Pendant le Covid-19, le dialogue social continue

« En l’absence d’accord entre l’employeur et les membres du CSE, le recours à la visioconférence est limité à trois par an. »
« En l’absence d’accord entre l’employeur et les membres du CSE, le recours à la visioconférence est limité à trois par an. » Monty Rakusen/Cultura / Photononstop

En ces temps de crise sanitaire, un sujet fait l’unanimité : la nécessité de poursuivre le dialogue social. Edouard Philippe a annoncé, le 18 mars, organiser à échéance très régulière des rencontres en visio ou en audioconférence avec les organisations syndicales et patronales. Ces dernières – CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC et Medef, CPME, U2P – ont affirmé, deux jours plus tard dans un communiqué commun, le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective dans ce contexte. « Les négociations sociales sont le liant naturel pour mettre en œuvre l’injonction paradoxale qui nous est faite : rester chez soi, mais sans que l’activité économique ne s’arrête », analyse David Fonteneau, avocat associé au cabinet Ellipse Avocats, spécialisé en droit du travail.

« Le dialogue social continue plus que jamais », constate Maud Stéphan, déléguée générale de Réalités du dialogue social (RDS), association qui réunit élus syndicaux et directeurs des relations sociales. Philippe Portier, secrétaire national de la CFDT, souligne « le besoin d’un fonctionnement en bonne intelligence. Le dialogue social s’adapte pour traiter des questions essentielles que sont les conditions de travail des salariés, tout en assurant une activité économique réduite. »

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Concrètement, en cette période particulière, le comité social et économique (CSE) doit être consulté sur le recours à l’activité partielle, mais aussi sur les dérogations au droit du travail pour les entreprises « particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ».

Entreprises et partenaires sociaux s’organisent pour que le dialogue se poursuive à distance.

En l’absence d’accord entre l’employeur et les membres du CSE, le recours à la visioconférence est limité à trois par an. Mais, urgence sanitaire oblige, le recours à ce mode de consultation est encouragé. Le confinement introduit de nouveaux besoins de négocier. Un accord d’entreprise ou de branche est, par exemple, nécessaire pour qu’un employeur puisse imposer la prise de jours de congés payés à un salarié pendant le confinement. « S’il est fondamental de maintenir le dialogue social avec le CSE et les syndicats, renvoyer à la négociation pure et dure me paraît compliqué, car cela demande du temps, or, nous sommes dans une période de réaction aux événements », estime Julia Auriault, avocate associée au cabinet Ellipse Avocats.

Sur le terrain, entreprises et partenaires sociaux s’organisent pour que le dialogue se poursuive à distance. Une première pour la plupart des entreprises. « Tout le monde joue parfaitement le jeu », constate Jérôme Fréri, directeur des affaires sociales de Bouygues Telecom. Le dialogue social se poursuit quasi comme avant. Toutes les réunions sont maintenues. »

Covid-19 : la mobilisation des médecins du travail

« Depuis le confinement, les médecins du travail se sont réorganisés pour répondre à toutes sortes de questions des salariés et des entreprises »
« Depuis le confinement, les médecins du travail se sont réorganisés pour répondre à toutes sortes de questions des salariés et des entreprises » Roy SRoy Scott/Ikon Images / Photononstop

Chronique « Carnet de bureau ». Pour faciliter la lutte contre l’épidémie de coronavirus, une ordonnance publiée jeudi 2 avril a élargi le rôle des médecins du travail. Les 4 500 praticiens qui travaillent au sein des services de santé au travail interentreprises (SSTI) sont chargés de 15 millions de salariés. La baisse générale de l’activité économique en a libéré un certain nombre, qui se sont portés volontaires pour venir en aide aux centres hospitaliers.

Dans la Sarthe, par exemple, vingt-cinq infirmiers et dix-sept médecins ont rejoint le dispositif CovAmbu 72, en soutien du SAMU fin mars. La direction générale du travail (DGT) les a quasiment exclus du recours au dispositif de chômage partiel. « La demande d’activité partielle pour des catégories de personnel des SSTI doit rester exceptionnelle et ne pourra être acceptée que dans des cas extrêmement limités », indique l’instruction du 2 avril. Ils remplissent une mission d’intérêt général et doivent en assurer la continuité, explique la DGT.

