Coronavirus : dans toute la France, les caissières en première ligne

Blagnac, le 17 mars 2020 - Les caisses de l'hypermarche Leclerc de Blagnac. Certaines d'entre elles sont munies d'une protection en plexiglass entre le client et les caissieres ou caissiers. Les caissieres sont munies de gants et de masques de protection. Le confinement obligatoire en raison de la pandemie de coronavirus Covid-19 debute a midi ce jour. Les clients sont limites dans l'hypermarche. A l'ouverture a 9h, seules 250 personnes entrent sur une des deux portes d'entree. PHOTO: Vincent NGUYEN / Riva Press

VINCENT NGUYEN / RIVA PRESS POUR LE MONDE

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Publié hier à 04h46, mis à jour à 10h26

Ces gants-là, ça ne vaut rien. Assise derrière la caisse, elle regarde sa main comme un objet étrange, dans un bref moment d’accalmie. Ces doigts en plastique transparent, beaucoup trop larges, la légère transpiration à l’intérieur… Elle l’agite comme une marionnette et on entend le froissement du plastique. Un peu plus tard, elle accepte de donner son numéro de téléphone pour raconter, à l’abri des oreilles indiscrètes, sa vie de caissière pendant l’épidémie.

Maintenant on dit « hôtesse de caisse », mais il faudrait, en temps de guerre contre le coronavirus, parler de bons petits soldats, voire de chair à canon, tant elles ont subi – ce sont des femmes à 90 % – l’assaut d’une clientèle devenue folle, juste avant le confinement, décrété mardi 17 mars à midi.

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Elles sont de moins en moins nombreuses depuis dix ans dans les super et les hypermarchés, avec l’apparition des caisses automatiques. Une baisse d’environ 10 %, soit un bataillon de 150 000 équivalents temps plein, selon la Fédération du commerce et de la distribution. Mais il est chaque jour au front depuis que tous les commerces « non indispensables » ont fermé. On ne peut plus dire « l’intendance suivra ». Elle précède tout.

De nombreux clients se sont précipités faire leurs courses, comme ici à l’hypermarché Leclerc de Blagnac, le 17 mars, avant le début du confinement.
De nombreux clients se sont précipités faire leurs courses, comme ici à l’hypermarché Leclerc de Blagnac, le 17 mars, avant le début du confinement. VINCENT NGUYEN / RIVA PRESS POUR LE MONDE

Bénédicte, le prénom qu’elle a choisi pour ne pas être reconnue, a 30 ans et travaille en Normandie pour une chaîne de supermarchés de hard discount. « Ce sont des gants de boulangerie, on s’en sert pour mettre les viennoiseries en rayon, question d’hygiène. On se protège comme on peut mais ce n’est pas pratique pour rendre la monnaie. » La jeune femme travaille là depuis plusieurs années, payée au smic avec un contrat de 30 heures : « C’était ça ou rien. Quand il y a un rush on fait un avenant au contrat. »

Du jamais vu

Pour un rush, c’en était un, du jamais vu. Une heure et demie de queue devant le magasin, dès que les rumeurs de confinement ont commencé à courir, vendredi. Lundi, ce fut bien pire. « J’avais l’impression qu’on n’allait pas s’en sortir. Forcément, la contamination on y pense. On est en communication avec les microbes », dit cette mère de deux jeunes enfants.

Ses journées durent dix heures. Après le paiement, les clients sont à touche-touche avec elle car les caisses n’ont pas de rebord, à dessein : « Faut que ça soit du tac au tac, que ça dégage vite. On doit passer 3 000 articles à l’heure, c’est l’objectif fixé. » Quand il y a moins de monde, Bénédicte fait le ménage ou de la mise en rayon. Pour la semaine du 23 mars, on leur a promis un bouclier de Plexiglas. Mais toujours pas de masques.

Coronavirus : au ministère du travail, la CGT menacée de poursuites pénales

Le torchon brûle entre la haute hiérarchie du ministère du travail et les représentants de la CGT implantés dans cette administration. Dans un courrier en date du jeudi 19 mars, dont Le Monde a eu connaissance, Yves Struillou, le responsable de la direction générale du travail (DGT), écrit à l’organisation syndicale pour lui indiquer qu’il saisira le parquet si elle ne retire pas des documents en relation avec « la gestion de la crise » sanitaire. Diffusés à l’attention des inspecteurs du travail, ces « modèles » posent un double problème, aux yeux de M. Struillou : ils véhiculent une « analyse gravement erronée » des règles relatives au droit de retrait et « sont assortis de l’en-tête officielle du ministère du travail », ce qui expose leurs utilisateurs à des poursuites pénales pour « contrefaçon (…) d’imprimés officiels ».

