« Mon secteur d’activité est mort » : le difficile combat des personnes licenciées en pleine pandémie de Covid-19

Manifestation a l’appel de la CGT, de Solidaires et de la FSU, à Paris, le 17 septembre 2020.

Depuis six mois, Isabelle* vit en apnée. « Il ne faut pas qu’il se passe quelque chose », s’inquiète la mère de famille de deux enfants, licenciée en août après dix années chez Derichebourg Aeronautics Services, un sous-traitant d’Airbus. Comment rembourser l’emprunt de la maison, si la situation perdure ? Comment payer l’activité sportive des enfants ? Comment se projeter dans les mois qui viennent ? « Je me pose des questions sur tout », confie l’ancienne salariée. « Le fait d’être licenciée pendant cette crise économique rend la situation encore plus difficile », ajoute la trentenaire, qui vit désormais avec les 1 100 euros net par mois que lui verse Pôle emploi.

Le 12 juin, son entreprise a signé avec le syndicat majoritaire un accord de performance collective (APC), impliquant une baisse de salaire pour elle de 300 euros net par mois, soit un revenu à 1 200 euros. La trentenaire a rapidement fait le calcul : en soustrayant les frais d’essence pour se rendre au travail, « il valait mieux être au chômage ». Comme les 160 salariés ayant refusé l’APC — soit plus de 10 % des effectifs —, Isabelle a été licenciée pour « cause réelle et sérieuse ». Une procédure qui la prive, contrairement au licenciement économique, de mesures d’accompagnement renforcé pour retrouver un emploi.

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Avec la crise économique induite par l’épidémie de Covid-19, ces accords se multiplient. Ces derniers mois, une quinzaine d’entreprises ont voté des APC ou sont en phase de négociation pour le faire, selon les chiffres communiqués au Monde par le ministère du travail. Des accords qui s’ajoutent aux plans sociaux, eux aussi toujours plus nombreux. Au 13 septembre, 394 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) étaient ainsi recensés depuis mars, contre 249 sur la même période en 2019. Cela représente près de 57 000 emplois supprimés, soit trois fois plus que sur la même période en 2019, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Quand ce ne sont pas des plans de licenciement, les entreprises ont recours à d’autres dispositifs (rupture conventionnelle, fin de période d’essai, non-renouvellement de CDD, etc.) pour un résultat similaire.

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« Virée » en visioconférence

Textile, hôtellerie, tourisme, automobile, aéronautique… des pans entiers de l’économie française sont touchés et 715 000 emplois ont été détruits en France au premier semestre, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Au total, d’ici à la fin de l’année, le gouvernement table sur une destruction de 800 000 emplois et un taux de chômage qui pourrait atteindre 11,1 % en 2021.

« Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et nos entreprises, quoi qu’il en coûte », avait assuré Emmanuel Macron dans son allocution du 12 mars. Moins d’une heure après cette déclaration, Zoé* a reçu un appel de son manageur l’informant de sa volonté de mettre fin à son CDI, signé six mois plus tôt. « Il ne m’a pas laissé le choix », se souvient la serveuse de 22 ans, qui était en arrêt maladie depuis janvier à la suite d’une grave blessure. Avec le recul des mois écoulés, Zoé se dit qu’elle aurait dû protester. « C’était ma première embauche, je ne connaissais pas mes droits, je me suis laissé broyer par la machine », constate la jeune femme.

A l’unisson, les salariés licenciés décrivent une « annonce violente », à laquelle ils ne s’attendaient pas. A l’instar de 600 collègues, Sandrine, 48 ans, a été « virée » pendant une visioconférence, après vingt-huit ans d’ancienneté. Christophe, 41 ans, cadre dans l’industrie, a appris son licenciement par courrier recommandé. Après deux mois de chômage partiel, Sonia, 44 ans, responsable de la communication dans l’immobilier, a appris par téléphone que son poste était supprimé. Elle n’est jamais retournée au bureau, ses affaires lui ont été renvoyées par La Poste.