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Depuis le confinement, les médecins du travail se sont réorganisés par hotline ou par téléphone pour répondre à toutes sortes de questions des salariés et des entreprises sur le port des masques, le maintien à distance… Mais aussi pour renforcer la prévention des salariés toujours en poste et enfin pour préparer le retour dans de bonnes conditions dans les entreprises qui s’apprêtent à relancer leur activité.

Possibilité de prescrire un arrêt

La nouvelle ordonnance vise à faciliter la mission des médecins du travail en leur accordant, temporairement, de nouveaux droits. Ils peuvent désormais prescrire un arrêt de travail, le prolonger en cas d’infection ou de suspicion d’infection d’un salarié et procéder à des tests de dépistage.

« L’ordonnance précise, sécurise nos pratiques dans cette période de crise et élargit notre rôle », explique Martial Brun, le directeur général de Présanse, l’organisme de représentation des services de santé au travail interentreprises. Depuis le début du confinement, il y avait une dérogation de fait des visites obligatoires des travailleurs. L’ordonnance légalise le report de certaines visites de suivi de santé et autres interventions « sans lien avec l’épidémie », comme les procédures d’inaptitudes par exemple. Sur le terrain, un entretien téléphonique préalable avait déjà remplacé la visite physique, sauf quand celle-ci était indispensable.

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La possibilité de prescrire un arrêt de travail devrait permettre « de limiter la propagation, et d’appliquer la règle générale qui veut qu’un médecin détectant un cas de Covid-19 ne doit pas le renvoyer vers un autre médecin, explique M. Brun. Concernant le personnel soignant salarié, en cas de soupçon d’infection, il devait d’abord s’adresser au médecin du travail qui n’avait jusqu’alors pas le droit de le mettre en arrêt. L’ordonnance permet dans cette situation de gagner un temps précieux ». En revanche, pour le dépistage, les services auront besoin de moyens de protection (masques, surblouses, gel, etc.) et de savoir quelle est l’exacte cible de ces tests : les salariés ou tout le monde.

Coronavirus : qu’attendre des actionnaires ?

« La déconnexion entre l’aventure entrepreneuriale et son financement a produit une sphère qui obéit à sa propre logique de valorisation des actifs »
« La déconnexion entre l’aventure entrepreneuriale et son financement a produit une sphère qui obéit à sa propre logique de valorisation des actifs » Roy Scott/Ikon Images / Photononstop

Chronique « Gouvernance ». Alors qu’une grande récession s’annonce, le gel des dividendes pour l’exercice 2019 ouvre un débat : hérésie anticapitaliste pour les uns, il paraît juste, pour les autres, de demander un effort aux actionnaires quand les entreprises manquent de liquidités et réclament le soutien des Etats. Au-delà des positions idéologiques, un tel choix financier pourrait symboliser un changement de paradigme : l’évaluation de la responsabilité sociale des entreprises va devenir le grand thème de leur gouvernance dans les prochaines années.

Car la crise révèle, une fois de plus, la défaillance du mécanisme qui, depuis les années 1970, a concédé aux acteurs financiers les moyens d’orienter l’activité économique. Leur pouvoir tient à la masse d’épargne qu’ils gèrent et qu’ils allouent aux investissements de leur choix en acquérant des parts de capital.

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Le pouvoir des actionnaires peut être légitime dans la mesure où ils conservent leurs titres sans limite de temps a priori. Ils accompagnent ainsi le projet d’une entreprise, quitte à prendre le risque de ne pas être rémunérés en période de difficultés. Or les marchés ne sont pas composés d’actionnaires mais d’investisseurs.

Exigences absurdes de profit et de leur pression sur le travail et les investissements

La différence est décisive : un investisseur a pour mission de valoriser l’épargne qui lui est confiée. La manière la plus profitable de le faire est de parier sur des titres en fonction des paris des autres investisseurs. Il projette donc a priori de se défaire à meilleur prix et parfois très rapidement, des parts de capital achetées ; telle est la différence radicale avec la fonction d’actionnaire telle qu’elle s’exerce dans des entreprises au capital patient, qu’il soit familial, public ou salarié.