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Tout commence par un courriel envoyé mercredi par la CGT aux agents de l’inspection du travail. Il contient un tract intitulé « Protégeons les salarié-es avant les entreprises », ainsi que deux autres pièces – l’une qualifiée de « lettre type » tandis que l’autre porte la mention « constat d’exercice du droit de retrait coronavirus/Covid-19 ». En haut de chaque page, le logo de Marianne, sur fond tricolore. Pour la CGT, le but est de mettre à disposition des documents de référence qui pourront être employés afin d’« attester de l’insuffisance de mesures de protection mises en œuvre » par les employeurs. Il y a également un « modèle de courrier d’observations visant à solliciter » les entreprises sur « les mesures de protection » du personnel.

« Appel irresponsable »

Ces écrits sont de nature à induire en erreur les inspecteurs du travail, d’après M. Struillou. « L’appel que vous avez formulé à destination des agents “pour accompagner” les salariés est irresponsable », tonne-t-il. « Laisser croire à tout salarié que le document qui leur serait remis par un agent de contrôle sécuriserait juridiquement (…) l’exercice de leur droit de retrait n’est pas admissible au regard des conséquences », un usage abusif de ce droit pouvant se solder, notamment, par une « retenue » sur la fiche de paye. En outre, « la responsabilité personnelle » des fonctionnaires recourant à ces documents « pourrait être mise en cause », car ils sont susceptibles de se voir reprocher un « délit » – la « contrefaçon », donc. Les auteurs du tract « s’exposent également à des poursuites pénales », précise le patron de la DGT. C’est pourquoi celui-ci exhorte la CGT de « rapporter officiellement (…) les modèles » mis en circulation, faute de quoi le procureur de la République sera saisi.

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Les « accusations » lancées par M. Struillou sont « un peu ridicules », réagit Simon Picou, responsable du syndicat CGT au ministère du travail. Elles montrent, selon lui, que « les priorités de la DGT ne sont pas les nôtres » et débouchent sur des « menaces de sanctions disciplinaires et pénales ». Cet épisode illustre aussi « la stratégie jusqu’au-boutiste » du gouvernement, qui vise à « maintenir coûte que coûte les salariés au travail », en empêchant, au passage, les inspecteurs du travail « d’aider les salariés à faire valoir leur droit de retrait », dans un contexte de crise sanitaire sans précédent. Pour autant, la CGT ne souhaite pas engager de « bras de fer » : elle invite les agents à « ne pas reprendre tels quels » les documents incriminés, sachant que rien ne les empêche de s’en inspirer dans l’exercice de leurs missions.

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Coronavirus : « Le droit de retrait peut-il être un bouclier pour les travailleurs ? »

Le Louvre est resté fermé dimanche 1er mars en raison d’un droit de retrait du personnel, inquiet de l’épidémie causée par le coronavirus.
Le Louvre est resté fermé dimanche 1er mars en raison d’un droit de retrait du personnel, inquiet de l’épidémie causée par le coronavirus. Francois Mori / AP

Tribune. Hier, les personnels du Musée du Louvre et des chauffeurs de bus ; aujourd’hui, les facteurs mais aussi des CRS et des salariés de diverses entreprises… Tous veulent faire valoir leur droit de retrait en invoquant le non-respect des règles sanitaires dans le cadre de leur travail. Le droit de retrait peut-il effectivement jouer ce rôle de bouclier que les travailleurs espèrent mobiliser en période d’épidémie sanitaire ?

Pour rappel, ce droit procède de la loi du 23 décembre 1982 codifiée à l’article L.4131-1 du code du travail. Tout travailleur est en droit d’alerter son employeur « d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ».

Il peut alors exercer son droit de retrait sans qu’aucune sanction, ni retenue sur salaire ne puisse lui être appliquée si les motifs qui fondent le retrait sont avérés. Initialement créé pour les salariés du secteur privé, le droit de retrait a été progressivement étendu aux agents de la fonction publique dans des conditions similaires.

