« Un enseignant peut de moins en moins être efficace tout seul »

Guy Le Boterf, professeur de management
Le changement de la formation professionnelle va dans le bon sens, estime le professeur de management Guy Le Boterf», mais elle oublie que la performance est d’abord le résultat de la coopération.
La France se met à l’heure des capacités : réforme de la formation professionnelle avec la création de l’agence France compétences comme nouvel agent de régularisation des formations et de changement des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) en opérateurs de compétences, plan d’investissement dans les compétences (PIC) pour les publics peu qualifiés et éloignés de l’emploi, certification des aptitudes, observatoires des métiers et des compétences… On parle même de « révolution des compétences » !
On ne peut que s’en complimenter. Mais, à y regarder de près, l’arbre ne cache-t-il pas la forêt ? Car une grande absente fragilise ce beau discours : la compétence collective. Tous ces projets et réalisations ne sont fondés que sur des raisonnements en termes de capacités individuelles. N’est-ce pas là leurs limites, alors que les gains de performance des entreprises vont appartenir de plus en plus non pas de l’addition de compétences individuelles, mais d’un effet de système provenant de la qualité des interfaces entre les professionnels au sein de leurs unités de travail ?
Dans le domaine de la recherche, les neuroscientifiques ne peuvent cheminer dans leurs travaux consacrés à la maladie d’Alzheimer qu’en coopérant avec des mathématiciens
Pour faire face à la complexité grandissante des situations professionnelles, où il faut prendre en compte la variété de points de vue des acteurs et des critères (productivité, qualité, sécurité, développement durable, éthique…), les ressources en compétences d’un seul professionnel ne peuvent suffire. Dans un hôpital, la qualité d’un parcours de soins va dépendre non pas de la seule succession des compétences des médecins, infirmiers, aides-soignants, assistants sociaux…, mais de la qualité de leur coopération. Dans l’industrie automobile, les besoins de l’innovation conduisent à développer des politiques d’alliance avec d’autres constructeurs et fournisseurs. Les cotraitants sont sélectionnés sur leurs capacités à coopérer avec le constructeur dans le cadre d’une ingénierie légitimement appelée « concourante ». Dans le domaine de la recherche, les neuroscientifiques ne peuvent avancer dans leurs travaux consacrés à la maladie d’Alzheimer qu’en coopérant avec des mathématiciens, etc.
Comment un courtier de société d’assurances pourrait-il répondre de façon adéquate à un client sans le support d’une plate-forme de banques de données et d’experts ? Comment un agent du service social d’un conseil général pourrait-il exécuter ses activités de prévention sans faire appel aux savoir-faire des services juridiques et de la direction médico-sociale de la collectivité territoriale ? Bref, un professionnel peut de moins en moins être compétent tout seul, avec seulement ses propres ressources en connaissances ou savoir-faire.
Une telle action est prévue par la loi du 22 mars 2016. Elle offre la possibilité aux sociétés de transport de voyageurs de contrôler le pedigree de personnes qui désirent travailler chez elles ou de salariés déjà en place qui veulent changer d’affectation. Ces contrôles ne sont admises que pour certains métiers jugés sensibles – par exemple chauffeur de bus ou agent de sécurité.
Le but est de se garantir que les intéressés ne représentent pas une menace pour les personnels et la clientèle. C’est le Service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas), placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, qui se charge de « scanner » le profil des personnes. Il s’appuie, particulièrement, sur des fichiers relatifs « à la prévention du terrorisme ou des atteintes à la sécurité et à l’ordre publics ».
M.X et M. Y ont été surpris d’apprendre le soupçon pesant sur eux. Et le traitement qui leur a été réservé les a profondément choqués. Primo : ils ignoraient tous des raisons pour lesquelles un avis d’incompatibilité avait été émis à leur égard. En outre, l’avis accusé ne leur avait pas été notifié et la RATP avait mis fin à la relation de travail, sans qu’ils puissent se défendre. S’estimant victimes de pratiques expéditives qui ont violé leurs droits, ils se sont tournés vers le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’invalidation de la sentence du Sneas.
Argumentation différent
La démarche promise a tourné à leur avantage. S’agissant de M. X, le juge a estimé que le ministère de l’intérieur n’avait produit « aucun élément factuel » permettant de démontrer que le salarié « constituerait une menace pour la sécurité ou l’ordre public ». Du fait de cette « inexacte application » de la loi, le requérant est « fondé » à solliciter l’annulation de l’avis d’incompatibilité.
Quant à M. Y, l’argumentaire du tribunal est distinct mais parvient au même résultat : l’agent « aurait dû avoir notification de l’avis d’incompatibilité » et ce dernier aurait dû, de surcroît, « être motivé ». Or, tel n’a pas été le cas. Dans ces conditions, M. Y est, lui aussi, en droit de réclamer « l’annulation » de l’avis du Sneas.
Le ministère de l’intérieur et la RATP se bornent à déclarer qu’ils ont pris acte des jugements du tribunal, prononcés le 31 janvier. Un appel sera-t-il interjeté ? Pas de réponse, à ce stade. Toute laisse à penser, par ailleurs, que la RATP n’a pas l’intention de revenir sur sa décision de congédier les deux hommes.
La bataille judiciaire continue
Ce licenciement, M. X et M. Y le contestent, en parallèle, devant la justice prud’homale. Pour le premier, l’audience, au début prévue vendredi 8 février, a été repoussée au 6 mars. Son avocat, Me Raphaël Kempf, « ne voi[t] pas comment les prud’hommes ne pourraient pas tenir compte de la décision du tribunal administratif ». Autrement dit, la logique voudrait, selon lui, que la RATP soit condamnée, la rupture du contrat de travail ne reposant sur aucune « cause réelle et sérieuse ».
M.Y, lui, est déjà passé devant les prud’hommes, mais il a été débouté, le 1er février. Son conseil, Me Thierry Renard, avait sollicité que les débats soient rouverts de manière à prendre en considération l’invalidation de l’avis d’incompatibilité, mais il n’a pas été suivi. Il va donc faire appel.
Outre M. X et M. Y, quatre autres hommes, au moins, ont été remerciés de la même manière par la RATP. Epaulés par Me Thierry Renard, trois d’entre eux ont déjà promis des actions en référé devant les prud’hommes, qu’ils ont perdues. Les conclusions ont été rendues avant le jugement du tribunal administratif de Paris. Mais la bataille va continuer, affirme Me Thierry Renard : des requêtes sur le fond ont été déposées. Celui-ci compte aussi s’adresser au juge administratif afin que soit annulé l’avis d’incompatibilité émis à l’encontre de ses clients.