Dans les entreprises plus féminisées, les conflits sur les salaires sont moins efficaces

Alors que les négociations annuelles obligatoires (NAO) sur les rémunérations se poursuivent dans les entreprises pour 2024, le ralentissement de l’inflation devrait amoindrir les enveloppes d’augmentation prévues dans les accords qui parviennent à être conclus. Or, les niveaux de salaires restent l’un des tout premiers motifs de conflictualité au travail, qu’il s’agisse de mobilisations collectives (débrayages, grèves prolongées) ou de litiges individuels.

Quels sont les résultats de cette conflictualité ? C’est ce qu’a souhaité ausculter une étude du sociologue Maxime Lescurieux, publiée en février par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail. Sans conclure à un lien de causalité qui ferait de ces pics de tension le seul facteur d’explication des augmentations de salaire, l’auteur relève plutôt une « corrélation significative » positive entre la présence de conflits, l’ouverture de négociations et les augmentations : entre 2014 et 2019, la rémunération brute moyenne horaire augmente plus vite dans les entreprises les plus conflictuelles que dans les moins conflictuelles.

Le document fournit des variables complémentaires d’analyse, tels le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, la catégorie socioprofessionnelle et, plus originale, la prédominance d’hommes ou de femmes dans l’entreprise.

Habitude à mobiliser et à négocier

Contrairement sans doute à une idée reçue, il n’y a pas de différence marquée entre les deux genres dans la propension à entrer durablement en conflit. En revanche, l’impact des conflits portant sur les rémunérations est moindre et moins visible dans les entreprises où les femmes sont majoritaires. Ce lien entre conflictualité et rémunération, pointé de manière positive dans les établissements où les hommes sont majoritaires, s’avère même pénalisant en cas de conflits collectifs plus courts et perlés parmi des effectifs plus féminisés.

Première clé d’explication, selon Maxime Lescurieux, l’auteur de l’étude : dans les entreprises avec plus d’hommes, par exemple dans l’industrie ou les transports, « davantage de négociations collectives menées portent sur le thème des salaires », soit 87 %, contre seulement 80 % dans les entreprises où les femmes sont majoritaires. Dans les entreprises masculines, ces négociations portent plus souvent sur la part des augmentations individuelles, ce qui joue également sur la distribution des salaires entre les deux genres.

Cette différence s’explique aussi par l’habitude à mobiliser et à négocier : l’historique et l’architecture plus fragile de l’implantation syndicale dans les secteurs avec plus de salariées comme le commerce, les services et, dans une moindre mesure, l’action sociale, par exemple, sont des facteurs à prendre en compte. « Dans les établissements à dominance masculine, il peut y avoir une tradition de lutte et un rapport de force plus ancien qui facilite la création d’une dynamique de mobilisation, laquelle exige des moyens, des soutiens et de la communication pour se maintenir », souligne Eve Meuret-Campfort, sociologue au CNRS.

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Le télétravail se conjugue un peu mieux au féminin

Carnet de bureau. Qu’ils soient venus au télétravail par le Covid-19 ou qu’ils s’y soient convertis après, les « nouveaux télétravailleurs » n’ont pas le même profil que pendant la pandémie. Ils sont « un peu plus jeunes, plus féminisés » et davantage issus de « professions intermédiaires et d’employé·es qualifié·es », un peu plus dans l’administration et un peu moins dans les secteurs de l’information et de la communication, indique une étude du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET, « Du télétravail de crise au télétravail installé : quelles répercussions sur le bien-être ?  », février 2024).

Plus féminisés, les télétravailleurs ? La période Covid-19 avait pourtant établi que les femmes étaient les premières victimes du télétravail de crise. Régulièrement en activité à distance, elles témoignaient de plus de difficultés que les hommes à équilibrer leur vie privée avec leur vie professionnelle et étaient plus nombreuses à déclarer une durée du travail allongée.