La particularité de ce droit est de confronter les intérêts du travailleur à ceux de son employeur, de sorte qu’en cas d’échec de consensus entre les parties, l’issue finale ne peut reposer que sur la décision souveraine du juge.

Quatre conditions cumulatives sont nécessaires à sa mise en œuvre.

Menace d’un accident

« L’alerte » doit d’abord avoir été préalablement donnée à l’employeur pour que celui-ci ait la possibilité de remédier à la situation décrite. Ce n’est que si l’alerte a été actionnée que le retrait peut être effectué au risque de ne pas être reconnu, dans le cas contraire, et ultérieurement, par les tribunaux.

Il convient de noter que la deuxième condition est subjective, puisque le salarié ou l’agent doit avoir un « motif raisonnable de penser » le danger. Cette formule souple est à l’avantage du travailleur, elle signifie que le danger n’a pas besoin d’être caractérisé ou de s’être révélé, mais seulement d’être ressenti comme tel par celui qui l’invoque.

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Le danger doit enfin être « grave et imminent » : ces deux dernières conditions supposent d’abord que la survenance du danger soit très proche, puis que le degré de gravité du danger puisse être distingué du risque habituel mais aussi des conditions normales d’activité, et ce même si l’exercice du travail est pénible ou dangereux.

« Comment allons-nous payer les charges reportées ? » : des petits patrons rassurés par les mesures mais angoissés par l’avenir

Dans le quartier d’Oberkampf à Paris, un bar ferme ses portes dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 mars.
Dans le quartier d’Oberkampf à Paris, un bar ferme ses portes dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 mars. Benjamin Girette pour Le Monde / Benjamin Girette pour Le Monde

Empêcher le bateau de couler tout en cherchant le mode d’emploi des canots de sauvetage. Pour les patrons de toutes petites entreprises, de PME, les indépendants ou les commerçants, le quotidien ressemble depuis quelques jours à un remake du Titanic. Si les nombreuses mesures instaurées dans des délais record par le gouvernement ont plutôt rassuré dans un premier temps, leur mise en œuvre sur le terrain se heurte à des questions auxquelles les chefs d’entreprise ont parfois du mal à trouver des réponses.

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Preuve des multiples interrogations qui les assaillent, une webconférence, organisée le 12 mars, par la chambre de commerce des Hauts-de-France a réuni 80 000 participants. « A ce jour, sur les 3 millions d’entreprises présentes sur le territoire, plusieurs dizaines de milliers d’entre elles ont pris contact avec nous », confirme Pierre Goguet, président de CCI France, dont le réseau des chambres de commerce a été désigné par l’exécutif pour être l’interlocuteur de premier plan des entreprises sur le terrain. « D’ailleurs, aujourd’hui, dans les chambres de commerce, nous ne faisons plus que cela. »

Bugs informatiques

Les demandes de chômage partiel ont elles aussi flambé en quelques jours : les services du ministère du travail avaient été sollicités, mardi 17 mars, en fin de journée, par 21 000 entreprises pour un total de 400 000 salariés concernés. Mal dimensionné pour une crise de cette ampleur, le dispositif a d’ailleurs connu quelques bugs informatiques qui ont ralenti le traitement des dossiers et donné des sueurs froides aux chefs d’entreprise.

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« Nous n’avons pas reçu les codes nécessaires pour nous inscrire sur le site, relate ainsi Karine Gallet, propriétaire de deux hôtels à La Rochelle et à la tête d’une équipe de sept personnes. Je m’inquiète, car si cela prend du retard, il faudra que je fasse l’avance des salaires en fin de mois… alors que mes deux hôtels sont fermés et que je n’ai aucune recette. »

« Les problèmes informatiques ont été circonscrits et la difficulté est en train de se débloquer », a assuré Pierre Goguet, à l’issue de la réunion de la task force économique, jeudi 19 mars, réunie autour du président de la République et du premier ministre. Mme Gallet n’est pas seule dans sa situation. « La première inquiétude porte sur les trésoreries », rapporte Pierre Minodier, président du Centre des jeunes dirigeants (CJD), au lendemain d’une réunion de ses adhérents, « très angoissés », selon lui. De l’avis général, sur le terrain, les banques « jouent le jeu » de la renégociation des crédits, alors que les services fiscaux et sociaux enregistrent sans ciller les demandes de report des échéances.