La déconnexion entre l’aventure entrepreneuriale et son financement a produit une sphère qui obéit à sa propre logique de valorisation des actifs. Ainsi quand, en février 2020, les cas de Covid-19 se multipliaient dans le monde, les Bourses nageaient dans l’optimisme et se félicitaient de records dépassant ceux de 2007. Puis, en mars, dégringolade : elles perdaient 40 % de leur valeur. Depuis, elles spéculent sur les effets macroéconomiques des politiques publiques…

Manifestement, l’absence de responsabilité de chaque investisseur quant à la vie réelle des entreprises débouche sur une irresponsabilité systémique. L’économie n’est pas régulée au mieux par une mythique « main invisible » financière d’autant que si elle est capricieuse, cette main n’est pas innocente. Selon le mot de Joan Robinson, elle fait « toujours son œuvre, mais agit par strangulation » : dans les entreprises, on pâtit depuis des années des exigences absurdes de profit et de leur pression sur le travail et les investissements.

« Souffrance en milieu engagé » : malaise dans les organisations sociales

« Souffrance en milieu engagé. Enquête sur des entreprises sociales », de Pascale-Dominique Russo (Editions du Faubourg, 180 pages, 18 euros).
« Souffrance en milieu engagé. Enquête sur des entreprises sociales », de Pascale-Dominique Russo (Editions du Faubourg, 180 pages, 18 euros).

Le livre. Humiliations et mises à l’écart inadmissibles, rythme de travail éreintant, impossibilité d’exprimer son point de vue. Lorsqu’elle commence à travailler pour la mutuelle paritaire Chorum, en 2007, où elle est responsable d’une newsletter bimensuelle, Pascale-Dominique Russo est troublée par la souffrance au travail récurrente au sein de certaines équipes.

Le fossé flagrant entre le ressenti à l’intérieur et le message affiché provoque une souffrance particulièrement vive. « J’étais surprise de découvrir à quel point il y avait une antinomie entre les discours énoncés et la réalité du traitement des ressources humaines », relate la journaliste, qui a écrit pendant plus de vingt ans sur l’économie sociale et solidaire (ESS). Après avoir quitté la mutuelle pour prendre sa retraite, elle décide de lancer l’alerte.

Son ouvrage Souffrance en milieu engagé (Editions du Faubourg) est une enquête sur les conditions de travail dans les associations et les mutuelles. Les témoignages de syndicalistes d’associations et de mutuelles, d’anciens élus mutualistes, ainsi que plusieurs collaborateurs de mutuelles et d’associations interviewés dans le cadre de l’ouvrage évoquent des situations de travail particulièrement douloureuses.

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Ils lui confient « leur déception, leur malaise et leur révolte en découvrant l’âpreté des nouvelles règles de travail dans un univers jusque-là relativement épargné, comme les mutuelles ». La période est complexe. Ballottées au gré du marché, les mutuelles doivent se regrouper pour ne pas disparaître. « Côté associatif, la commande publique s’impose peu à peu comme le mode de financement majeur à travers les procédures d’appels d’offres, faisant des associations des sous-traitantes et non plus des partenaires. » Ces nouvelles pratiques favorisent les plus grandes organisations associatives, qui disposent d’équipes pour répondre aux offres des marchés publics.

Un engagement « sincère »

L’ouvrage met en lumière les limites des promesses contenues dans les principes de l’ESS : « Comment intervenir sur des marchés, tels que la santé ou l’assurance, comment vouloir en devenir un leader sans tomber dans une logique concurrentielle nécessairement synonyme de nouvelle organisation du travail ? Comment avoir pour ambition première la croissance à tous crins, répondre sans état d’âme aucun aux offres des marchés publics et privés sans se plier aux mêmes règles que les entreprises à but lucratif ni jouer sur l’emploi comme variable d’ajustement ? »

L’industrie du tourisme entre espoir et colère

Gare du Nord, à paris, le 1er avril.
Gare du Nord, à paris, le 1er avril. FRANCK FIFE / AFP

Le secteur du tourisme se prépare à un long hiver. Mardi 7 avril, à l’occasion d’une conférence de presse téléphonique, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a douché les espoirs des professionnels du secteur quant à un retour rapide de l’activité.

Selon lui, « la reprise se fera progressivement » : il faudra compter « un an et demi à deux ans pour retrouver le niveau de 2019 », une année, il est vrai, exceptionnelle pour le tourisme français avec 58 milliards d’euros de recettes et 98 millions de visiteurs.