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Entre baisses de salaire et reconversions

Passé le choc de l’annonce, tous doivent se confronter à un marché de l’emploi sinistré. « Tout est à l’arrêt », « mon secteur d’activité est mort », « c’est la pire crise jamais connue », constatent ces anciens salariés, qui s’adonnent avec zèle à l’envoi de CV et de lettres de motivation. Jacques, agent de voyages, âgé de 57 ans, n’en est pas à sa première « crise professionnelle ». En trente-cinq ans de métier dans le secteur du tourisme, il a connu cinq licenciements : la guerre du Golfe de 1991, la crise des « subprimes » en 2008, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010, les plans sociaux chez Thomas Cook en 2013 et la pandémie de Covid-19.

Avant cette crise sanitaire, le quinquagénaire assure avoir « toujours rebondi », sans connaître la moindre période de chômage. « Cette fois, c’est bien pire que tout ce que j’ai vu dans le passé, constate-t-il. C’est fini, je sais que je ne retrouverai pas de travail dans le tourisme. »

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Paul-Marie*, lui, travaillait dans un secteur prospère. Ce qui n’empêche pas ce manageur dans l’industrie médicale de faire le même constat : « Pour la première fois, j’envoie des CV et je n’ai pas de réponse. » Selon de nombreux cadres interrogés, les offres d’emploi concernent désormais des contrats de courte durée, avec des rémunérations revues à la baisse. « On m’a appelé pour une mission d’intérim de six mois à 15 euros brut de l’heure », déplore ainsi Christophe, qui gagnait plus de 3 000 euros net par mois avant son licenciement et perçoit désormais 1 900 euros d’allocation-chômage.

« C’est difficile de se disqualifier professionnellement », confie Paul-Marie, qui s’est vu proposer des baisses de salaire de 30 %. « Si j’accepte, je sais que je ne retrouverai pas mon salaire précédent avant plusieurs années », précise le père de famille, qui n’envisage pourtant pas de changer de métier. « J’aime mon travail, cela fait vingt ans que je le façonne », explique-t-il, résumant un avis partagé par de nombreux salariés expérimentés et diplômés. D’autant que « pour se reconvertir, il faut avoir du temps devant soi, estime Sonia, parisienne célibataire. Ce n’est pas accessible à tout le monde, surtout quand on est maman solo avec deux enfants à charge. » Pour financer sa formation de prothésiste dentaire, Isabelle, elle, a souscrit à un emprunt de 3 000 euros, ajoutant de la précarité à la précarité, et la privant de vacances en famille cet été.

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« Sans travail, je me sens amputé »

Si les répercussions financières sont plus ou moins pénalisantes selon les revenus de chacun, toutes les personnes interrogées ont dû revoir leur mode de vie. Christophe, qui fait tout pour que ses fils ne s’aperçoivent pas qu’il est au chômage, n’a plus les moyens de mettre chaque mois de l’argent de côté pour eux. Dans un an, Sonia ne touchera plus que 50 % de son salaire précédent et ne pourra plus payer son loyer parisien. Quant à Zoé, avec ses 850 euros d’allocation-chômage par mois, elle retrouvera ses habitudes de vie étudiante, « en mangeant des pâtes aux lardons ».

Quel regard portent les proches sur leur ami, frère, compagnon qui se retrouve soudainement au chômage ? Si la majorité des personnes interrogées évoquent la bienveillance de leurs proches, d’autres décrivent « une image sociale dégradée », qui s’ajoute à leur propre regard dépréciatif sur la situation. « Sans travail, je me sens amputé, je ne sais pas faire », confie Paul-Marie. « J’ai toujours voulu être un modèle d’indépendance pour mes deux filles, en ne travaillant plus, j’ai peur de l’image que je leur renvoie », s’inquiète Sonia. Pour ses filles, la mère de famille est déterminée à « sortir de ce tourbillon noir », désireuse de leur montrer que les périodes de turbulence peuvent aussi être « l’occasion de se réinventer ».

* Les prénoms ont été modifiés.

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« Quand Saint-Jul’ fermera, ça fera très mal » : l’inquiétude des salariés de l’usine Daher

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Publié aujourd’hui à 00h47, mis à jour à 09h06

Comme chaque midi, Stéphanie (qui n’a pas souhaité donner son nom) sort du Carrefour Market avec une salade de pâtes et une bouteille d’eau. Depuis cet été, un sticker noir « Non à la fermeture de Saint-Julien » recouvre le logo Daher cousu sur sa veste polaire.

