J’y pense depuis le primaire ! » Après un détour de trois ans en droit – « une matière trop froide » –, elle s’est lancée.

Les deux jeunes femmes n’ont pas de naïveté sur le métier qui les attend : elles ont déjà une procédé du professorat. Toutes deux ont bénéficié d’emplois d’avenir professeur, dispositif de formation en alternance créé sous la gauche, autant pour contenir la crise de recrutement que pour donner un coup de pouce financier à des jeunes que la perspective d’un bac + 5 peut freiner. Cette logique de prérecrutement que le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, envisage de renforcer, a permis à Elsa et à Marion de faire cours une journée par semaine et d’être rétribuées. « Cela m’a vraiment confortée dans mon choix d’être prof », déclarent-elles d’un même élan.

Les réunions silencieuses 

Selon une étude de l’IFOP, nous passons en moyenne 4 heures par semaine en réunion. Alors que leur rendement n’est pas certaine, certains désirent réétudier cet instant collectif et se consacrent aux « silent meetings ».

Les réunions silencieuses sont considérées comme un nouveau levier de l’inclusion au bureau.
Les réunions silencieuses sont considérées comme un nouveau levier de l’inclusion au bureau. GIORGIO FOCHESATO / WESTEND61 / PHOTONONSTOP

Pour : la parole aux taiseux

A part peut-être s’éclaircir avec son café du matin, il n’y a pas grand-chose de pire que de démarrer la journée de travail par une « réu’». Fréquemment, cela renvoie à subir les visions business poussivement grandiloquentes et les aphorismes téléphonés (« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ») d’un Napoléon du tertiaire. Ce pensum est loin d’être anecdotique puisque nous passons quatre heures par semaine en réunion (IFOP 2018), ce qui équivaut tout de même à vingt-sept jours de travail par an.

Au contraire cette tendance à se rassembler autour d’une table où trônent des mini-viennoiseries, seuls 12 % des cadres examinent que toutes les réunions auxquelles ils collaborent sont « réellement productives et efficaces ». En toute logique, 75 % des salariés avouent avoir déjà fait autre chose lors de ces grands-messes de bureau, au lieu de se focaliser sur l’ordre du jour (IFOP, 2014).

Inutilité, dissémination, sentiment d’inutilité : tout cela n’est pas dû au hasard. Un des principaux griefs affirmés à l’encontre de la réunion dans sa forme classique est le darwinisme de la parole qu’elle favorise. Tels de grands fauves, ceux qui se trouvent au sommet de l’organigramme conduisent l’attention, admettant que quelques orateurs au pelage brillant soient aussi conviés à la fête, histoire de faire croire que l’on est en train de vivre un grand moment de démocratie directe. Pour les autres, l’heure est au semi-coma contemplatif, à la fuite numérique via le smartphone, voire clairement à la sieste digestive.

Il était donc essentiel de reconsidérer ce rituel inefficace. « Si, pour des raisons de statut ou de capacité, tout le monde n’est pas égal face à la prise de parole, pourquoi alors ne pas tout simplement arrêter de parler ? », se sont dit les promoteurs du nouveau concept de réunion silencieuse.

Arrivés des Etats-Unis, ces « silent meetings » auraient été lancés, selon le site Quartz, par Jeff Bezos, le patron d’Amazon. Lors des réunions exécutives du géant du commerce en ligne, les adhérents doivent lire et annoter en silence, durant trente minutes, un mémo de plusieurs pages, avant de pouvoir définitivement s’exposer. Les interventions sont alors généralement concises et pertinentes, enrichies par ce moment d’application antérieur où les enjeux stratégiques auront eu le temps d’infuser en chacun.

Chez Square, entreprise californienne spécialisée dans le rémunération mobile, c’est au moyen de leurs ordinateurs portables que les cadres, bec clos, sont invités à annoter un Google Doc – il est donc possible de participer à la réunion sans être physiquement présent. Les vertus de ces réunions silencieuses sont abondantes, mais la première d’entre elles est de faire émerger des voix qui sont facilement inaudibles, ou marginalisées, dont la voix des femmes. Comme le soulignait une étude menée par les universités de Brigham Young et Princeton en 2012, les hommes accapareraient 75 % du temps de parole en réunion, et pas toujours pour faire jaillir des idées lumineuses. Le silence studieux n’est donc rien moins que le nouveau levier de l’inclusion au bureau.