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Dans l’attente de jours meilleurs, les entreprises font le gros dos et tablent sur les aides mises en place par le gouvernement pour laisser passer l’orage. Selon le secrétaire d’Etat, « environ 11,5 % des dossiers déposés pour des prêts garantis par l’Etat concernent le secteur ». « Le ticket moyen s’établissait à 140 000 euros, ce qui veut bien dire que l’on s’adresse aux PME, car le prêt garanti peut aller jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires », a ajouté M. Lemoyne. Au total, ce sont 550 millions d’euros de prêts garantis qui ont déjà été accordés à des entreprises du tourisme. Avec 145 millions d’euros, l’Ile-de-France a été la mieux servie.

Des palaces fermés

Le secrétaire d’Etat s’est aussi félicité de l’efficacité du dispositif de chômage partiel. Selon une enquête menée auprès des dirigeants du tourisme par le cabinet de conseil Roland Berger, « 95 % d’entre eux ont mis en place le chômage partiel ». C’est le cas du Plaza Athénée et du Meurice, deux palaces parisiens du groupe Dorchester collection.

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Les deux établissements de luxe « sont fermés pour mettre à l’abri nos 1 000 employés qui recevront 100 % de leur rémunération. Aux 85 % versés par l’Etat nous ajoutons les 15 % restants », explique François Delahaye, directeur général du Plaza Athénée. Ce dernier n’attend « pas de reprise avant début 2021 ». Il prévoit un été morose avec, au mieux, « 15 % de taux d’occupation en juin et 20 % en juillet ». La clientèle asiatique a disparu. Malgré la reprise de l’activité, le patron du Plaza n’a enregistré aucune réservation venue de Chine.

Pour le seul mois d’avril, déjà, hôtels, campings et résidences de vacances ont subi un manque à gagner de « 4 milliards d’euros pour l’hébergement touristique », estime Didier Arino, directeur du cabinet Protourisme : des pertes qui grimpent à 10 milliards tout compris, en incluant les restaurants, les lieux de visite ou encore les billets d’avion.

Les conséquences, par secteur économique, du confinement des Français

A Paris, le 16 mars.
A Paris, le 16 mars. PHILIPPE LOPEZ / AFP

Le gouvernement est encore en train de prendre la mesure de la crise économique qui accompagne et suivra la crise sanitaire du Covid-19. La France va connaître en 2020 sa pire année de récession économique depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, a estimé lundi 6 avril le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lors d’une audition par la commission des affaires économiques du Sénat. « Le chiffre de croissance le plus mauvais qui ait été fait par la France depuis 1945, c’est en 2009, après la grande crise financière de 2008. Nous serons vraisemblablement très au-delà » cette année, a affirmé le ministre. Le produit intérieur brut (PIB) avait cette année-là chuté de 2,9 %. « C’est dire l’ampleur du choc économique auquel nous sommes confrontés », a insisté Bruno Le Maire, alors que de nombreux secteurs sont à l’arrêt du fait du confinement.

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C’est pour mesurer plus précisément ces conséquences que Jean-Noël Barrot, député MoDem des Yvelines et économiste de formation (il est professeur associé à HEC), s’est penché sur les effets du confinement sur l’activité et les effectifs des différents secteurs de l’économie tricolore. « Nous voulions comprendre l’impact sur l’activité économique des mesures de distanciation sociale, ainsi que l’effet d’un déconfinement ciblé et progressif », qui est la piste aujourd’hui privilégiée par l’exécutif, indique-t-il. L’étude, réalisée avec Basile Grassi et Julien Sauvagnat de l’université Bocconi à Milan, et dont Le Monde a pu prendre connaissance, a été adressé au gouvernement.

En se basant sur des données statistiques du recensement de 2016 et sur une étude européenne de 2019 sur le télétravail, les économistes tentent d’estimer les effets du confinement sur l’emploi et la valeur ajoutée par secteur. Ainsi, calculent-ils, les fermetures administratives décidées le 14 mars ont eu pour conséquence de faire cesser le travail à 10,9 % des actifs (commerce, hébergement et restauration, transports, culture et loisirs).