Côté matériel, ce n’était pas mieux. Une enquête menée par l’Institut national d’études démographiques (INED) en 2020 sur les conditions de vie mesurait que moins d’une femme cadre sur trois (29 %) disposait d’une pièce allouée, contre près d’un homme cadre sur deux (47 %). Or, 48 % des femmes en télétravail vivaient avec un ou plusieurs enfants.

Inégalités profondes

Dans un environnement rarement adéquat, avec les petits sur les genoux et les interférences des plus grands, les télétravailleuses signalaient plus que les hommes la dégradation des exigences émotionnelles : « Elles ressentent davantage une hausse des tensions au travail », notait encore la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, en 2022. L’épisode Covid-19 a été l’occasion de rappeler des inégalités profondes de conditions de vie.

L’étude du CEET sur le « télétravail installé » nous apprend que ce mode d’organisation pourrait profiter aux femmes. Elles représentent 52,4 % des « nouveaux travailleurs ». Ses conclusions se fondent sur l’enquête Epidémiologie et conditions de vie liées au Covid-19 (EpiCov), qui a été conduite par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la direction des études et des statistiques des ministères sociaux (Drees) en plusieurs vagues, en 2020 et en 2021, avant et après le Covid-19, auprès de 43 857 personnes âgées de 20 à 65 ans et en emploi juste avant le premier confinement. La dernière vague, durant la période d’accalmie de l’été 2021, permettant de se rapprocher des conditions usuelles de travail, précisent les chercheuses Elena Reboul, du Conservatoire national des arts et métiers, et Ariane Pailhé et Emilie Counil, de l’INED.

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Le gouvernement incite les crèches à augmenter leur personnel de 150 euros mensuels

Le gouvernement veut inciter les crèches à augmenter de 150 euros net par mois leurs personnels, une augmentation qui sera financée à 66 % par la branche famille de la Sécurité sociale, ont annoncé, mardi 5 mars, Catherine Vautrin, la ministre du travail, et Sarah El Haïry, la ministre déléguée chargée de l’enfance.

Le gouvernement entend ainsi « réaffirmer sa volonté d’améliorer l’offre d’accueil en matière de petite enfance et [agir] sur l’attractivité des métiers », souligne le communiqué écrit par les ministères concernés. « L’accompagnement financier couvrira à hauteur de 66 % des augmentations comprises en moyenne entre 100 et 150 euros net par mois », selon ce document.

« Nous ouvrons la possibilité pour les employeurs d’augmenter les salaires de 150 euros net mensuels et l’Etat les y encourage en prenant à sa charge, par la CNAF [Caisse nationale des allocations familiales] » les deux tiers de cette hausse, précise-t-on dans l’entourage de la ministre de l’enfance.

Cent cinquante mille personnes concernées

Cette disposition d’accompagnement, qui « sera effective » après un « vote par le conseil d’administration de la CNAF », concerne tous les personnels en contact avec les enfants et les dirigeants des crèches, soit 150 000 personnes, selon le ministère du travail.

La principale branche du secteur de la petite enfance, Alisfa, a déjà mis en place des hausses de salaires depuis le début de l’année. Quelque 40 à 45 % des personnels de la petite enfance bénéficient déjà d’une telle hausse.

Les autres branches du secteur devraient suivre d’ici à la fin de 2024, après des négociations sociales, et les collectivités, après délibération des conseils municipaux, fait-on savoir au ministère des familles. Les branches sont libres de négocier des hausses plus fortes mais le concours de la CNAF sera plafonné à 100 euros par mois, souligne-t-on de même source.

Le Monde avec AFP

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L’employeur délateur

Droit social. Tout employeur dont les salariés travaillent sur le territoire français doit, par principe, remplir un nombre important de formalités administratives.

Il est ainsi tenu d’informer les services publics d’événements concernant ses salariés, notamment par la déclaration préalable à l’embauche (DPAE). Au moyen de son logiciel de paie, l’employeur doit, de même, communiquer la rémunération versée au salarié, déterminer les cotisations versées aux organismes de protection sociale de base et complémentaires, et indiquer à l’administration fiscale le prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source.

