Camille Peugny : « La jeunesse est face à une marée montante de la précarité »
Depuis le début de la crise sanitaire, l’idée d’une jeunesse « sacrifiée » est revenue sur le devant de la scène, sur fond de reportages montrant des étudiants faisant la queue dans les lieux de distribution alimentaire et de débats sur les efforts demandés aux jeunes au nom de la solidarité entre générations. La campagne présidentielle ne semble pourtant pas avoir – encore – fait de cette jeunesse une thématique prioritaire.
Alors qu’on parle souvent à sa place, qu’on multiplie les dispositifs la concernant, qu’elle sert régulièrement de caution pour justifier telle ou telle réforme douloureuse, le sociologue Camille Peugny en dresse le profil et estime dans Pour une politique de la jeunesse (Seuil, janvier 2022, 11,80 euros), que la France n’a, pour l’instant, « aucune politique en direction de la jeunesse ». Il met en avant dans cet ouvrage les inégalités la fracturant et des pistes pour en faire une priorité nationale.
Les jeunes de 2022 sont régulièrement présentés comme plus sensibilisés aux questions de société que leurs aînés. Est-ce vrai ?
Camille Peugny : On dit, en effet, depuis quelques années que cette génération serait porteuse de « nouvelles » valeurs, qu’elle est plus ouverte et tolérante que les précédentes, particulièrement préoccupée par les questions d’environnement, d’égalité entre les sexes, d’ouverture à l’Europe et au monde, etc. Mais l’analyse de la répartition des valeurs par âge ne va pas vraiment dans le sens d’une spécificité des valeurs de la jeunesse. D’abord parce que cette classe d’âge n’est pas homogène. Mais surtout parce qu’on s’aperçoit que la sensibilité aux questions de société est, en fait, relativement semblable parmi les… 18-59 ans.
« La préoccupation pour les questions de société progresse avec le niveau de diplôme »
Le vrai clivage se fait, en réalité, entre cette large classe d’âge et celle des plus de 65 ans, moins préoccupés par ces sujets, voire parfois crispés. Cela n’enlève en rien le possible effet d’entraînement que joue sur la société la petite minorité de la jeunesse, souvent plus diplômée, particulièrement mobilisée sur la question environnementale. La préoccupation pour les questions de société progresse avec le niveau de diplôme, donc pas de manière uniforme dans la jeunesse.
Parler de « la » jeunesse a-t-il encore un sens dans ce contexte ?
Clairement non. Comme les autres classes d’âge, la jeunesse est diverse en termes de statuts, d’origine, de trajectoire sociale et territoriale. Elle est traversée de nombreux clivages liés à des expériences de vie différenciées et des inégalités sociales. Les attitudes et valeurs, l’intérêt porté à la question climatique ou la tolérance à l’égard de l’immigration par exemple, varient selon qu’on est un étudiant, un « décrocheur », un jeune ouvrier, un jeune cadre ou sans emploi, etc.
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