Arc s’adapte pour ne pas avoir à couler ses fours verriers

Dans une usine du fabricant de verres Arc à Arques (Pas-de-Calais), en novembre 2016.
Dans une usine du fabricant de verres Arc à Arques (Pas-de-Calais), en novembre 2016. PHILIPPE HUGUEN / AFP

Les salariés d’Arc ne seront que 700 à embaucher, lundi 23 mars. Le recours au chômage partiel a été décidé. La décision a été approuvée à l’unanimité, par les élus du personnel, mardi 18 mars. Afin de diminuer la densité de personnel dans ses hangars et se conformer aux mesures de distanciation sociale adoptées en France pour lutter contre la pandémie due au coronavirus, le fabricant réduit sa production de verre de 70 % dans son usine d’Arques (Pas-de-Calais).

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« La sécurité de nos hommes, c’est la priorité », assure au Monde Tristan Borne, directeur général d’Arc en Europe. Le personnel administratif est désormais employé en télétravail. Le sort des équipes qui opèrent sur les chaînes de production a été plus délicat à gérer. Car la production de verres ne peut être arrêtée.

Ce site, où une goutte de verre devient un pot, une assiette ou un gobelet, comprend dix fours verriers. Ils tournent jour et nuit, sept jours sur sept. Le verre doit y rester en fusion à une température de 1 400 °C. « Un four verrier se démarre pour dix ans », rappelle M. Borne. Dès lors, l’option de « couler les fours », c’est-à-dire de les éteindre à l’aide de lances à eau, a été écartée. Elle aurait trop fragilisé l’entreprise qui, en 2013, a frôlé le dépôt de bilan. Parce qu’« un four coulé se contracte et ne peut remonter en température, il nous fallait aménager la production », explique le dirigeant.

Production réduite par phase

Le groupe suit la méthode adoptée avec succès sur le site de Nanjing, en Chine, en janvier, à la suite de la quarantaine imposée dans le pays. Elle sera mise en œuvre aussi dans l’usine américaine d’Arc à Millville (New Jersey). Pour l’heure, faute de mesures en vigueur en Russie, Arc n’a pas modifié sa production dans son site de Gus-Khrustalny. Son usine de Ras Al-Khaïma (Emirats arabes unis) tourne aussi comme à l’accoutumée.

En France, la production va être réduite par phase, d’ici à lundi 23 mars, de 70 %, « pour trois semaines au moins », selon le directeur général. Le site produira environ 800 000 pièces par jour, contre 2,5 millions habituellement. Cinq fours vont être mis en veille, « en circuit fermé », explique Tanguy Tartar, élu syndical UNSA. Le verre en fusion sera coulé pour être recyclé immédiatement. Du jamais-vu. « Même pour les plus anciens » des salariés, rapporte M. Tartar.

Les cinq autres fours d’Arc restent en activité. Objectif : honorer les commandes de pots de moutarde ou de pâte à tartiner des industriels confrontés à la frénésie d’achat actuelle des Français. « Notre avenir en dépend », juge M. Tartar.

Coronavirus : Amazon sous pression du gouvernement et de salariés

Des salariés d’Amazon manifestent devant le site du géant américain de la vente en ligne à Lauwin-Planque (Nord), jeudi 19 mars.
Des salariés d’Amazon manifestent devant le site du géant américain de la vente en ligne à Lauwin-Planque (Nord), jeudi 19 mars. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Depuis plusieurs jours, des employés des entrepôts d’Amazon se mobilisent contre des conditions de sécurité jugées insuffisantes. Jeudi 19 mars, ils ont trouvé en Bruno Le Maire un soutien. Le leader mondial de la vente en ligne exerce des « pressions inacceptables » en refusant de payer les salariés désireux de faire valoir leur droit de retrait à cause du coronavirus, a estimé le ministre de l’économie et des finances, sur France Inter. « Nous le ferons savoir à Amazon », a-t-il ajouté.

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Certains employés du groupe américain estiment que le risque de contagion au Covid-19 leur fait courir un « danger grave et imminent » sur leur lieu de travail. Ils demandent, à ce titre, à exercer leur droit de retrait.