Il doit en outre signaler, par la déclaration sociale nominative (DSN), des événements pouvant générer certains droits pour le salarié, tels la fin de contrat de travail, l’arrêt et la reprise de travail en cas d’absence pour maladie, parentalité, accident du travail, congé de deuil…

Dans sa politique de lutte contre le chômage, le législateur va désormais un peu plus loin. Il a, en effet, partiellement sous-traité la surveillance du comportement des salariés sur le marché du travail à l’employeur pour le compte de France Travail (anciennement Pôle emploi), l’opérateur à présent chargé de l’indemnisation du chômage.

Le nouveau mécanisme est organisé en deux temps, qui se traduisent par deux obligations inédites de l’employeur. La loi du 21 décembre 2022 a instauré, pour celui qui souhaite prolonger par un contrat à durée indéterminée (CDI) la relation de travail avec un salarié en fin de contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou de mission d’intérim, une première obligation : faire une proposition écrite d’embauche par lettre recommandée ou en main propre contre décharge.

Le code du travail prévoit qu’un salarié qui refuse à deux reprises une telle proposition sur une période de douze mois est privé de l’indemnisation du chômage. Ce serait donc un feignant, qui n’a pas à bénéficier de l’allocation d’assurance-chômage qu’il a cofinancée, quelles que soient les raisons qui l’ont poussé à ces refus.

Obligation de signalement

Un décret du 28 décembre 2023, applicable depuis le 1er janvier, précise qu’en cas de refus exprès ou tacite du salarié dans un délai d’un mois après la proposition, l’employeur se voit imposer à son tour un délai d’un mois pour informer France Travail.

Ce renseignement est communiqué par voie dématérialisée sur une plate-forme spécifique depuis le site Internet de France Travail. Il doit être accompagné d’un descriptif de l’emploi proposé ainsi que de tous les éléments qui justifient du caractère identique ou similaire de ce poste par rapport à celui en CDD ou en intérim arrivé à échéance, du caractère au moins équivalent de la rémunération et de la durée de travail proposées, du maintien de la classification de l’emploi proposé et du lieu de travail.

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Retraite : le rachat de trimestres est-il toujours intéressant ?

Lorsque vous demandez le versement de votre retraite avant 67 ans, sans avoir le nombre de trimestres correspondant à votre génération, vos pensions sont minorées par application d’une décote. Si vous n’avez pas envie de jouer les prolongations, vous avez la possibilité de racheter des trimestres auprès de votre régime de base pour augmenter artificiellement votre durée d’assurance. Cela peut vous permettre de partir dès l’âge de la retraite applicable à votre génération − soit 62 ans et demi pour les assurés nés en 1962 progressivement porté à 64 ans pour ceux nés à partir à 1968 (mais pas avant) − avec une retraite sensiblement égale à celle que vous auriez eue en travaillant jusqu’au bout.

En détails | Article réservé à nos abonnés Retraites : ce qui change en 2024

Le rachat de trimestres est aussi une solution à envisager si vous souhaitez reprendre une activité professionnelle relevant du même régime que celui qui vous verse votre retraite afin de pouvoir bénéficier des règles plus avantageuses du cumul intégral.

A l’inverse, un rachat ne présente aucun intérêt si vous savez que vous demanderez votre retraite tard, car à partir de 67 ans, vos pensions sont automatiquement calculées à taux plein, c’est-à-dire sans décote, même si vous n’avez pas le nombre de trimestres correspondant à votre génération.

Décryptage | Article réservé à nos abonnés Retraites : l’an I de la réforme

Encore faut-il pouvoir racheter tous ses trimestres manquants (le rachat est plafonné à douze trimestres) et avoir des périodes à racheter, c’est-à-dire des périodes pendant lesquelles on n’a pas ou peu cotisé pour sa retraite : il peut s’agir de trimestres correspondant à des années d’études supérieures ou à des stages en entreprise, à des années d’expatriation pendant lesquelles vous n’avez pas été affilié à la Caisse des Français de l’étranger (CFE), ou à des années civiles incomplètes au cours desquelles vos revenus ont été trop faibles pour valider quatre trimestres.

