Déstabilisé par sa soumission à la publicité, « BuzzFeed » coupe dans ses effectifs

Au siège de  BuzzFeed à New York city, le 11 décembre 2018.
Au siège de  BuzzFeed à New York city, le 11 décembre 2018. Drew Angerer / AFP
Le site d’information américain est déstabilisé par son modèle gratuit.

Les salariés de BuzzFeed ont reçu mercredi 23 janvier un mail de leur PDG dont l’objet, « changements difficiles », n’augurait rien de bon. Jonah Peretti, le créateur du site américain mêlant divertissement et journalisme, leur a confirmé la rumeur d’un large plan de licenciement. Selon plusieurs médias outre-Atlantique, l’entreprise s’apprête à supprimer 15 % de ses effectifs, soit entre 220 et 250 personnes. Ces limogeages interviendront dès la semaine prochaine, et devraient affecter l’ensemble des éditions internationales de BuzzFeed.

Ce n’est pas la première fois que le site est obligé de tailler dans ses effectifs. Fin 2017, la direction s’était déjà séparée de 20 personnes au Royaume-Uni et 100 aux Etats-Unis, soit 8 % de ses équipes. En juin 2018, BuzzFeed a décidé d’arrêter sa filiale française, entraînant le licenciement de 14 salariés parisiens. Mais alors que les journalistes avaient jusque-là été plutôt épargnés, la branche « information » du site devrait cette fois être touchée par ces nouvelles coupes.

Débuté en 2006, ce média en ligne gratuit s’est bâti sur les revenus tirés de la publicité, et en particulier sur le « brand content », ces contenus produits sur-mesure pour les annonceurs et prenant l’apparence d’articles ou de vidéos effectués par ailleurs par la rédaction. Mais ce format a très vite été adopté par ses concurrents et par la presse traditionnelle, tirant les prix de ces publicités vers le bas. Surtout, BuzzFeed a subi de plein fouet la captation des recettes publicitaires en ligne par Google, Facebook et de plus en plus Amazon.

Diversification

Pour joindre à cette fragilité, BuzzFeed, comme d’autres « éditeurs sociaux » (Vice, MinuteBuzz, Konbini, Melty…) a souffert du changement d’algorithme de Facebook. En janvier 2018, le réseau social a décidé de mettre en avant les contenus édités par les « amis » des utilisateurs, au détriment de ceux proposés par les médias professionnels.

Dans ce contexte, Buzzfeed s’attache depuis deux ans à trouver de nouveaux relais de croissance. « Tasty », son site consacré à la cuisine, vend ainsi des livres, des leçons de cuisine ou des ustensiles. L’entreprise a aussi investi massivement dans les contenus vidéo pour les revendre à des réseaux sociaux, comme Facebook et Snapchat, et à des chaînes de télévision.

Mais cette transformation n’a pas encore permis au groupe d’atteindre la rentabilité. « Malheureusement, la croissance des revenus en soi n’est pas suffisante pour réussir à long terme », écrit Jonah Peretti dans sa note aux salariés. Cette « restructuration » doit permettre à BuzzFeed de « réduire [ses] coûts » et de « contrôler [son] destin, sans plus jamais avoir besoin de lever des fonds », assure le PDG. De fait, le média vit sous la perfusion de ses actionnaires, au premier rang desquels le géant américain audiovisuel NBCUniversal, qui y a investi 400 millions de dollars (354 millions d’euros) depuis 2015.

Conversion au modèle payant

L’annonce de BuzzFeed illustre l’équation fragile que doivent résoudre les médias ayant opté pour un modèle gratuit sur Internet : faire valoir une audience toujours plus grande aux annonceurs pour que ceux-ci continuent à investir. Certains groupes de presse traditionnels ont dernièrement préféré instaurer un système donnant accès à un nombre limité de consultations (comme Libération et L’Express), ou étendre la partie payante de leur site (Le Monde et Le Figaro).