Le groupe reste ferme

Mais Amazon s’y oppose, comme le confirme un email envoyé par les ressources humaines à un salarié de l’entrepôt proche de Lille et consulté par Le Monde :

« Les conditions d’hygiène sur le site [de Lauwin-Planque, dans le Nord] sont conformes aux règlements par rapport au coronavirus. La situation de travail ne présente aucun danger grave et imminent et conformément à la position du gouvernement, un droit de retrait n’est pas justifié. Et toute absence du poste ne serait pas rémunérée. »

« Amazon qualifie les demandes de droit de retrait comme des absences non autorisées, explique Tatiana Campagne, élue SUD-Solidaires à Lauwin-Planque. Or, dans l’entreprise, au bout de trois absences de ce type, on peut être convoqué pour un entretien préalable de licenciement. » Selon la syndicaliste, 370 employés du site ont demandé à faire valoir leur droit de retrait en début de semaine. Mais l’attitude de la direction en a poussé certains à depuis plutôt poser des congés ou des congés sans solde.

« Amazon outrepasse ses droits, selon Mme Campagne. Si un employeur conteste la légitimité d’un droit de retrait, il doit le faire auprès du tribunal des prud’hommes. » La question fait toutefois débat, juridiquement.

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Contacté après les déclarations de Bruno Le Maire, Amazon reste ferme sur ses positions :

« La santé et la sécurité de nos salariés restent nos priorités absolues. Nous respectons tous les droits de nos salaries, dont le droit de retrait. Nous avons pris des mesures fortes pour assurer la sécurité sur nos sites et continuons à ajuster nos processus en appliquant strictement les recommandations du gouvernement et des autorités sanitaires locales, accompagnant l’adoption immédiate de toute nouvelle consigne par nos salariés. »

L’entreprise fait valoir qu’elle a poussé les meubles des salles de repos et de repas pour permettre le respect des distances de sécurité. Les nettoyages ont été renforcés et les employés sont tenus de désinfecter leur poste, assure aussi Amazon. Les pauses auraient aussi été échelonnées pour réduire les points de contacts.

Des consignes trop peu respectées

De leur côté, les syndicalistes estiment les consignes trop peu respectées. Le gel hydroalcoolique manque, les distances de sécurité ne sont pas suffisantes, notamment lors des pointages de début et de fin de travail, les contacts sont nombreux sur les rampes de sécurité…

Le ministre de l’économie va-t-il appeler la direction pour la forcer à infléchir ses positions ? Il n’était pas prévu, jeudi, que M. Le Maire contacte le groupe, fait-on savoir au cabinet du ministre. Face la crise due au coronavirus, ce dernier est à la fois soucieux du respect des conditions sanitaires pour les employés, ainsi que de la continuation d’une certaine activité économique, utile pour la population. De son côté, le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, a fait éditer des consignes pour la livraison de repas et prépare une mise à jour incluant l’e-commerce et les entrepôts, comme ceux d’Amazon.

Si le gouvernement ne fait pas plier l’entreprise de Jeff Bezos, les employés poursuivent, eux, leur mobilisation. Mardi et mercredi, des actions ont eu lieu sur les sites de Saran (Loiret), à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), à Montélimar (Drôme) et à Lauwin-Planque. Jeudi matin, cet entrepôt était bloqué de fait, raconte Mme Campagne : suite à l’arrêt de travail d’employés du poste d’accueil des camions, une file de poids lourds s’allongeait… Par ailleurs, un syndicaliste local a lancé une pétition en ligne demandant la fermeture des sites d’Amazon. Jeudi soir, il a recueilli 4 800 signatures.

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La déclaration de cas de Covid-19 parmi des employés du géant américain pourrait accentuer la tension. Gaël Begot, élu CGT de Lauwin-Planque, raconte être confiné chez lui depuis ce jeudi, jusqu’au 8 avril, pour « suspicion » de coronavirus, suite à une visite chez son médecin traitant. Amazon a annoncé le renforcement de la prise en charge des personnes, avec maintien du salaire, en cas de quarantaine. Mais les six cas de SARS-CoV-2 reconnus dans des entrepôts d’Espagne, d’Italie et des Etats-Unis ont suscité des inquiétudes chez certains salariés, y compris en France.

Une bataille d’image

Sur Twitter, le témoignage d’un « livreur » pour Amazon a, ces derniers jours, suscité une certaine émotion. « Je n’ai pas le droit d’aller voir ma famille, mes amis. Par contre, je dois livrer 87 clients dans la journée, toucher 87 interphones, portes, lumières… », se plaignait cet employé d’un prestataire, dans un message partagé près de 10 000 fois.