Tout dépend de son régime

Plus on avance en âge, plus le coût de l’opération est élevé ; comptez entre 3 000 et 6 000 euros le trimestre après 60 ans. Pour autant, il est préférable ne pas se lancer trop tôt, même s’il existe des dispositifs à tarif préférentiel pour ceux qui rachètent leurs années d’études supérieures avant 40 ans et-ou leurs stages en entreprise avant 30 ans. Mieux vaut s’y prendre le plus tard possible, idéalement dans l’année qui précède votre départ à la retraite, de manière à avoir une réelle visibilité sur votre fin de carrière. Cela vous évitera de racheter un trimestre de trop et vous permettra de gommer tous les aléas. Mais, surtout, vous pourrez chiffrer avec précision l’intérêt d’un rachat.

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Près de Toulouse, un mort et trois blessés dans l’effondrement d’un viaduc en construction

Le tablier d’un pont en construction de la troisième ligne du métro toulousain s’est effondré, à Labège (Haute-Garonne), le 4 mars 2024.

Le drame a eu lieu lundi 4 mars, en fin d’après-midi, à Labège (Haute-Garonne), une commune de la proche banlieue de Toulouse. Six personnes travaillaient sur le chantier de la troisième ligne du métro lorsqu’une section d’un pont en construction s’est effondrée, causant la mort de l’une d’entre elles et en blessant trois autres, dont deux très gravement.

« Quatre [personnes] se trouvaient dessus au moment de l’effondrement et ont sauté » d’une hauteur d’environ dix mètres, a expliqué, dans la soirée, le procureur de la République, Samuel Vuelta-Simon, qui s’est rendu sur place peu après les faits et dont les services ont ouvert une enquête. L’une d’elles est morte de ses blessures, a-t-il précisé. « A priori », c’est la « rupture d’un vérin, entre deux piles du chantier du métro aérien », qui a causé la tragédie, a-t-il avancé.

Dès 17 h 05, selon le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Haute-Garonne, une cinquantaine de sapeurs-pompiers et vingt véhicules étaient sur place pour prendre en charge les victimes et sonder, par précaution, les décombres.

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Parmi les trois blessés, deux se trouvent en urgence absolue et ont été hospitalisés au CHU Purpan de Toulouse, a fait savoir le procureur. La quatrième victime, en urgence relative, a été prise en charge par une clinique, et les deux derniers employés s’en sont sortis indemnes.

« Ce soir, c’est surtout l’émotion qui l’emporte, avec le décès d’un employé. On ne s’habituera jamais à de tels accidents, de tels drames », a confié au quotidien régional La Dépêche du Midi le président du réseau des transports en commun toulousains Tisséo, Jean-Michel Lattes.

Le pont s’est effondré sur une vingtaine de mètres

Une cellule de soutien psychologique a été mise en place, a dit dans un communiqué Tisséo, qui a par ailleurs adressé de « sincères condoléances à la famille » de la victime. « Pas d’autres victimes recensées à cette heure. Aucun [employé] ne manque à l’appel, mais des recherches sont faites par précaution », a affirmé M. Vuelta-Simon.

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L’accident a eu lieu sur une section du chantier de la future ligne C, dans une zone fermée au public, précisait en fin d’après-midi une source au sein du SDIS, excluant donc la présence de passants. Il s’agit d’« un accident grave, de par son ampleur », expliquait cette source, décrivant une scène « assez impressionnante »« une vingtaine de mètres de pont s’est effondrée ».

« Tisséo ingénierie (…) a immédiatement ouvert une cellule de crise, en lien avec l’entreprise Bouygues, qui réalise les travaux du pont, pour comprendre ce qui a pu se passer, parallèlement à l’enquête de l’inspection du travail, qui va se pencher sur les conditions de sécurité sur le chantier », a par ailleurs déclaré, toujours à La Dépêche du Midi, le président de Tisséo. L’inspection du travail se trouvait sur place dès lundi soir, a noté le procureur.

La ligne C du métro de Toulouse, dont les travaux ont été lancés fin décembre 2022, doit être mise en service en 2028.