La France mieux équipée

En termes de valeur ajoutée, « parmi les secteurs les plus affectés, on retrouve ceux directement affectés par les mesures de distanciation sociale, comme la culture et les loisirs (7,7 %) et l’hôtellerie-restauration (6,8 %). Mais surtout les secteurs les plus en amont, c’est-à-dire les plus éloignés de la demande finale, mais qui viennent en support de la production économique : industries extractives (− 8,8 %), activités de spécialité (publicité, design, ingénierie, architecture… (7,6 %), conseil aux entreprises (− 6,2 %), eau et déchets (− 6 %) », relèvent les auteurs. Et ce, alors même que ce sont parfois des domaines où le choc initial lié au confinement aura été moindre, parce que le télétravail y est plus facile (design, publicité, conseil). « Ce sont les secteurs qui voient se répercuter la chute de la demande des autres secteurs. Au moment de la relance, il faudra donc leur accorder une attention particulière », estime M. Barrot.

Coronavirus : la pénurie de saisonniers paralyse l’agriculture européenne

Près de Genthin en Allemagne, le 18 mars. 300 000 saisonniers travaillent dans les exploitations agricoles allemandes chaque année.
Près de Genthin en Allemagne, le 18 mars. 300 000 saisonniers travaillent dans les exploitations agricoles allemandes chaque année. MARKUS SCHREIBER / AP

En raison des fermetures de frontières décidées par les gouvernements, des centaines de milliers de saisonniers d’Europe de l’Est ne peuvent rejoindre les exploitations agricoles qui ont besoin d’eux. De l’Espagne à la Pologne, de nombreuses récoltes sont en péril.

Adrian Stan est saisonnier agricole, mais il a fait de ce travail son unique gagne-pain. « Ces trois dernières années j’ai fait un peu le tour de l’Europe, raconte ce Roumain de 29 ans dans son studio de Popesti, une banlieue de Bucarest où il vit avec son épouse et sa fille âgée de 4 ans. J’ai cueilli des tomates en Belgique et des pommes en Italie et j’ai ramassé des pommes de terre en Allemagne. Avec l’argent que j’ai gagné là-bas, je faisais vivre ma famille toute l’année. » Mais cette année, avec l’épidémie due au coronavirus, le jeune homme est confiné à domicile.

Comme lui, des centaines de milliers de Roumains qui vivent des travaux saisonniers en Europe de l’Ouest sont frappés de plein fouet par les restrictions liées à la pandémie.

Le 21 mars, un charter rempli de 144 saisonniers a décollé de Suceava, dans le nord-est de la Roumanie, à destination de Hanovre, dans le nord de l’Allemagne. C’était le dernier. Depuis, Berlin a interdit l’entrée sur le territoire allemand aux travailleurs venant de ce pays et de Bulgarie. « Ils sont partis pour une affaire d’asperges, déclare Ionut Mariuta, le directeur de l’aéroport de Suceava. Leurs papiers étaient en règle et nous avions procédé à une désinfection de l’avion avant le décollage. »

A l’instar de l’Allemagne, presque tous les pays européens ont fermé leurs frontières à cause de la maladie. Les nombreux saisonniers roumains qui ne sont pas partis à temps et les quelque 200 000 ouvriers agricoles qui ont dû rentrer en Roumanie depuis le début de la pandémie en sont réduits à ronger leur frein en attendant des jours meilleurs.

En Espagne, les vergers manquent de bras

Partout sur le continent, leur absence se fait cruellement sentir avec l’arrivée du printemps. En Espagne, le pays d’Europe actuellement le plus touché par l’épidémie, seule une petite partie des contingents de Marocains, Tunisiens, Roumains ou Bulgares, qui chaque année sont employés à la préparation des arbres fruitiers et à la récolte des fruits et légumes, ont pu arriver. Après avoir décrété l’état d’alerte le 14 mars, Madrid a verrouillé les frontières.

Dans le premier pays producteur de fruits d’Europe, presque tous les vergers manquent donc de bras. Il n’y a pas assez de travailleurs pour cueillir les cerises d’Alicante ou de la vallée du Jerte (Estrémadure). Sur les rives de l’Ebre, en Aragon et en Catalogne, il faut d’urgence 50 000 personnes pour l’éclaircissage des pêchers et abricotiers.