La quinquagénaire, embauchée en 2000, a été la première femme de son usine à faire les trois-huit. « J’étais à la découpe de tissus, du Plexi puis de la fibre carbone et je gagnais très bien ma vie. » Mais une blessure à l’épaule la conduit à reprendre des horaires classiques. Un coup dur alors qu’elle vient d’acheter une maison : « Mon salaire a baissé, j’ai frôlé le surendettement. Je devais faire attention à tout. » Après vingt ans d’ancienneté, Stéphanie gagne 1 600 euros net, sans compter le treizième mois. « Quand Saint-Julien fermera, parce qu’il faut pas rêver, ça fera très mal. J’ai pas fini de payer ma maison, mes parents sont âgés… Impossible de déménager. »

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En annonçant le 25 juin vouloir restructurer ses sites de production pour lutter contre une surcapacité industrielle, l’équipementier aéronautique Daher a acté son départ de Saint-Julien-de-Chédon (Loir-et-Cher), sous deux ans.

C’est à « Saint-Jul’ » que sont produits des pièces de moteur pour l’A350, des carénages pour Airbus Helicopters et des morceaux de jets privés Gulfstream. Le tout en matériaux composites. « Et on se débarrasse dans la foulée d’un bureau d’études stratégique, là où naissent nos prototypes, là où les ouvriers montent sans crainte pour soumettre des idées, explique un cadre qui, comme nombre de ses collègues inquiets, préfère l’anonymat. Daher promet de le dupliquer à Nantes. Mais ça nous a pris quinze ans pour créer un tel écosystème ! En voulant faire des économies, ils prennent un gros risque. »

« Daher nous tue »

Les premiers effets économiques et sociaux de la crise sanitaire se font sentir : tous les intérimaires ont déjà disparu de l’usine et le chômage partiel s’applique plus ou moins fortement selon les ateliers. Sur les 304 postes en CDI, il est prévu d’en supprimer 50 au premier semestre 2021. Puis s’opérera le transfert d’environ 80 salariés vers les sites Daher de Tarbes et de Nantes.

A titre exemple, sur les six postes d’opérateurs ultrasons de Saint-Julien, chargés de déceler la moindre aspérité dans les matériaux, quatre seront supprimés et deux délocalisés. Sur les grilles de l’usine bordant la D976 qui relie Tours à Vierzon (Cher), des draps tagués sont étalés. On y lit : « Daher nous tue », « Daher en rêvait, le Covid l’a fait ».

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Ecologie, compétitivité, emploi… Un budget 2021 à l’épreuve de la crise sanitaire

Agnès Pannier-Runacher, Bruno Le Maire, Olivier Dussopt et Alain Griset, dans la cour de l’Elysée, le 7 juillet.

Ce devait être le budget de la relance, une manière pour le gouvernement de montrer qu’il est à la manœuvre pour soutenir l’économie, mais aussi de dessiner la France de la fin du quinquennat. L’évolution récente de l’épidémie de Covid-19 va-t-elle tout faire dérailler ?

La présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2021, lundi 28 septembre en conseil des ministres, centrée sur le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté au début du mois, intervient quelques jours après l’annonce d’un durcissement inattendu des restrictions sanitaires.

Pourtant, pas question pour le gouvernement de donner l’impression de naviguer à vue. « Le budget que nous présentons est un budget de relance. Il répond à l’urgence immédiate de dizaines de milliers d’entrepreneurs qui ont besoin de l’Etat pour faire face à la crise. Mais il prépare surtout l’avenir des Français », a assuré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lundi matin. « Cela ne remet pas en cause la façon dont le plan de relance a été conçu, la nécessité de renforcer la compétitivité des entreprises et de mettre la priorité sur l’emploi », défend son entourage.

Le plan, qui mêle investissements, mesures immédiates pour l’emploi et baisse d’impôts pour les entreprises, vise à faire revenir l’économie en 2022 à son niveau d’avant-crise, mais aussi à « bâtir la France de 2030 ».

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Pour le moment, le budget 2021 ne prévoit pas de révision du niveau de récession attendu cette année et l’an prochain. Le PIB devrait se contracter de 10 % en 2020, avant de rebondir de 8 %. « Dans notre prévision 2020, plus prudente que celle de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] ou de l’Insee, nous avions prévu un retour des conditions sanitaires compliquées, ainsi que les incertitudes internationales [perturbations du commerce mondial, élections américaines, Brexit…] », assure-t-on à Bercy.