Le Monde avec AFP

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« Que sait-on du travail ? » : deux jours de télétravail estimés à 5 % d’augmentation de salaire au minimum

Peut-on chiffrer les bénéfices du télétravail ? Les études menées sur le télétravail avant le Covid-19 avaient mis en évidence une plus grande satisfaction au travail, un gain de flexibilité et de temps passé en famille, mais un écart accru entre les genres aux dépens des femmes pour la gestion des tâches ménagères et les soins aux enfants et une plus grande solitude des travailleurs. Soit davantage de bien-être, mais une santé mentale pas nécessairement meilleure, remarque Claudia Senik dans sa contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ?  » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques, diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr. Dans son analyse plus large sur les liens entre télétravail et bien-être, l’économiste dresse un panorama des études menées avant et après l’épisode Covid-19. La valeur du télétravail a augmenté avec l’expérience.

Une recherche américaine menée auprès de 7 000 personnes avait alors révélé qu’en moyenne les candidats à l’emploi se montraient prêts à accepter un salaire inférieur de 8 % pour avoir la possibilité de travailler à domicile. Un quart des salariés interrogés accepteraient même une baisse de 14 % de leurs revenus. D’autres enquêtes conduites ultérieurement sur un panel plus large ont donné des résultats similaires d’acceptation de baisse de salaire : 8,4 % en moyenne et jusqu’à 18,7 % pour les plus demandeurs de télétravail. Dans l’étude américaine AWCS sur les conditions de travail, le télétravail est comparé par les salariés à une hausse de salaire de 4,1 %.

Depuis l’expérience massive du télétravail imposée par le Covid, la connaissance s’est affinée sur son impact sur l’autonomie d’organisation des salariés, la qualité de leurs relations interprofessionnelles, ainsi que les perspectives de progression et le sens du travail perdu ou retrouvé. Une nouvelle enquête menée en 2021, toujours dans le contexte américain, a interrogé les salariés sur le prix qu’ils étaient prêts à payer pour télétravailler après le Covid. Elle indique que l’attrait pour ce mode d’organisation n’a fait que croître. Plus de 50 % des personnes interrogées qui désirent travailler à domicile 2 ou 3 jours par semaine estiment que cela équivaudrait à une augmentation de salaire de 5 % ou plus. Et près de 20 % à une augmentation de salaire de 15 % ou plus.

Enfin une enquête internationale menée en 2021 et 2022 dans vingt-sept pays confirme cette disposition des salariés à payer pour pouvoir travailler à distance, sauf à Taïwan où la culture du présentéisme est très forte. A revenu national égal, elle est légèrement négative pour Taïwan et positive pour tous les autres pays, allant d’environ 7-8 % du salaire au Brésil, en Egypte, en Inde et en Turquie, à 8,8 % en Serbie, et près de 12 % en Ukraine (avant le conflit commencé en 2022).

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« Le télétravail fait-il du bien aux salariés ? Ce que l’on a appris avec le Covid-19 »

[Le télétravail s’est installé dans la durée. On en connaît un peu mieux les effets sur la vie des salariés. Claudia Senik, professeure à Sorbonne Université et à l’Ecole d’économie de Paris (PSE), en dresse un très large panorama, établissant les liens de causalité avec le bien-être. Directrice de l’Observatoire du bien-être au Cepremap et membre de l’Institut universitaire de France, elle présente une plongée dans les études menées en Europe, aux Etats-Unis et dans le monde sur le sujet. Ses travaux portent sur l’économie du bien-être subjectif, et en particulier sur le lien entre revenu, croissance, inégalités et bonheur.]

Pendant de longues années, les salariés ont rêvé de pouvoir travailler à distance au moins un jour par semaine, tout en se heurtant à la réticence sceptique des entreprises. Mais, en mars 2020, le dispositif du télétravail, qui concernait moins de 5 % des travailleurs avant le Covid-19, a soudain été imposé à près de 40 % d’entre eux.