Le Parlement veut restituer de l’ordre dans l’accès en soirée des commerces alimentaires

Maintenant considérée au Sénat, la loi Pacte pourrait octroyer aux enseignes de concession alimentaire la possibilité d’employer du personnel dans les magasins au-delà de 21 heures, sans avoir à amoindrir au travail de nuit

Pouvoir pousser son chariot dans les allées de son hypermarché après 21 heures, en rentrant du travail ? Ce sera peut-être bientôt une réalité. Simultanément étudiée au Sénat, avant un dernier passage à l’Assemblée nationale courant avril, la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la modification des entreprises) ne va pas seulement raccourcir la durée de la période des soldes de six à quatre semaines.

Elle admettra aussi, probablement, aux enseignes de distribution alimentaire d’ouvrir, en toute légalité, leurs portes en début de soirée. Une disposition du projet de loi leur donne, sous conditions, la conjoncture d’employer du personnel dans les magasins au-delà de 21 heures, sans avoir à recourir au travail de nuit, rarement autorisé dans le secteur.

Une telle exception serait plus utile pour des commerces de proximité dans les grandes villes que pour des grandes surfaces dans les territoires ruraux et ce, afin d’être sur un pied d’égalité avec des acteurs tels qu’Amazon ou Uber Eats. Chez Monoprix, on recense plus de 1,6 million de Parisiens qui, chaque année, accomplissent leurs achats en soirée, avec plus de 5 millions de passages en caisse.

Cela contient des enjeux financiers, mais aussi sociétaux, selon Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, qui représente 26 000 points de vente. Il enregistre « une vraie demande à Paris, comme dans d’autres grandes villes de France, en raison des changements de rythme de vie et d’un fractionnement des achats alimentaires ». Or aujourd’hui, pour contourner une réglementation très stricte sur le sujet, des supérettes ouvertes sans interruption 24 heures sur 24, avec des caisses automatiques et des vigiles pour garantir la sécurité, ont commencé à voir le jour.

42 000 salariés concernés

De ce fait, un filtrage de la législation devenait urgente. « Ce n’est pas une fois que les magasins 24 heures sur 24 se seront démultipliés qu’il faudra songer à sauver l’emploi », poursuit M. Petiot. Il précise que 42 000 salariés sont intéressés par le travail en soirée dans le commerce alimentaire dans l’Hexagone mais que, par contre, « il n’y a pas de demande des autres secteurs. L’alimentaire est très spécifique par sa récurrence d’achat, que l’on ne retrouve pas dans l’habillement, par exemple ».

Mené dans le projet de loi par des modifications au Sénat, ce toilettage de la législation du travail en soirée dans les commerces alimentaires a été réformé à l’Assemblée nationale sur ses contreparties sociales. Le texte doit encore être opté en dernière lecture par les deux Chambres.

Xavier Bertrand recommande de prévoir l’âge de la retraite à 65 ans d’ici à 2032

Le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, le 2 février 2018.
Le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, le 2 février 2018. ÉRIC PIERMONT / AFP
« Au gouvernement, on sait bien qu’il faudra œuvrer plus abondamment, mais il y a un verrou à l’Elysée pour ne pas agréer cette évidence », a assuré l’ancien ministre.

Il faut avoir le « courage » de refluer l’âge légal de départ à la retraite, a affirmé dimanche 31 mars Xavier Bertrand à l’intention d’Emmanuel Macron. « Le président de la République est intimidé sur cette question (…), il y a une sorte de tabou », a évalué l’ancien ministre, auteur d’une réforme des retraites, dans l’émission « Le grand rendez-vous » d’Europe 1/Les Echos/CNews.

Le premier ministre, avait assuré le 20 mars que le gouvernement n’avait pas le projet de reculer l’âge de départ à la retraite (62 ans), tout en se disant ouvert à l’idée de « travailler plus longtemps » pour financer la prise en charge de la dépendance par la Sécurité sociale. La ministre des solidarités, Agnès Buzyn, avait dit auparavant ne pas être « hostile » à reculer l’âge de la retraite.

