Avis de décès de la valeur travail

Avis de décès de la valeur travail

« Autopsie de la valeur travail. A-t-on perdu tout sens de l’effort? », de Gérard Amicel et Amine Boukerche. Editions Apogée, 168 pages, 15 euros.

Le livre. « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice, et le besoin ». C’est à partir de cette réflexion du Turc que le Candide de Voltaire en arrive à la conclusion que la destinée de l’homme est de travailler. L’avènement de la révolution industrielle viendra confirmer cette conception : jamais la valeur travail n’a été aussi centrale que dans les sociétés modernes productivistes.

Pourtant, cette valeur est en crise. Le chômage génère de nombreux drames sociaux, et même ceux qui ont le bonheur d’avoir un emploi peuvent vivre leur travail comme une épreuve physique et psychologique oppressante. « La vie misérable, laborieuse, douloureuse que mènent une multitude d’hommes prisonniers de l’emprise du travail semble contraire aux affirmations de Voltaire », affirment Gérard Amicel et Amine Boukerche.

En colonisant tout le temps d’une vie, la valeur travail n’a-t-elle pas fini par nier les fins auxquelles elle prétend ? Si la société idolâtre une valeur largement fantasmée, quelles sont les alternatives pour échapper à cette illusion ? s’interrogent les philosophes dans Autopsie de la valeur travail (Editions Apogée).

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« La valeur travail se meurt. Mais personne n’ose publier l’avis officiel de décès. Les discours puritains sur “le sens de l’effort” ne résoudront pas les difficultés économiques et sociales de notre époque. Ils visent au contraire à les masquer. » L’ouvrage montre la genèse historique de la centralité de cette valeur, puis creuse la réflexion sur la crise qui la frappe, en mobilisant philosophes, sociologues et économistes, d’Adam Smith à Rousseau, en passant par Locke, Marx et Proudhon. On revient sur les origines du management éthique avec Winslow Taylor, on pointe les limites du « slow management » en s’intéressant au compagnonnage médiéval, on s’interroge sur l’avenir du salariat avec André Gorz.

Suspicion généralisée

Alors que les économistes ont abandonné l’idée du travail comme mesure de la valeur d’échange de la marchandise, le progrès technologique a eu pour effet de réduire massivement le temps de travail. « Les appels incantatoires à la valeur travail sont donc en contradiction avec la réalité de la pratique politique et économique contemporaine. »

Les Etats cherchent à réduire les effectifs de leurs administrations et encouragent l’économie numérique, qui élimine les métiers traditionnels. « L’idéologie du mérite est une hypocrisie cruelle quand la valeur économique d’un emploi est inversement proportionnelle à sa valeur sociale. » Et que reste-t-il de la supposée rigueur économique et morale du capitalisme originel, dans un monde où des Etats surendettés sauvent de la faillite un système financier international devenu fou ?

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LJD

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