Une majorité de médias s’attacheront à faire de l’abonnement leur principale source de revenus en 2019 selon l’institut Reuters. C’est le cas de l’éditeur américain Condé Nast, qui a annoncé le 23 janvier qu’il allait basculer en 2019 tous ses titres dont Glamour, Vogue et GQ sur un modèle tout ou en partie payant. L’institut déclare toutefois que « la résistance des internautes risque d’être considérable » alors que « seule une petite minorité de personnes est prête à payer pour l’information ».

BuzzFeed semble pour l’instant éliminer de passer à un modèle payant. Fin novembre 2018, dans un entretien au New York Times, M. Peretti a plutôt évoqué l’idée d’une fusion avec d’autres médias en ligne, dont Vice et Vox Media, pour peser face à Google et Facebook dans les négociations avec les annonceurs. « Si BuzzFeed et cinq des autres [pure-players] s’unissaient dans un plus grand groupe de médias, on réussirait sans doute à être mieux payés », a-t-il estimé.

 

Pierre-Yves Gomez : « Le débat sur la diffusion de la valeur ne peut se limiter à l’opposition simpliste des salariés et des actionnaires »

 

Le professeur d’économie affirme que l’actionnariat des très grandes entreprises est principalement constitué de ménages, et que la vraie frontière se situe entre les entreprises bénéficiant de la mondialisation et celles de l’économie périphérique.

Les entreprises du CAC 40 ont versé en 2018 près de 46,5 milliards d’euros de dividendes, contre 43 milliards en 2008. Certains ont célébré ces profits record et le retour à la richesse d’avant-crise. Pour d’autres, ce chiffre est une nouvelle manifestation de l’avantage dont les actionnaires profitent sur les salariés. Si on tient compte des rachats de leurs propres actions par les grandes entreprises, ce sont 57,5 milliards qui ont été récupérés par leurs actionnaires, soit 13 % de plus qu’en 2017. La même année, le revenu des ménages a augmenté de 2,6 % (« Les comptes de la Nation en 2017 », Insee), et les rétributions des dirigeants du CAC 40 de 14 % (étude Proxinvest 2018).

Les controverses sur la distribution de la valeur créée par les grandes entreprises sont ainsi relancées. Mais elles peuvent conduire à des conclusions simplistes. D’abord, les dividendes versés en 2018 ne sont pas « record ». Ils s’élevaient déjà à 45,8 milliards en 2014 et à 46,2 milliards en 2016, soit un chiffre très proche des 46,5 milliards de 2018. Cela fait quelques années que le niveau des dividendes du CAC 40 a dépassé celui de la fin des années 2000.

A qui bénéficie effectivement cette manne ? Selon Euronext (« Qui sont les actionnaires du CAC 40 ? », 2018), pour moitié à des investisseurs étrangers qui gèrent l’épargne-retraite par capitalisation de salariés essentiellement anglo-saxons. Pour une autre moitié, des actionnaires français, dont 10 % sont des familles d’entrepreneurs, 3 % des salariés et 3 % l’Etat, le solde étant composé de gestionnaires de portefeuilles financiers (Sicav, assurances-vie, plans d’épargne en actions) pour le compte des ménages. Au total, les deux tiers des 57,5 milliards ont donc été perçus par des épargnants français ou étrangers, notamment pour constituer leurs retraites.

On peut critiquer cette « économie de rente » favorable aux seuls salariés capables de constituer une épargne financière, et critiquer les opérateurs de cette économie qui prélèvent au passage des revenus indécents. Reste que derrière l’actionnariat des très grandes entreprises, c’est la masse de ménages détenteurs de titres qui est concernée. Voilà qui complique un peu le débat sur la répartition de la valeur.