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La bataille d’image dans l’opinion publique a son importance. Amazon a anticipé, en se présentant comme un service essentiel en temps de crise sanitaire. Jusqu’au 5 avril, les vendeurs tiers de sa plate-forme ne pourront faire livrer dans ses entrepôts que des « produits essentiels » (domestiques, médicaux, alimentaires, pour enfants…), a annoncé l’entreprise. Toutefois, cette dernière n’a pas encore produit de chiffres sur la typologie des ventes qu’elle réalise actuellement sur son site. Et qui sont en forte hausse.

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Intérim : en quinze jours, les trois quarts des emplois ont disparu à cause de la crise liée au coronavirus

Un chantier complètement à l’arrêt, à Paris, jeudi 19 mars, en pleine période de confinement décrétée pour lutter contre la propagation du coronavirus.
Un chantier complètement à l’arrêt, à Paris, jeudi 19 mars, en pleine période de confinement décrétée pour lutter contre la propagation du coronavirus. JOEL SAGET / AFP

Chute libre. Dans les entreprises d’intérim, l’activité aurait plongé entre « 60 % et 90 %, selon les secteurs où elles opèrent », indique Prism’emploi, jeudi 19 mars. La fédération des professionnels de l’intérim a dressé le premier état des lieux des conséquences de la pandémie liée au coronavirus. « La perte d’emplois imputable à la crise sanitaire s’élèverait ainsi à 557 500 ETP [équivalent temps plein] entre la première et la seconde moitié du mois de mars », sur un total de 756 500 avant le dimanche 15 mars.

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Les intérimaires se retrouvent soit sans mission, soit au chômage partiel, si les entreprises qui les employaient ont mis leurs propres salariés dans cette situation. Jusqu’à l’annonce du confinement, le 16 mars, Prism’emploi ne constatait « aucune chute d’activité majeure ». L’industrie, le transport et le tourisme étaient certes affectés par les conséquences de l’épidémie, mais sans « décrochage massif ». C’était avant.

Lire le récit : Le coronavirus tétanise le secteur du tourisme : « La crise est mondiale. Aucun pays n’est désormais épargné »

« Tout s’est écroulé entre les deux interventions du président de la République, témoigne Alain Roumilhac, le président de ManpowerGroup France. La semaine du 9 mars, plus de 80 000 intérimaires [de Manpower] étaient au travail. Lundi soir, des dizaines de milliers de missions ont été stoppées. Enormément de sites industriels ont fermé, et un peu plus surprenant, le bâtiment s’est arrêté. Ça, on ne l’avait pas anticipé. » Or, l’industrie et le BTP représentent, ensemble, plus de la moitié des emplois du secteur : respectivement 39 % et 19 %.

« Le BTP a réduit ses demandes »

Adéquat, un réseau de 250 agences d’intérim, constate le même décrochage. « Notre chiffre d’affaires a diminué de 50 %. Sur 25 000 intérimaires en mission la semaine dernière, il en reste entre 10 000 et 12 000 aujourd’hui [18 mars]. Le bâtiment a réduit ses demandes d’effectifs de 95 % », explique Jérôme Rieux, le directeur général, qui reste pourtant confiant : « La bataille de l’emploi, on peut la livrer. » Son directeur des ressources humaines, Sébastien Guiragossian, poursuit : « Aujourd’hui, notre sujet de fond est de gérer de gros volumes d’annulation de missions. Mais aussi fournir des entreprises en forte demande. »

Les besoins basculent vers la logistique, l’agroalimentaire, la distribution, la pharmacie et le nettoyage. Les entreprises de ces secteurs sont débordées par une augmentation de la demande et par la nécessité de remplacer les salariés absents, malades, confinés, ou obligés de garder leurs enfants, afin d’assurer la continuité de services.

Le fabricant de masques Kolmi-Hopen fait appel aux salariés en chômage technique pour l’aider

Sur la chaîne de production de lu fabricant de masques Kolmi-Hopen,  à Saint-Barthélémie-d’Anjou (Maine-et-Loire), le 5 février.
Sur la chaîne de production de lu fabricant de masques Kolmi-Hopen,  à Saint-Barthélémie-d’Anjou (Maine-et-Loire), le 5 février. Stephane Mahe / REUTERS

Depuis fin janvier, les machines tournent à plein régime dans l’usine de Kolmi-Hopen abritée dans un entrepôt à Saint-Barthélémie-d’Anjou, près d’Angers. Et pour cause, l’entreprise est l’une des seules en France à fabriquer des masques de protection nécessaires dans la lutte contre la pandémie due coronavirus. L’usine tourne en trois-huit pour répondre à une demande de masques en progression constante.