Pour Xavier Bertrand, « on peut apporter des solutions, mais il faut dire la vérité et il faut du courage ». Le président de la région des Hauts-de-France préconise de porter d’ici à 2032 l’âge de la retraite à 65 ans, à raison d’un accroissement de la durée de « deux ou trois mois par an » à partir de 2020.

Les professions les plus dures physiquement ne seraient pas intéressées, a-t-il ajouté, appelant à « trouver la réponse à ce scandale français qui fait qu’entre un ouvrier et un cadre supérieur, il y a sept ans de différence d’espérance de vie » en défaveur du premier.

« Au gouvernement, on sait bien qu’il faudra travailler plus longtemps, mais il y a un verrou à l’Elysée pour ne pas accepter cette évidence », a pareillement assuré Xavier Bertrand dans une interview au Journal du dimanche. « Ne pas reculer l’âge de départ à la retraite, c’est mentir aux Français », a-t-il affirmé.

Comment briser avec l’idée que « tout se joue à l’école »

« Même si cette fonction de sélection est exprimée aujourd’hui de manière plus égalitaire – l’école doit aider chacun à identifier ses propres talents –, une vision finalement très figée des capacités a subsisté. »
« Même si cette fonction de sélection est exprimée aujourd’hui de manière plus égalitaire – l’école doit aider chacun à identifier ses propres talents –, une vision finalement très figée des capacités a subsisté. » Fotosearch / Photononstop

Son Thierry Ly

Chercheur et entrepreneur, cofondateur de la plate-forme Didask

Spécialiste de l’éducation, Son Thierry Ly montre que le retour en formation des salariés ne sera réel que s’ils brisent avec l’esprit de signification éduqué par le système éducatif.

L’Aménagement de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié au mois de février un rapport classant la France dans le dernier tiers des pays développés pour le but de son système de formation continue (« Getting Skills Right : Future-Ready Adult Learning Systems », voir lien PDF). Cette initiative a été peu médiatisée. Et pourtant… Au même titre que les fameux rapports PISA concernant l’école, il devrait interpeler l’opinion publique dans un contexte d’évolutions technologiques rapides et de renforcement progressif de la durée de vie professionnelle.

Comment agir ? Une réforme de l’organisation de notre système vient d’être adoptée ; les décrets sont en train de paraître. Désormais, les entreprises vont devoir proposer habituellement des formations à l’ensemble de leur personnel et pas seulement à une petite minorité. A partir de l’automne prochain, des applis devraient aussi permettre aux salariés de trouver plus aisément les cursus adaptés à leurs besoins.

Mais il reste un angle mort : l’envie de se former en continu n’a rien d’une vérité dans un pays où est généralement répandue l’idée que « tout se joue à l’école ».

Cet état d’esprit est lié à l’histoire même de notre école monarchiste, fondée à la chute de l’Ancien Régime afin de partager les positions sociales non plus en raison de la naissance, mais du mérite et des talents de chaque individu : ce fut à l’école que revint la mission d’évaluer les capacités afin d’assimiler ceux qui encaissaient d’appartenir à l’élite.

Des effets délétères

Même si cette fonction de sélection est exposée actuellement de manière plus égalitaire – l’école doit aider chacun à identifier ses propres talents –, une vision finalement très figée des capacités a subsisté. Comme si l’école n’était pas là pour que je devienne bon en mathématiques, mais avant tout, pour m’aider à découvrir si, oui ou non, je suis fait pour les mathématiques…

Examiner les capacités comme prédéfinies, fixées une fois pour tout, a des effets délétères. Lorsque je commets une erreur, dans un tel contexte, celle-ci n’est pas une source d’apprentissage, mais un révélateur de mon niveau intrinsèque. Chaque occasion d’apprendre est vécue comme une évaluation… que je risque fort de fuir une fois devenu adulte. Soit parce que je suis sorti du système scolaire sur un échec, et la formation continue risque de consolider l’image déjà très négative que j’ai de mes capacités. Soit parce que j’ai été au contraire bon élève, et que je renâcle à devoir prouver à nouveau ma valeur, avec le risque de voir remis en cause mon statut ou mon expertise. La motivation à se former en cours de carrière n’augmentera pas sans agir sur cet état d’esprit.