Les services généraux externalisés

Il est plus juste, en revanche, de mettre en relation le montant des dividendes versés avec la création d’emplois par les très grandes entreprises : entre 2008 et 2018, les effectifs français et étrangers de ces sociétés ont baissé de 1 %, selon une étude de l’Institut français de gouvernement des entreprises (« Les entreprises françaises sont-elles encore françaises », IFGE, 2018). Elles ont donc accompli plus de profit avec moins de salariés. Comment est-ce possible ?

 

Vers un récent accord européen sur les congés parentaux et les congés d’aidants

Cet accord provisoire vise à avancer dans l’égalité femme/homme, en incitant les pères a prendre des jours après la naissance de leur enfant.
Cet accord provisoire vise à avancer dans l’égalité femme/homme, en incitant les pères a prendre des jours après la naissance de leur enfant. FRED DUFOUR / AFP
Cet accord provisoire, signé jeudi, devra ensuite être adopté officiellement par le Parlement européen et le Conseil.Les institutions européennes se sont réunies, jeudi 24 janvier, pour améliorer les conditions des congés parentaux et de paternité au sein de toute l’Union Européenne, un accord qui permettra selon elles de cheminer dans l’égalité femme/homme. Autre point abordé, la mise en place d’un nouveau droit pour les travailleurs en Europe, à savoir le congé d’aidant, égal à cinq jours par travailleur et par an.

Cet accord provisoire de jeudi doit à présent être adopté officiellement par le Parlement européen et le Conseil.

Dix jours de congé paternité

Les négociateurs du Parlement européen et du Conseil de l’UE (qui représente les Etats membres), chapeautés par la Commission, ont décidé d’établir une norme minimale à l’échelle de l’UE. Concrètement, les pères devront prendre au minimum dix jours de congé paternité après la naissance de leur enfant, rémunérés à hauteur de la prestation de maladie.

Jusqu’à l’adoption de cet accord, la directive européenne contemporaine ne prévoyait aucun congé de paternité minimum pour les pères. « Dans certains pays, le congé de paternité reste mal perçu, comme si c’était naturellement à la femme de rester à la maison », a noté l’eurodéputée écologiste française Karima Delli.

Mais cette partie du texte ne changerait pas tellement la situation en France : actuellement, la durée de ce congé est en effet fixée à onze jours consécutifs (dix-huit pour des naissances multiples) après la naissance d’un enfant. Certaines entreprises permettent cependant au salarié de prendre quelques jours supplémentaires.

Mieux rémunérer le congé parental ?

L’autre partie de l’accord provisoire, elle, a davantage suscité des tensions : elle prévoit de renforcer le droit actuel des pères au congé parental rémunéré de quatre mois, dont deux mois ne seront pas transférables entre les parents, mais aussi de fixer une rémunération minimale pour ces deux mois non transférables.

En France, pour la première naissance, le père ou la mère peut prendre jusqu’à six mois, avant le premier anniversaire de l’enfant. Mais son montant maximal est de 396 euros par mois, soit un tiers du salaire minimum, et bien moins que la proposition originelle de la directive européenne, qui visait à monter jusqu’à 50 % du salaire, plafonné à 1,8 fois le smic, soit un montant moyen de 950 euros mensuel.

En mai dernier, la France s’était opposée à une meilleure indemnisation du congé parental, arguant que ce ne serait pas réaliste financièrement. Emmanuel Macron affirmait ainsi devant le Parlement européen :

« J’en approuve totalement le principe, mais les congés parentaux payés au niveau de l’indemnité maladie journalière, c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable. »

Selon le calcul du gouvernement, le surcoût pourrait atteindre 1,6 milliard d’euros.

Pour quelques défendeurs de la proposition originelle visant à mieux rétribuer le congé parental, il s’agit d’une nécessité pour que le congé parental soit plus égalitaire et moins discriminant pour les femmes sur le marché du travail.

Plusieurs nouvelles études (de l’Observatoire français des conjonctures économique, de l’OCDE ou de la Caisse nationale d’allocation familiale) s’accordent en effet sur le fait que pour que plusieurs pères prennent leur congé parental – comme 45 % des Islandais et des Suédois, contre 3,5 % des pères français –, il faut que ce congé soit, entre autres, fortement indemnisé et proportionnel aux revenus antérieurs.