Lire le reportage : Coronavirus : à Saint-Barthélemy-d’Anjou, les rotatives crachent des masques à la chaîne

Face à un rythme soutenu de production qui dure depuis plus de deux mois et pèse sur les salariés de la société, le besoin de renforcer les équipes est criant. Un constat fait par le préfet de Maine-et-Loire en visite, jeudi 12 mars, dans l’usine. « La situation ne pouvait pas durer, souligne Eric Grelier, président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Maine-et-Loire. Alors dès lundi 16 mars, le préfet et moi-même avons rédigé un courrier pour faire un appel à bénévolat. » Pour aider la PME – réquisitionnée par l’Etat début mars – à répondre aux commandes du ministère de la santé, un appel à la solidarité a été lancé, lundi 16 mars, en direction de toutes les entreprises susceptibles de prêter de la main-d’œuvre gracieusement à la société angevine.

« Le standard a explosé »

« L’idée est de solliciter l’aide des salariés en chômage technique suite aux mesures mises en place par l’Etat qui ont conduit à la fermeture de plusieurs industries », explique Pierre-Alexandre Lelaure, le directeur commercial de la PME. La société recherchait avant tout des opérateurs de production, des mécaniciens de maintenance, des magasiniers et des caristes. Les volontaires travailleront à titre gratuit pour le fabricant de masques pendant toute la durée de la crise sanitaire et seront payés par leur employeur habituel. « Le dispositif est inédit », se targue Eric Grelier.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. L’appel a été partagé des centaines de fois sur les réseaux sociaux. « Le standard a explosé, même des élus de la CCI proposaient leur aide pour assurer des fonctions managériales. Nous avons opéré un premier tri des candidatures avant de les soumettre à Kolmi-Hopen », explique Eric Grelier. Les candidatures sont désormais closes.

De son côté les équipes de l’entreprise se sont montrées émues de voir autant de solidarité. « Bénéficier de l’aide d’un personnel formé et opérationnel était inespéré, confie M. Lelaure. Nous avions du mal à recruter des agents pour effectuer de la maintenance des machines en raison du manque de ces compétences dans la région» Les renforts s’ajouteront aux 140 salariés, dont 35 CDD et intérimaires embauchés depuis janvier. La société continuera de fournir les structures médicales françaises au moins jusqu’au mois de mai 2020, date estimée de la fin de la réquisition par l’Etat.

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Le virus révélateur

« Les conséquences économiques sur l’emploi de l’épidémie de coronavirus ne dispenseront pas d’une réflexion globale sur le revenu des personnes en emplois précaires, ou ayant perdus leur travail, ou qui sont en fin d’activité. »
« Les conséquences économiques sur l’emploi de l’épidémie de coronavirus ne dispenseront pas d’une réflexion globale sur le revenu des personnes en emplois précaires, ou ayant perdus leur travail, ou qui sont en fin d’activité. » AGE / Photononstop

La pandémie provoquée par le virus COVID-19 éclaire crûment certains choix réalisés en matière de droit social depuis 2008. Première illustration : la première réforme des retraites réalisée à travers l’adoption d’un ensemble de textes de 2017 à 2019 a rationalisé les « retraites surcomplémentaires », des dispositifs de constitution d’un revenu de retraite par capitalisation. Après s’être heurté dès le départ aux faibles taux d’intérêts, elle est aujourd’hui victime de l’écroulement des marchés financiers, suite à la propagation du Coronavirus.

Même les aides massives accordées par l’Etat à ces nouveaux fonds de pension, sous forme d’exonérations de cotisations sociales patronales et d’allègements fiscaux considérables, ne suffisent pas à masquer la vulnérabilité de ce mode de protection sociale au comportement de la Bourse. Son importance devra probablement être rediscutée lors de la réforme des régimes de base, qu’elle doit compléter pour constituer la pension de retraite.