Coronavirus : Air France aura « besoin rapidement d’un soutien financier », selon sa directrice générale

Des avions d’Air France, sur le tarmac, à Roissy-Charles de Gaulle, le 24 mars.
Des avions d’Air France, sur le tarmac, à Roissy-Charles de Gaulle, le 24 mars. Charles Platiau / REUTERS

Le groupe Air France-KLM « aura besoin rapidement d’un soutien financier », prévient la directrice générale d’Air France, Anne Rigail, dans un entretien publié mardi 7 avril dans Le Figaro, alors que des discussions sont en cours avec les Etats français et néerlandais.

Interrogée sur l’impact de l’épidémie, Mme Rigail estime que « la reprise sera lente, voire très lente. Il faudra de longs mois pour nous en remettre. Nous serons durablement touchés, avec une interrogation sur le changement de comportement des voyageurs ».

Elle précise qu’Anne-Marie Couderc, présidente d’Air France-KLM, et Ben Smith, directeur général du groupe, « échangent avec les deux Etats actionnaires sur la forme que pourrait prendre ce soutien au groupe Air France-KLM ». « Les discussions sont en cours », souligne Mme Rigail, qui ne détaille pas « les modalités de l’aide qui pourrait être apportée ».

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Soutien des Etats nécessaire pour passer le cap

« Le groupe dispose d’une trésorerie de 6 milliards d’euros, mais nous aurons besoin rapidement d’un soutien financier », met en avant la directrice générale d’Air France, dont la quasi-totalité de la flotte est clouée au sol.

Elle affirme que « le soutien des Etats français et néerlandais est absolument nécessaire pour passer le cap », alors que la question d’une nationalisation d’Air France est régulièrement évoquée.

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Anne Rigail souligne que la quasi-totalité des salariés d’Air France, Transavia et Hop ! sont en activité partielle, qu’une partie des charges salariales sont « supportées grâce aux mesures gouvernementales », et que le gouvernement a annoncé le report de certaines taxes, « mais cela ne suffira pas », prévient-elle. Interrogée sur d’éventuels licenciements à venir chez Air France, elle estime qu’« il est trop tôt pour prendre un engagement. […] Notre objectif est de préserver nos salariés », souligne-t-elle.

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Le Monde avec AFP

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Une affaire hors norme de fraude sociale bientôt devant la justice

Il s’agit probablement de la plus grosse affaire de dumping social jugée en France. Elle concerne une entreprise de travail temporaire espagnole : Terra Fecundis, dont le siège se trouve en Murcie, dans le sud-est du pays. Selon nos informations, cette société ainsi que ses dirigeants vont devoir rendre des comptes devant la sixième chambre correctionnelle du tribunal de Marseille, à l’occasion d’un procès programmé du 11 au 14 mai, qui risque, toutefois, d’être décalé à cause de la crise sanitaire.

Les prévenus se voient reprocher d’avoir mis à disposition, pendant plusieurs années, des milliers d’ouvriers – principalement originaires d’Amérique latine –, sans les avoir déclarés dans les règles et en méconnaissant diverses obligations relatives au salaire minimum, aux heures supplémentaires, aux congés payés, etc. Le préjudice serait lourd pour les femmes et les hommes ainsi employés, mais aussi pour la Sécurité sociale française, privée des cotisations qui, selon l’accusation, auraient dû lui être versées : un peu plus de 112 millions d’euros entre début 2012 et fin 2015 – la période retenue par la procédure pénale, sachant que l’entreprise espagnole poursuit toujours son activité dans l’Hexagone, aujourd’hui.

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Depuis au moins une dizaine d’années, la société Terra Fecundis fournit à des exploitations agricoles tricolores de la main-d’œuvre pour la cueillette des fruits et des légumes. Ses services sont manifestement très appréciés : en 2019, elle avait un peu de plus de 500 clients, disséminés sur 35 départements, d’après un document mis en ligne sur le site Internet de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’Occitanie. « Estimé » à 57 millions d’euros, son chiffre d’affaires en France provient, en grande partie, de contrats signés avec des maraîchers des Bouches-du-Rhône et du Gard.