Rebond incertain

Dans son avis sur le texte, publié lundi, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) souligne toutefois que « les incertitudes demeurent exceptionnellement élevées ». En particulier, « l’ampleur du rebond prévu pour 2021 est volontariste », note le HCFP, qui craint que l’investissement privé et public ne soit pas dopé autant que prévu par le plan de relance.

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Dans ce contexte, comment construire un budget ? « C’est particulièrement compliqué, car on a des inconnues des deux côtés : l’Etat va perdre des recettes non encaissées à cause de la crise [impôts, cotisations] et, en même temps, voir ses dépenses augmenter », indique Emilie Cariou, députée ex-La République en marche (LRM) de la Meuse. « On n’a plus de budget ! Le gouvernement fait de la relance, ce qui est nécessaire, mais sans indication sur la manière de la financer », déplore de son côté Eric Woerth, le président (Les Républicains, LR) de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

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A l’Hôtel Ibis Batignolles, la longue lutte des femmes de chambre

Des femmes de chambre de l’Hôtel Ibis Batignolles manifestent devant le siège du groupe hôtelier Accor, à Paris, le 17 octobre 2019, pour réclamer de meilleures conditions de travail.

Il faut aller au bout d’une impasse qui débouche sur le boulevard de Clichy, dans le 17e arrondissement de Paris, puis entrer dans un petit bâtiment sans se fier à l’inscription « Sud Rail » sur son fronton, et descendre au sous-sol, guidé par des bruits de voix, pour les trouver. Dans ce local prêté étaient rassemblées, mardi 22 septembre, des femmes de chambre et des gouvernantes de l’hôtel tout proche, l’Ibis Batignolles, dont la lutte est entrée dans son quinzième mois. Assises autour de Tiziri Kandi, animatrice syndicale de la CGT des hôtels de prestige et économiques (HPE), qui les soutient depuis le début de leur grève, le 17 juillet 2019, elles se réunissaient pour faire le point sur le combat le plus long mené dans l’hôtellerie et les actions à venir.

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Elles sont 17 femmes de chambre, deux gouvernantes et un équipier, tous africains (sur une équipe de 40 personnes), dans cette bataille contre le géant de l’hôtellerie, Accor, opérateur de l’hôtel Ibis Batignolles, et contre le sous-traitant du nettoyage, STN, leur employeur. La grève a été suspendue le 16 mars 2020, quand l’hôtel a fermé. Leur employeur les a placées en activité partielle. Elles le sont toujours. L’hôtel a rouvert le 1er septembre.

Outre leur embauche directe par l’hôtel pour en finir avec le dumping que permet la sous-traitance, leurs revendications portent sur une prime de panier de 7,24 euros par jour, équivalente à celle du personnel recruté directement par l’hôtel, une revalorisation de leurs qualifications, une diminution des cadences, ainsi qu’un paiement réel et décent à l’heure.

« On nous exploite parce que nous sommes noires »

« Sur nos contrats de travail, il y a des horaires, mais, en réalité, nous sommes payées à la chambre, ce qui est illégal », explique Rachel Keke, embauchée en 2003 comme femme de chambre et devenue gouvernante en 2019. « Selon les jours, on doit faire 30 à 40 ou 50 chambres dans la journée, souligne Sylvie Kemissa, une femme de chambre. Si on refuse, si on se plaint, on est mutées. Ce qui nous oblige à faire des heures supplémentaires qui ne sont pas payées. »

Seule la demande d’une pointeuse a été acceptée, en novembre 2019, à la suite d’un contrôle de l’inspection du travail, le 3 août précédent

« Femme de chambre, rappelle Rachel Keke, c’est un métier très dur. Moi, j’ai eu un accident du travail en 2019, en tirant un lit. A force de répéter les mêmes gestes, j’ai eu une tendinite. D’autres souffrent du syndrome du canal carpien, du dos. » Les femmes de chambre sont rémunérées 10,30 euros brut de l’heure. « On nous exploite parce que nous sommes noires, estime Mme Keke. Ils se disent qu’on sait pas lire ni écrire. Et c’est vrai, pour la majorité d’entre nous, qu’on ne connaît pas nos droits. Pourquoi n’y a-t-il presque aucune femme blanche dans notre métier ? » Une plainte pour discrimination raciale est d’ailleurs en préparation.