 

Parcoursup : recommandations, décodages et erreurs à éviter

Plusieurs professionnels ont répondu aux questions des lecteurs sur le fonctionnement de la plate-forme d’orientation Parcoursup, qui existe pour la deuxième année.

Comment organiser son orientation et maîtriser les subtilités de la plate-forme Parcoursup ? Natacha Lefauconnier, journaliste indépendante spécialisée, Sylvie Boudrillet, conseillère d’orientation, et Dominique Pimont, conseillère psychologue de l’éducation nationale au CIO Mediacom ont répondu en direct aux interrogations des lecteurs lors d’un tchat organisé par Le Monde mercredi 23 janvier. Compte rendu.

Quelles sont les erreurs à ne pas faire sur Parcoursup ?

Sylvie Boudrillet, conseillère d’orientation, et Dominique Pimont, conseillère psychologue de l’éducation nationale :

La première faute serait de ne pas prendre le temps de réfléchir à ses vœux, saisir et confirmer trop rapidement, sachant qu’un vœu confirmé ne peut plus être supprimé et sera décompté dans vos dix vœux.

Ensuite, ne pas s’informer sur les contenus des formations, les choisir au hasard et ne pas estimer les différentes étapes de la procédure, comme par exemple ne pas finaliser son dossier dans les délais (3 avril), en serait un autre.

Il est de même impératif de répondre dans les délais aux propositions reçues au risque de perdre les nouvelles propositions et les vœux en attente, et nous vous conseillons de diversifier ses candidatures.

En ce mois de janvier, quels conseils donneriez-vous aux lycéens ?

S.B. et D.P. : Il faut bénéficier des journées portes ouvertes des établissements, des journées d’immersion et des semaines de l’orientation dans les lycées. Dans les universités, n’hésitez pas à contacter les « étudiants ambassadeurs » dont les coordonnées sont dans la « fiche formation » de Parcoursup, consulter les foires aux questions, tutos, vidéos sur la plate-forme.

Si vous n’avez pas de projet clair, vous pouvez rencontrer vite un Psy-EN (psychologue de l’Education nationale) dans votre lycée ou dans un CIO et/ou en parler avec votre professeur principal. Si vous avez déjà formulé des vœux, aménagez dès à présent vos projets de formation motivés (lettre de motivation). Enfin, vous pouvez toujours appeler le numéro vert 0800 400 0870 de Parcoursup, ouvert du lundi au vendredi de 10 heures à 16 heures.

Remy67 : Est-ce que cette nouvelle mouture de Parcoursup intègre une hiérarchisation des vœux ?

La hiérarchisation des vœux, qui était demandée aux candidats sur la antérieure plate-forme d’admission APB, a été supprimée avec la réforme de Parcoursup, l’an dernier. Le ministère a exclu tout retour de la hiérarchisation des vœux – que certains demandaient pour plus d’efficacité.

Par contre, un nouveau système est prévu, de manière facultative, de classement des vœux : après les écrits du bac, les candidats pourront exprimer l’ordre de leur préférence entre leurs vœux en attente. Avec le déclenchement d’une réponse automatique positive en cas de proposition d’admission aux vœux préférés, ce qui permettra au candidat de ne plus avoir à se connecter tous les jours, pour vérifier s’il a reçu de nouvelles propositions.

S.B. et D.P. : Cela ne vous empêche pas d’y réfléchir, dès maintenant, pour faciliter votre prise de décision au moment de la phase d’admission. Vous devrez répondre aux propositions reçues à partir du 15 mai. Vous aurez alors cinq jours pour répondre, puis, jusqu’à la fin de la procédure, trois jours pour vous retenir sur chaque nouvelle proposition d’admission.