Mort d’un salarié en 2011

Terra Fecundis a commencé à capter l’attention de la justice il y a presque neuf ans, à la suite d’un épisode tragique. En juillet 2011, un de ses salariés, de nationalité équatorienne, avait trouvé la mort à l’hôpital d’Avignon, peu de temps après avoir fait un malaise à l’issue d’une journée de travail éreintante. Agé de 33 ans, l’homme avait été victime d’une déshydratation sévère dans des circonstances troublantes, qui avaient conduit à l’ouverture d’une enquête.

Parallèlement, plusieurs Direccte se sont penchées sur les méthodes et le modèle économique de la société espagnole, dont les tarifs sont moins élevés que bon nombre de ses concurrents : de « 13 à 15 euros de l’heure contre 20 à 21 euros pour une entreprise d’intérim française », comme l’indiquait, en 2014, un rapport du député socialiste Gilles Savary sur le « dumping social ».

Coronavirus : les faillites d’entreprises devraient bondir de 25 % en 2020, selon Coface

Le ministre français de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 19 mars.
Le ministre français de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 19 mars. LUDOVIC MARIN / AFP

Suite logique de la violente récession que devrait connaître l’économie mondiale en 2020, avec une production en recul de 1,3 %, les défaillances d’entreprises vont bondir de 25 %, selon les chiffres publiés lundi 6 avril par Coface. « Ce serait, de très loin, la plus forte hausse depuis 2009 [+ 29 %], quand bien même l’activité économique redémarrerait graduellement dès le troisième trimestre et qu’il n’y aurait pas de deuxième vague épidémique au second semestre », précise la société d’assurance-crédit spécialisée dans les échanges internationaux. La filiale du groupe Natixis prévoit aussi un net recul en volume des échanges internationaux de 4,3 %, après – 0,4 % en 2019, année marquée par la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Cette explosion des défaillances d’entreprises s’annonce, d’après les économistes de Coface, deux fois plus forte aux Etats-Unis (+ 39 %) que dans les principales économies d’Europe de l’Ouest (+ 18 %). Sur le Vieux Continent, toutefois, le Royaume-Uni se détache, avec une prévision proche de celle des Etats-Unis. En France, où le président de la République s’était engagé, dès la mi-mars, à instaurer les mesures nécessaires pour éviter les faillites, « quoi qu’il en coûte », les défaillances pourraient augmenter de 15 %, contre 11 % en Allemagne, 18 % en Italie et 22 % en Espagne, anticipe Coface.

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Dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le 5 avril, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a notamment indiqué que la garantie des prêts bancaires promise par l’Etat (à hauteur de 300 milliards d’euros) avait déjà été sollicitée par « plus de 100 000 entreprises », soit, « sur huit jours, 20 milliards d’euros » de prêts garantis. Autre mesure-clé : la prise en charge du chômage partiel, qui concernait, le 3 avril, une entreprise du secteur privé sur quatre (soit 473 000 sociétés) et 5 millions de salariés.

Plans de sauvegarde et de redressement allongés

De plus, « en trois jours, 450 000 petites entreprises ont sollicité le fonds de solidarité », a précisé M. Le Maire. Ce dispositif prévoit une aide de 1 500 euros en cas de forte baisse du chiffre d’affaires. Les sociétés menacées de faillite peuvent obtenir un soutien supplémentaire de 2 000 euros. Enfin, l’ensemble des entreprises bénéficient d’un report du paiement des charges sociales et fiscales.

Autres dispositions pour prévenir les défaillances, l’assouplissement des procédures judiciaires. En France, le délai de quarante-cinq jours pour se déclarer en dépôt de bilan auprès du tribunal de commerce est allongé à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, afin de permettre éventuellement à la société de profiter du redémarrage de l’économie. De même, les plans de sauvegarde et de redressement pourront être prolongés.

Toutefois, au dire de l’économiste Denis Ferrand, de Rexecode, le pic des défaillances pourrait survenir, paradoxalement, lors du redémarrage de l’activité et non au cœur de la crise. « Les dispositifs de soutien de l’Etat au moment du choc sont transitoires, souligne-t-il. Or, c’est au moment où la demande se redressera que les besoins en fonds de roulement des entreprises rebondiront. » Le report des charges sociales et fiscales, ainsi que d’autres postes comme les loyers, pourrait aussi être une bombe à retardement, décalant un certain nombre de difficultés à l’été, voire à l’automne, en fonction du calendrier du confinement et de la fin des mesures.

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