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Le ministère du travail face au départ de plusieurs hauts cadres

Le ministère du travail est sur le point de perdre, à nouveau, un pilier : il s’agit de Jean-Marie Marx, haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi. L’intéressé, qui occupait ce poste depuis juillet 2018, devrait céder la place le 5 octobre. L’une des membres de son équipe, Carine Seiler, va assurer l’intérim.

Son départ, qui devrait être officialisé lundi en conseil des ministres, intervient quelques jours après la démission fracassante d’un autre haut gradé du ministère : Yves Struillou, le chef de la direction générale du travail, avait rendu son tablier, le 18 septembre, alors qu’il avait été désavoué par Elisabeth Borne, la ministre du travail, dans un dossier de procédure disciplinaire à l’encontre d’un inspecteur du travail.

Départ anticipé ?

M. Marx s’en va-t-il, lui aussi, à la suite d’un accrochage ou de divergences avec son autorité de tutelle ? Pas du tout, répond-il en substance. L’idée de changer de responsabilités était, selon lui, « dans les tuyaux » depuis plusieurs mois, bien avant l’arrivée de Mme Borne au 127, rue de Grenelle, le siège du ministère du travail. M. Marx devrait retourner dans son administration d’origine, le ministère de l’agriculture : il est ingénieur général des ponts, des eaux et forêts.

Peu connu du grand public, le haut-commissaire aux compétences assure une mission très importante : piloter le plan d’investissement dans les compétences (PIC), gigantesque programme financé à hauteur de près de 15 milliards d’euros qui prévoit de former, entre 2018 et 2022, un million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et un million de jeunes éloignés du monde du travail. Ce dispositif a encore été renforcé à la faveur du plan de relance présenté début septembre par l’exécutif.

Rôles-clé

Mme Borne doit, par ailleurs, faire face à un autre départ : celui de son conseiller à la formation professionnelle et à l’apprentissage, Alain Druelles. Comme l’a révélé l’agence de presse AEF, celui-ci a quitté ses fonctions le 25 septembre. Il avait commencé à les exercer, il y a près de deux ans, lorsque Muriel Pénicaud était ministre du travail.

La ministre du travail voit donc s’en aller trois « pointures » – MM. Druelles, Marx et Struillou –, qui ont joué un rôle-clé dans des réformes ou des chantiers lancés durant la première moitié du quinquennat (transformation en profondeur de la formation professionnelle et de l’apprentissage, PIC, ordonnances réécrivant le code du travail…). Pour la ministre, c’est tout sauf une bonne nouvelle.

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En redressement judiciaire, Bio c’ Bon aiguise les appétits

La devanture d’un magasin Bio c’ Bon à Paris, le 8 septembre.

Jusqu’à présent, Thierry Chouraqui était resté très discret. Autant, affirmeront certains, que l’entreprise qu’il dirige, Bio c’ Bon. Troisième acteur de la distribution spécialisée de produits biologiques derrière Naturalia et Biocoop, le réseau a été placé, à la surprise générale, en redressement judiciaire le 2 septembre par le tribunal de commerce de Paris. Sortant de son silence « pour rétablir la vérité au regard de tout ce qui a été dit », M. Chouraqui justifie, auprès du Monde, cette décision par le besoin de protéger l’enseigne en France et ses 1 035 salariés.

« En raison des évolutions du marché du bio ces trois dernières années, et notamment de l’arrivée massive des grands groupes de distribution alimentaire sur ce segment, nous devions nous adosser, à un moment donné, à un groupe plus important pour pouvoir continuer le développement », explique le dirigeant. D’autant que « de nombreux mouvements sociaux sont venus mettre à mal les centres-villes, où nous sommes très implantés. Les “gilets jaunes”, en novembre 2018, puis les grèves contre la réforme des retraites, fin 2019, ont eu un impact sur notre chiffre d’affaires ». A cela se sont ajoutés des couacs d’approvisionnement dus à une nouvelle plate-forme logistique, le tout provoquant une « légère baisse du chiffre d’affaires en 2019, à 146 millions d’euros ».