Remy67 : Cette réduction du délai de réponse à 5 jours, puis à 3 jours alors qu’un lycéen attend d’autres réponses ne risque-t-elle pas d’entraîner un non-choix ?

Natacha Lefauconnier : Attention : le délai de réponse pour admettre (ou non) une proposition d’admission sera en effet de cinq jours au début de la procédure, puis de trois jours… Mais répondre « oui » ne vous empêche pas de maintenir un ou plusieurs vœux pour lesquels vous êtes « en attente ». C’est seulement si vous avez deux « oui » (ou plus) que vous devez renoncer à l’un (ou à tous sauf un), tout en maintenant là aussi des vœux en attente le cas échéant. Ce principe vous permet de vous décider jusqu’au dernier moment pour la formation qui vous plaît le plus.

Carole L. : Pour les filières non sélectives a-t-on la garantie d’avoir une réponse positive pour l’un de nos vœux ?

N.L. : Les licences (hors doubles cursus sélectifs) peuvent vous répondre « oui », « oui si » (vous avez une place à condition de suivre un parcours de remédiation qui sera défini : enseignements de remise à niveau, licence en 4 ans au lieu de 3…) ou bien « oui – en attente » (ce dernier cas si la demande est supérieure à la capacité d’accueil). Elle ne peut pas répondre « non » (réponse que peuvent faire les formations sélectives).

Carole : Je veux intégrer une licence cinéma en Ile-de-France. Est-ce que je prends un risque en ne mettant que quatre vœux uniquement sur cette spécialité ?

S.B. et D.P. : Vous avez toujours intérêt à diversifier vos candidatures, tant que ces vœux correspondent à vos envies. N’hésitez pas à aller au-delà de ces quatre vœux. Sachez que ces licences sont très souvent en tension (très demandées), demandez conseil auprès d’un psychologue de l’éducation nationale dans un CIO (Centre d’information et d’orientation). Consultez également les fiches infos « Licence » en Ile-de-France sur le site de l’Onisep, pour connaître l’offre de formation en détail sur la fiche « Arts ».

Carole L. : Que deviennent les « oui – en attente » à la fin du processus de Parcoursup ? Une place est-elle attribuée systématiquement ou faut-il passer en commission ?

S.B. et D.P. : A partir des résultats du bac, après le 5 juillet, si vous n’avez que des réponses en attente d’une place, vous aurez la possibilité de solliciter l’accompagnement de la commission d’accès à l’enseignement supérieur (CAES). Vous pourrez également, à partir du 25 juin, consulter et vous inscrire en phase complémentaire pour faire des vœux sur les places inoccupées.

Troubadour : Certaines filières sont-elles moins demandées qu’auparavant du fait de Parcoursup ? Y a-t-il un « effet Parcoursup » sur les demandes des lycéens ?

N.L. : Il est pénible d’avoir des éléments précis à ce stade, mais on a pu constater que certaines filières ont été moins demandées, du fait de la publication des « attendus » des formations, par des lycéens n’ayant pas le profil requis. Les candidats ont pu mieux se rendre compte des profils recherchés par les universités ou écoles. Pour la licence de droit, par exemple, les candidats devaient passer un module d’auto-évaluation, qui devait les aider à mieux comprendre cette filière (le résultat n’était pas communiqué à l’université).

 

 

Différences des salaires entre femmes et hommes : la construction, l’assurance et la finance pointées du doigt

Les secteurs de la construction, des activités financières et de l’assurance sont ceux où les écarts de rétribution entre femmes et hommes s’avèrent les plus importants en France. Voilà l’un des enseignements d’une « étude d’impact » dévoilée, mercredi 23 janvier, par le ministère du travail.

Cette enquête, « d’une ampleur inédite » selon l’entourage de Muriel Pénicaud, exploite des données de 2015, concernant les quelque 40 000 entreprises de plus de 50 salariés, implantées dans l’Hexagone. La présentation des résultats s’inscrit dans le cadre de la mise en place graduelle d’un « index d’égalité professionnelle », qui vise à combattre les disparités salariales, liées au sexe.