Le « Covid-19 » met également à nu les insuffisances de la réforme de 2013 ayant transformé le « chômage partiel » en « activité partielle » : limitation du recours aux seuls cas de sinistres ou d’incendie, demande d’autorisation préfectorale via la Dirrecte, mais autorisation tacite au bout de quinze jours, paiement de l’indemnité au salarié via l’employeur avec toutes les difficultés de gestion en paie que cela représente etc…etc…

Des décisions fatidiques dans le temps

Le gouvernement est aujourd’hui obligé d’annoncer en urgence une réforme du dispositif avec toujours la référence incantatoire obligatoire aux règles allemandes qui en fait sont toutes autres. L’arrêt de large pans de l’activité économique du fait de la diffusion du virus va conduire, quelle que soit l’efficacité des règles de prévention d’une rupture du contrat de travail à venir, à des licenciements pour motifs économiques. Ils pourront être prononcés d’autant plus rapidement que l’employeur n’est pas tenu de mettre en œuvre « le chômage partiel ».

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Les petites ou toutes petites entreprises n’auront probablement pas les moyens humains et logistiques de faire la demande, ou simplement la solidité financière nécessaire, surtout si la perte de marchés ou de clientèle se prolonge au-delà de la fin de l’épidémie. Des « difficultés économiques », telles que définies au moyen des indicateurs de l’article L. 1233-3 du Code du travail ou « une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », ou « à la cessation d’activité de l’entreprise » existeront : des licenciements individuels ou collectifs pourront être prononcés.

Coronavirus : la pandémie pourrait coûter jusqu’à 25 millions d’emplois dans le monde

Le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Guy Ryder, à Genève (Suisse), en juin 2019.
Le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Guy Ryder, à Genève (Suisse), en juin 2019. Denis Balibouse / REUTERS

Le prix à payer, en matière d’emplois dans le monde, pour la pandémie causée par le coronavirus sera élevé, et même très élevé, prévient l’Organisation internationale du travail (OIT). Dans une étude publiée mercredi 18 mars, l’organisation tripartite – réunissant les gouvernements, les organisations d’employeurs et les syndicats de 187 états membres – estime que la perte pourrait concerner jusqu’à 25 millions d’emplois. Soit plus qu’au lendemain de la crise financière de 2008, qui avait entraîné la suppression de près de 22 millions de postes.

Dans cette étude, l’OIT étudie trois cas de figure qui, selon la gravité de la pandémie, envisagent la disparition de 5,3 millions d’emplois – dans le scénario « optimiste » – à 24,7 millions (le scénario intermédiaire tablant, lui, sur 13 millions), sachant que l’on comptait environ 188 millions de chômeurs dans le monde en 2019.

« Cette crise sanitaire aura des répercussions incomparables. C’est un “crash test” d’une autre ampleur que la crise de 2008-2009, une crise globale, car, au coût sanitaire, humain, il faut ajouter les conséquences sociales et économiques, avec des secteurs entiers menacés comme le tourisme, les transports, mais aussi l’ensemble de l’industrie, comme on le voit déjà avec le secteur automobile », prévient Guy Ryder, le directeur général de l’OIT.

L’actuelle crise sanitaire, qui a débuté en Chine pour s’étendre à toute la planète, touche de plein fouet les économies des pays occidentaux, où « les pertes d’emplois seront plus importantes », prévient M. Ryder. Reste que le confinement de populations entières, les restrictions de mouvement et l’arrêt de la production et des échanges ne provoqueront pas seulement une hausse du chômage. La réduction massive d’emplois va s’accompagner d’un appauvrissement important des travailleurs, avec des baisses substantielles de revenus.

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L’étude de l’organisme international évalue cette perte entre 785 milliards et plus de 3 100 milliards d’euros d’ici à la fin 2020. « Cela se traduira par une chute de la consommation des biens et des services, qui impactera à son tour les perspectives des entreprises et des économies », écrivent les auteurs du document. « Un cercle vicieux », d’après M. Ryder.

La volonté d’agir au niveau international fait défaut

La pauvreté au travail augmentera en proportion. « La pression sur les revenus à la suite du déclin de l’activité économique touchera très gravement les travailleurs vivant autour ou sous le seuil de pauvreté. » Entre 8,8 et 35 millions de personnes supplémentaires dans le monde se retrouveront en situation de travailleurs pauvres, alors que l’OIT prévoyait, pour 2020, une baisse de 14 millions au niveau mondial sur un nombre estimé à 630 millions de travailleurs pauvres, c’est-à-dire gagnant moins de 3,20 dollars par jour (2,90 euros).