 

« Le bureau est transformé le lieu de l’interruption éternelle »

« une étude démontre une augmentation de 56 % des courriers électroniques et une utilisation des messages instantanés en hausse de 67 % après la refonte de l’espace de travail en open space. »
« une étude démontre une augmentation de 56 % des courriers électroniques et une utilisation des messages instantanés en hausse de 67 % après la refonte de l’espace de travail en open space. » RAINER BERG / Westend61 / Photononstop

 « Open space », bureaux nomades, des longs meetings, la vie « moderne » dans les bureaux est transformée facteur de diminution de rendement, poussant les salariés à se réfugier chez eux, observe Jean-Denis Garo, spécialiste du marketing technologique.

Le bureau est-il le lieu de tous les maux ? Le sujet revient fréquemment depuis la fin des années 1980, mais les transformations technologiques, intégrées à ce que l’on nomme à présent la « digital workplace », le travail digitalisé, ont ravivé le débat. Le lieu de travail n’est effectivement plus unique : domicile, transport, tiers lieux (espace de coworking, plateaux ouverts (open space), bureau nomade (hot desking) ou bureau fermé, le travail se fragmente en autant de lieux, en autant d’espaces distincts…

L’enquête Webtorials (Workplace Productivity and Communications Technology Report 2017) nous apprend que les entreprises françaises égarent en moyenne 9 000 euros par salarié chaque année, du fait d’une collaboration et d’une communication inopérante. Entre réunions, perturbations dans l’open space, sollicitations et notifications diverses, le bureau est devenu le lieu de l’interruption permanente.

L’exercice de la réunion est assez comparable à un huis clos chiffré où chacun doit jouer son rôle sans manquer. Si les séminaires et les manuels fleurissent sur le moyen de rendre une réunion plus efficace, la rentabilité de ces dernières est souvent remise en question. Selon le baromètre annuel IFOP-Wisembly (« Les réunions et leur impact sur l’engagement des collaborateurs », 2018), les cadres passent vingt-sept jours par an en réunion, un chiffre en accroissement constante.

L’e-mail, unique moyen de transmettre

Le nombre de réunions hebdomadaires étant corrélé au salaire et au niveau de responsabilité, un cadre gagnant plus de 75 000 euros brut par an assiste à 6,7 rattachements par semaine. Alors que les cadres des grandes entreprises admettent que dans 46 % des cas, l’e-mail reste le seul et unique moyen pour transmettre les informations stratégiques sur le long terme.

Continuellement selon la même étude, la durée de réunion, qui s’allonge en proportion de la taille de l’entreprise, est doucement en baisse et serait de soixante-neuf minutes en moyenne. Les réunions sont donc un élément de disruption fort, dont la productivité est questionnée ; pourtant, elles ne sont qu’une apparence du problème.

Le concept d’open space n’est pas nouveau : Eberhard et Wolfgang Schnelle, deux consultants allemands, ont conceptualisé le « bureau paysager » dans les années 1950, avant qu’il ne soit choisi aux Etats-Unis et popularisé en Europe au cours des années 1980. Les objectifs initiaux sont simples : densifier l’occupation et diminuer les charges de l’entreprise.

Le secteur de l’IA face à une carence de main-d’œuvre

SEVERIN MILLET

Chanceux les jeunes diplômés qui maîtrisent les énigmes de l’IA, car les entreprises viendront à eux. « C’est à nous, employeurs, de convaincre les plus qualifiés d’entre eux de nous rejoindre », déclare Romain Lerallut, directeur de la recherche et développement de la société française de reciblage publicitaire sur Internet Criteo. Ce n’est pas donné à tous les personnes.

Avec l’enthousiasme actuel pour cette branche, la cote des professionnels a éclaté. La création, en France, de laboratoires par des géants internationaux tels que Facebook a encore avivé la lutte entre entreprises pour captiver ces talents rares.