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« Pour assurer la pérennité du groupe, des négociations exclusives ont été conclues en juin avec le groupe familial Zouari », souligne Thierry Chouraqui. Mais les discussions pour céder une participation majoritaire dans Bio c’ Bon à cet important franchisé du groupe Casino, qui, en janvier 2020, s’est offert 44,5 % de Picard, se sont interrompues quelques semaines plus tard. « Tenu à une certaine confidentialité », M. Chouraqui reconnaît que « dans un système de négociation classique, cela peut prendre un peu de temps ».

« Assurer la pérennité de l’enseigne »

Et du temps, Bio c’ Bon n’en avait plus. Le chiffre d’affaires du premier semestre continuait de décliner, aggravé par l’épidémie de Covid-19. « Beaucoup de gens ont fait leur confinement à la campagne, et principalement nos clients. L’activité que nous avons connue avec le Covid a été très difficile, et il fallait faire vite pour assurer la pérennité de l’enseigne. On a donc décidé de passer sous la protection du tribunal pour enclencher un processus de cession par mise en concurrence. »

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« Pourquoi vouloir limiter uniquement les salaires des footballeurs et pas d’autres activités qui fonctionnent sur les mêmes principes économiques ? »

Tribune. Cette rentrée est marquée par un florilège de critiques à l’encontre du sport professionnel : le Tour de France serait « machiste et polluant », distribuant des « goodies aux chômeurs », les Jeux olympiques Paris 2024 seraient « une opération de prestige pharaonique » dilapidant l’argent public…

Politiques et intellectuels, chacun y va de son refrain, souvent sans bien maîtriser les dossiers. Dernière en date, une tribune du Monde d’Olivier Caremelle, adjoint au maire de Lille, qui, lui, s’attaque au football : « Tout, aujourd’hui, dans le football moderne, transpire l’indécence ». Ces propos méritent que l’on s’y attarde (Le Monde du 20 septembre).

Sur le « poids de l’argent dans le football », précisons que malgré une forte croissance depuis les années 1990, le football reste, encore aujourd’hui, plutôt un petit business comparé aux autres secteurs d’activité : le chiffre d’affaires (CA) des cinq plus gros championnats européens est légèrement inférieur à celui de la Française des jeux ; le budget global de la Ligue 1 est inférieur au chiffre d’affaires de son sponsor officiel, Uber Eats.

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Que représente le CA du football dans le produit intérieur brut (PIB), aujourd’hui en France ? En comptant large, à peine 0,2 %… Regardé par des milliards de supporteurs, le football produit finalement des revenus bien inférieurs à toutes les passions qu’il suscite.

« Les joueurs sont des esclaves »

Pour « le monde du football d’après », Olivier Caremelle propose alors deux mesures : « Interdire définitivement l’achat ou la vente de joueurs, pratique curieuse, ressemblant à la vente d’esclaves » ; et « décider d’une limitation des salaires (…). Une somme de 30 000 euros maximum représentant déjà plus de vingt fois le smic. »

Sur la première proposition, un rappel historique est nécessaire. Les transferts ne sont apparus véritablement en France qu’au début des années 1970, lorsque les contrats à « durée librement déterminée » ont remplacé les « contrats à vie » ; d’autre part, ces mutations ne sont véritablement développées qu’à partir du milieu des années 1990, avec d’un côté le célèbre « arrêt Bosman », de l’autre la forte croissance de l’économie du football.

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Du début du professionnalisme en France, en 1932, jusqu’à la fin des années 1960, les joueurs professionnels étaient embauchés « à vie » par leur club. Une fois le contrat signé, ils ne pouvaient plus changer de club, sauf si celui-ci donnait son accord (Kopa a ainsi pu être transféré du Stade de Reims au Real Madrid, en 1956). En 1963, Kopa prend la tête d’une fronde contre ce contrat, déclarant : « Les joueurs sont des esclaves ». Le droit de circuler « librement » entre clubs ne leur a été formellement reconnu qu’en 1969, après les revendications de Mai 1968 : « Le football aux footballeurs ».

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L’hôtellerie française face « au plus grand plan social de son histoire »

Manifestation pour dénoncer les licenciements dans l'hôtellerie, devant le siège d’Accor à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 8 septembre.