Cette expérience permet de savoir si le télétravail est propice ou néfaste à leur bien-être. Si la possibilité de travailler à domicile est largement plébiscitée par les employés, son effet sur leur bien-être dépend étroitement du temps passé en télétravail, selon que celui-ci est pratiqué à temps complet ou à temps partiel, le télétravail partiel étant celui qui se révèle bénéfique.

Ce texte reprend le contenu d’une note de l’Observatoire du bien-être du Cepremap. Dans la plupart des pays, en 2020 et 2021, durant la pandémie de Covid-19, le recours massif et forcé au télétravail chaque fois qu’il était possible d’exercer son emploi à son domicile a fait partie de la panoplie des interventions non pharmaceutiques contre la pandémie.

Variable selon les pays, ceci a concerné environ un tiers des emplois, principalement dans le secteur des services. Ce choc a provoqué l’accélération d’une évolution ancienne mais lente, conduite par la technologie numérique, qui permet aux salariés de travailler en dehors des locaux de l’entreprise, à domicile, dans des bureaux distants ou dans des espaces de coworking.

Une fois la pandémie terminée, il est peu probable que l’on revienne au statu quo ante, car le stigmate potentiel qui était associé au travail à distance a disparu, et les travailleurs ainsi que les entreprises ont réalisé des investissements substantiels dans les équipements nécessaires pour travailler à domicile (Barrero, Bloom, et Davis 2021).

Les enjeux sont importants, car un passage massif et durable au télétravail déclencherait une chaîne de conséquences de grande ampleur, non seulement sur les modalités de travail, mais aussi sur l’occupation du territoire, le marché du logement, les coûts salariaux, les niveaux d’emploi et la croissance macroéconomique (Bergeaud et Ray 2021 ; Pabilonia et Vernon 2021).

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A la mer ou à la montagne, plongée dans la bulle festive mais éreintante des jeunes saisonniers

En quelques mois, la vie de Lucille Hamel s’est « accélérée » comme jamais elle ne l’aurait imaginé. Depuis 2022, cette Vendéenne de 26 ans enchaîne les contrats saisonniers dans des clubs de vacances Lookéa, en tant qu’animatrice : six mois en Andalousie, six mois au Sri Lanka, six mois en Grèce. Elle y a donné des cours d’aquagym, créé des spectacles de danse, animé des blind-tests, organisé des jeux à la piscine… « J’ai énormément travaillé, sans compter mes heures, mais j’ai l’impression de vivre intensément. J’ai fait du saut à l’élastique sur le canal de Corinthe, vu des éléphants, visité Mikonos… », évoque cette titulaire d’un master de communication, qui avait aussi passé, plus jeune, le BAFA. Pour chacun de ses CDD, elle a gagné « 1 200 euros par mois, logée nourrie », ce qui lui a permis de « mettre de côté ». Elle se voit bien continuer quelques années cette vie nomade, ponctuée de sauts de puce chez ses parents. « Je ne cherche pas spécialement de CDI. Je n’aime pas me sentir enchaînée. Pour la suite, il existe des formations pour devenir chef de village, travailler pour le siège du groupe… Je me laisse porter, on verra. »

Thomas, 22 ans, employé cet hiver pour la première fois dans un magasin de ski à Arêches-Beaufort (Savoie), fait aussi partie des heureux saisonniers du secteur touristique – ces jeunes, âgés de 18 à 30 ans, qui acceptent de se prêter à la précarité de contrats courts pour vivre une expérience intense et conserver une certaine liberté. Titulaire d’une licence professionnelle en chaudronnerie, Thomas aurait pu décrocher sans difficulté un emploi stable dans l’industrie. « Je ne me voyais pas commencer direct avec un CDI. J’ai envie de voyager. Pas en mode intensif, mais en prenant mon temps », explique le jeune homme. Il est logé dans l’appartement de ses grands-parents, et son patron lui paie ses heures supplémentaires. « Autour de moi, c’est loin d’être le cas pour tout le monde », reconnaît-il.