Le 21 février dernier, Microsoft a officialisé l’ouverture, à Paris, d’un centre mondial de développement dévolu à l’IA accueillant une centaine d’ingénieurs. En 2018, IBM a annoncé vouloir réaliser 400 embauches dans cette branche en France. Samsung a ouvert un centre d’innovation au cœur de Paris destiné à accueillir une centaine de spécialistes, et Facebook a promis un investissement de 10 millions dans son laboratoire parisien d’ici à 2022…

Pour avoir les meilleurs profils, ces géants de la tech ont attaché des liens forts avec la recherche, à l’image de Google, qui a pris part à l’ouvrage d’une chaire d’IA à Polytechnique. « On a des partenariats avec les écoles pour permettre à des étudiants de travailler sur des projets », déclare pareillement Nicolas Sekkaki, le président d’IBM France. Les étudiants n’ont parfois même pas fini leur cursus quand ils incorporent ces sociétés en stage ou pour y finir leur thèse. « Les chercheurs qui publient beaucoup sont les plus courtisés par les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon], avec des offres de salaires qu’eux seuls peuvent formuler », mentionne Romain Fouache, directeur des opérations de Dataiku – une start-up française qui a pourtant réalisé, en décembre 2018, une levée de fonds de plus de 100 millions de dollars (89 millions d’euros).

Compétition truquée au niveau des revenus

Tous les acteurs font l’acte d’une compétition dissimulée au niveau des revenus. « Dès qu’un grand groupe veut monter une grosse équipe, il lui suffit de gonfler de 20 % les propositions salariales », observe Fred Raynal, PDG de Quarkslab, une société spécialisée en cybersécurité. « Ils ont importé le modèle de rétribution de la Silicon Valley, avec des stock-options ou des actions gratuites », ajoute Romain Lerallut.

Les zones périphériques, un terrain d’établissement d’emplois industriels

 Après 40 ans de désindustrialisation poursuit, les premiers signes de relance de l’activité se font sentir. Une récente carte de la production industrielle se dessine.

Durant les quatre dernières décennies, l’espace industriel a enregistré, en France, une érosion continue. Alors que l’industrie embauchait 6 millions de personnes en 1975 et était le premier servant d’emplois du pays, elle en occupait 3,3 millions en 2014, soit 12,5 % du total. Le secteur industriel est désormais dans le quatrième rang, derrière le public, le tertiaire résidentiel (à destination des ménages) et le tertiaire productif (à destination des entreprises). Néanmoins, depuis 2015, les premiers signes d’une réindustrialisation se font sentir. En 2017, le solde entre le nombre d’ouvertures et de fermetures d’usines a été positif pour la première fois depuis 2008 (+ 28 en 2017, + 18 en 2018), l’industrie a recréé de l’emploi et le résultat industriel a augmenté.

 

 

La situation industrielle française a connu, dans le même temps, une vraie recomposition. Même si le nord et l’est de la France, incluant Ile-de-France, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, accumulent toujours une part essentiel de l’emploi industriel (61 %), celle-ci s’est clairement amoindrie (73 % en 1975). L’industrie est actuellement répartie de manière plus homogène qu’elle ne l’était dans les années 1970.

Une évolution importante

Synthèse géographique mais aussi recomposition spatiale. Les petits pôles urbains sont les territoires où l’industrie pèse le plus strictement, même s’ils ne représentent que 7,1 % de l’ensemble des emplois industriels sur le plan national : 20,5 % de l’emploi total, contre 16,4 % dans les pôles moyens et 10,5 % dans les grands pôles. La part des emplois industriels touche 18,4 % dans les espaces à dominante rurale, contre 11,5 % sur le reste du territoire. Les espaces périurbains, eux, accueillent aujourd’hui près du quart des emplois industriels, alors qu’ils ne focalisent que moins d’un cinquième de l’emploi total.

 

De ce fait s’est produite, au cours des dernières décennies, une modification majeure, note l’Observatoire des territoires du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) dans un exposé de novembre 2018, « L’industrie dans les territoires français : après l’érosion, quel rebond ? » : l’industrie s’est déconcentrée des grandes aires urbaines vers le reste du territoire. En quarante ans, leur part dans l’emploi industriel est passée de 84,2 % à 78,6 %, ce qui reste élevé, mais indique que le périurbain constitue un potentiel vivier d’emplois industriels, pour peu que l’Etat se donne les moyens de conduire et de forcer son développement.