Après l’été de la débrouille vient l’automne de la désolation pour l’hôtellerie française. Elle a jusqu’alors écopé, jonglé entre la réception et les fourneaux, renoncé aux contrats saisonniers, usé du chômage partiel et réduit son recours aux sous-traitants. Il y a eu, pour les mieux placés, un bel été en forme de sursis. Mais la reprise est morose, en particulier en Ile-de-France, à l’arrêt depuis six mois. Cela laisse le temps de se plonger dans les comptes et le code du travail.

« L’hôtellerie française est en train de connaître le plus grand plan social de son histoire », s’alarme le Groupement national des indépendants (GNI-HCR), qui conclut, d’après une enquête menée début septembre, à un chiffre de 30 000 emplois menacés d’ici fin 2020. Déjà, le premier semestre a vu la disparition de 46 900 emplois, selon l’Insee. Il est probable qu’un quart des postes du secteur aura disparu cette année. Un choc brutal pour ce vivier d’emplois non délocalisables et en croissance régulière depuis le début du siècle.

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La saignée devrait se poursuivre en 2021, lorsqu’il s’agira de rembourser les dettes et que le chômage partiel ne sera plus compensé intégralement par l’Etat. A ces chiffres, il faut ajouter le non-recours à l’emploi saisonnier cet été, difficile à mesurer à ce jour. Et la casse chez les sous-traitants, présents aussi bien dans l’hôtellerie économique que dans les quatre-étoiles.

La plupart d’entre eux se voient refuser la prise en charge du chômage partiel par l’Etat, n’étant pas associés au secteur de l’hôtellerie-restauration. Les licenciements pour faute grave se multiplient chez Acqua, qui travaille exclusivement dans l’hôtellerie et a perdu 80 % de son chiffre d’affaires. Le groupe Azurial, dont 300 salariés sont spécialisés dans le nettoyage des hôtels, envisage de se séparer d’une cinquantaine d’entre eux.

« On a tapé sur tous les services »

C’est une hémorragie silencieuse, loin des plans sociaux de l’industrie. Dans l’hébergement, la part importante de contrats courts (22,2 % de CDD en 2017), le recours à la sous-traitance et l’important taux de rotation des salariés rendent les suppressions de postes plus aisées. Ces leviers ont déjà été activés. Les propriétaires d’hôtel commencent à passer à la case licenciements.

Les syndicats rapportent une recrudescence de ruptures conventionnelles à l’initiative des employeurs, malgré le rôle d’amortisseur joué par le dispositif d’activité partielle

Les personnels de réception et les femmes de chambre, quand ils sont employés directement, sont les premiers à en souffrir. « Avec des taux d’occupation à 20 % ou 30 % plutôt que 70 % ou 80 %, on a tapé sur tous les services : femmes de chambre, réception de jour comme de nuit, restauration, explique Franck Trouet, du GNI-HCR. Beaucoup d’hôteliers ont repris par eux-mêmes la réception. Ce sont des licenciements économiques individuels et de petits licenciements collectifs [procédure utilisée pour licencier moins de dix personnes] qui ne donnent pas lieu aux fameux PSE [plans de sauvegarde de l’emploi] dont on parle dans les médias. » Les syndicats rapportent aussi une recrudescence de ruptures conventionnelles à l’initiative des employeurs, malgré le rôle d’amortisseur joué par le dispositif d’activité partielle.

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Chômage : une baisse en août qui ne corrige pas la violence de la crise

Sur le marché du travail, la situation s’améliore, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit resplendissante – bien au contraire. En août, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) a diminué de près de 175 000 sur toute la France – outre-mer compris, sauf Mayotte – pour se situer à 3,872 millions, selon les données diffusées, vendredi 25 septembre, par la Dares, la direction chargée des études au ministère du travail. C’est le quatrième mois d’affilée de baisse – le recul étant d’une ampleur quasi identique à celui observé en juillet (− 4,3 %).

Toutes les tranches d’âge sont concernées par ce mouvement de repli, en particulier les moins de 25 ans : − 6,77 % en métropole (contre − 4,6 % pour les 25-49 ans et − 3 % pour les personnes d’au moins 50 ans). Un phénomène qui découle peut-être des mesures annoncées, aux mois de juin et de juillet, en faveur de cette partie de la population : aides financières versées aux employeurs qui embauchent un individu de moins de 26 ans, primes pour les entreprises recourant à des apprentis, etc. En août, quelque « 180 000 jeunes ont été recrutés », a déclaré, vendredi, la ministre du travail, Elisabeth Borne. Un ordre de grandeur supérieur de « 9 % » à celui d’il y a un an, selon elle.