Travailler au pays des vacances ? La proposition peut sembler séduisante. « Vous vivez dans un cadre festif, vous voyagez, vous rencontrez de nouvelles personnes, vous mettez de l’argent de côté », énumère Regis Lord, directeur de Klaxon rouge, école spécialisée dans la formation d’animateurs pour les villages de vacances et campings, à Loctudy (Finistère). « Mais ce ne sont pas des métiers faciles », poursuit-il.

Positif, flexible, polyvalent

Pour réussir dans ces univers, tout est question de « savoir-être » : se montrer toujours positif, flexible, polyvalent. Accepter que la vie professionnelle empiète sur son univers personnel, qu’être en couple implique souvent d’entretenir une relation à distance. « Il faut une grosse discipline pour tenir le rythme », résume Régis Lord. « On peut très vite se laisser déborder par les fêtes », confirme Kory (elle n’a pas souhaité donner son nom de famille), 21 ans, qui a travaillé au cours de deux étés dans des campings de Vendée et du Lot. « La fatigue peut être intense. On fait pas mal d’heures en plus, en particulier pour répéter les spectacles. Mais, s’il y a une bonne cohésion d’équipe, ce sont des super moments », affirme-t-elle.

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Le vote choc des Suisses pour un treizième mois de retraite

Le conseiller aux Etats socialiste Pierre-Yves Maillard, après la victoire du oui à l’initiative populaire « Mieux vivre la retraite », à Bern (Suisse), le 3 mars 2024.

A quelques semaines du scrutin, l’influent quotidien populaire zurichois Blick le qualifiait déjà d’homme « le plus puissant du pays », pressentant un authentique séisme politique dans un pays où le sismographe est habituellement plat, puisque la majorité (à droite) n’a jamais changé depuis 1848 et la fondation de l’Etat moderne.

Dimanche 3 mars, le Conseiller aux Etats (sénateur) socialiste Pierre-Yves Maillard, également président de l’Union syndicale suisse (USS), a en effet remporté l’une des plus âpres batailles politiques disputées dans le pays alpin ces dernières années. Avec 58 % de oui au niveau national et une majorité des cantons favorables à la proposition, les citoyens Suisses ont accepté l’initiative populaire « Mieux vivre la retraite », lancée par les syndicats et soutenue par le parti socialiste et les Verts, pourtant très largement minoritaires sur l’échiquier politique helvétique.

Le texte vise à renforcer la sécurité sociale, par le versement d’une treizième allocation mensuelle de retraite (appelée localement 13e rente), ce qui représente une hausse annuelle de 8,33 %. Le gouvernement fédéral de coalition recommandait de rejeter l’initiative, tout comme le patronat, qui a jeté toutes ses forces dans la bataille ces dernières semaines, brandissant l’argument d’une « faillite » prévisible de la caisse de retraite nationale, l’AVS (Assurance vieillesse), véritable institution suisse depuis sa fondation à la sortie de la seconde guerre mondiale.

« Changer le cap »

Modeste, Pierre-Yves Maillard s’est refusé à évoquer une victoire personnelle, malgré la personnalisation dont il a fait l’objet pendant la campagne. « En Suisse, le plus fort est toujours le peuple. Le résultat de la votation prouve que le pacte social fonctionne encore, a déclaré le sénateur vaudois, selon qui les autorités fédérales n’ayant donné aucune réponse à la crise du pouvoir d’achat, la population a saisi l’occasion qui lui était donnée de changer le cap. »

Même si la Suisse parvient, contre vents et marées, à s’en sortir toujours un peu mieux que ses voisins européens pendant les crises (elle n’a, par exemple, pas connu de récession en 2020 pendant la première année de la pandémie de Covid-19), une succession de hausses des prix ces trois dernières années a fini par essorer, ici comme ailleurs, la classe moyenne.

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Coût du logement et primes d’assurance-maladie ont notamment connu des hausses très fortes, deux secteurs qui ne sont pas entièrement comptabilisés dans le calcul du taux d’inflation en Suisse. Aussi, ce dernier (2,1 % en 2023) est-il particulièrement trompeur en regard de la dégradation du budget réel des ménages. C’est sans doute ce qui a rendu possible cette étonnante victoire de la gauche dans un pays à droite depuis des temps immémoriaux.

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