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La réduction du nombre de demandeurs d’emploi relevant de la catégorie A « constitue une bonne nouvelle, après la très forte augmentation enregistrée au début du confinement », commente Gilbert Cette, professeur associé à l’université d’Aix-Marseille. Il s’agit d’une diminution « significative – surtout pour les jeunes – et régulière » depuis la mi-mai, complète Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique (CAE) et professeur à Sciences Po. « C’est le signe que le marché du travail est bien reparti, ajoute-t-il. Je ne pense pas qu’on anticipait une évolution aussi favorable. Ça corrobore les bonnes statistiques de la consommation. » Autrement dit, le dynamisme de la demande des ménages a conduit des entreprises à faire appel à de la main-d’œuvre supplémentaire pour pouvoir répondre à leurs clients.

D’ailleurs, les déclarations d’embauche de plus d’un mois (hors intérim) ont progressé de près de 10 % en août, « revenant ainsi à [leur] niveau d’avant la crise sanitaire », d’après une étude diffusée, mercredi 23 septembre, par l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) – la structure qui coiffe le réseau des Urssaf. Parallèlement, les sociétés de travail temporaire remontent, peu à peu, la pente : la chute d’activité qu’elles ont subie en août s’est atténuée par rapport à celle mesurée en juillet, selon le « baromètre » de Prism’emploi, une organisation qui représente les employeurs du secteur.

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En Espagne, le statut d’autoentrepreneur des livreurs à vélo revu par la Cour suprême

Un livreur de la plate-forme Glovo, à Madrid, le 30 avril 2020, pendant le confinement décrété par les autorités espagnoles pour lutter contre la pandémie de Covid-19.

En Espagne, Deliveroo, Glovo, Uber Eats et autres plates-formes de livraison à domicile peuvent trembler. Après des décisions contradictoires émises par des tribunaux de première instance du royaume sur la nature des relations professionnelles qui unissent un livreur et la plate-forme pour laquelle il travaille, la Cour suprême s’est finalement prononcée sur la question.

Pour le haut tribunal espagnol, il ne fait pas de doute que les conditions fixées relèvent de la définition du « contrat de travail ». La plate-forme barcelonaise Glovo « n’est pas un simple intermédiaire dans la réservation de services entre commerces et livreurs. C’est une entreprise qui prête des services de livraison et messagerie, en fixant les conditions essentielles pour la prestation de ce service », a-t-il avancé dans un communiqué diffusé mercredi 23 septembre. En conclusion, la personne à l’origine de la plainte, qui avait un statut d’autoentrepreneur, doit être requalifiée en salarié.

Le texte complet de la sentence ne sera communiqué que dans les prochains jours, mais déjà, la Cour argumente sa décision, en rappelant que la plate-forme de livraison « est titulaire des actifs essentiels pour la réalisation de l’activité », en l’occurrence l’application informatique de gestion des commandes, et qu’elle « se sert de livreurs qui ne disposent pas d’une entreprise propre et autonome, lesquels prêtent leurs services en étant intégrés dans l’organisation du travail de l’employeur ». Une définition qui contredit le discours des plates-formes, lesquelles définissent leurs travailleurs comme des indépendants ayant la possibilité de choisir librement leurs horaires et le nombre d’heures qu’ils souhaitent effectuer.

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Pour que cette décision fasse jurisprudence, il est encore nécessaire que la Cour suprême se prononce de manière similaire une seconde fois. Ce qui ne devrait pas tarder. Des dizaines de plaintes ont été examinées par les tribunaux ces dernières années, et depuis qu’en novembre 2018, un tribunal de Valence a été le premier en Europe à requalifier comme « salarié » un « faux autoentrepreneur », la majorité des jugements sont allés dans le même sens.

« Une nouvelle forme d’esclavage »

De plus, depuis 2019, la justice espagnole a donné raison à trois reprises à la Sécurité sociale, qui exigeait de Deliveroo que la plate-forme s’acquitte des cotisations de livreurs travaillant pour elle à Valence, Madrid et Saragosse. Dans la capitale du royaume, pour 500 coursiers, la facture s’élevait à près de 1,2 million d’euros. Selon l’association Adigital, le pays compte près de 14 000 livreurs…

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