L’étude diffusée mercredi reprend deux des indicateurs servant à calculer l’index. Le premier indicateur mesure l’écart de rémunérations dans une entreprise (« à poste et âge comparables ») en donnant à celle-ci une note de 0 à 40 : ainsi, celles où les inégalités sont inexistantes sont créditées de 40 points ; celles où l’écart global oscille entre 8 % et 9 % se voient attribuer 29 points. Et ainsi de suite, la note la plus faible (zéro) étant décernée aux sociétés où l’écart est supérieur à 20 %.

D’une façon générale, ce sont les groupes d’au moins 1 000 salariés qui affichent les meilleures performances.

Conclusion : d’une manière générale, ce sont les groupes d’au moins 1 000 travailleurs qui affichent les meilleures performances. Un peu plus de 83 % d’entre eux ont une note égale ou supérieure à 30, contre 69 % des entreprises de 50 à 249 personnes (et 74 %, dans la tranche 250-999 salariés). Mais parmi les sociétés de grande taille (1 000 personnes, au moins), peu d’entre elles se montrent irréprochables, avec la note maximale de 40 : elles sont moins de 1 % dans cette situation (contre 8 % des entreprises de 50 à 249 personnes).

En pensant par secteurs d’activité, on observe que les professionnels de l’hébergement et de la restauration sont les premiers de la classe, 91 % d’entre eux ayant décroché une note d’au moins 30. Viennent ensuite, à égalité, les entreprises de transport et d’entreposage et celles regroupées dans l’intitulé « administration, enseignement, santé, action sociale » (avec un ratio de 82 % d’employeurs crédités d’au moins 30 points).

Exiger une « logique de résultats » aux patrons

L’autre indicateur utilisé dans l’étude du ministère du travail porte sur le nombre de femmes se situant entre les dix plus hautes rémunérations. Les entreprises qui ont quatre ou cinq femmes dans ce « top ten » recueillent la note la plus forte (10) ; celles, à l’inverse, qui n’en ont aucune ou seulement une se voient attribuer le bonnet d’âne (zéro point). Constat plutôt contre-intuitif, ce sont les grandes entreprises qui enregistrent les plus mauvais résultats : 2 points, en moyenne, pour celles qui emploient au moins 5 000 personnes ; 2,8 points dans la tranche 2 000-4 999 salariés ; 3,3 points pour celles qui comptent de 1 000 à 1 999 travailleurs. Les notes sont plus hautes dans les sociétés de taille inférieure – la meilleure (4,2) étant octroyée à la catégorie des 50-99 salariés.

Toutes ces statistiques ont été transmises, mercredi, à l’occasion d’une réunion entre des représentants du ministère du travail et les partenaires sociaux. L’objet de cette rencontre était de faire le point sur l’entrée en vigueur de l’index d’égalité professionnelle, quelques jours après l’apparition au Journal officiel d’un décret qui détermine la méthode de calcul de ce dispositif.

Établi par la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, l’index a pour objectif d’imposer une « logique de résultats » aux patrons et aux responsables des ressources humaines. Le processus s’étalera en plusieurs étapes. Dès le 1er mars, les quelque 1 400 entreprises de plus de 1 000 salariés devront rendre public leur index – celles de taille inférieure ayant un peu plus de temps pour s’acquitter de cette obligation. Avec un tel mécanisme, le ministère du travail souhaite contribuer à la « prise de conscience » des employeurs sur cette problématique et les amener à engager des « mesures correctrices ». S’ils restent les bras ballants, l’Etat sortira le bâton. Ainsi, les entreprises dans lesquelles perdurent des écarts trop importants seront passibles de sanctions financières, pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale – à partir du 1er mars 2022 pour les sociétés de plus de 250 personnes et un an après pour celles de 50 à 250 personnes.

Air France : le syndicat des pilotes valide la politique de montée en gamme de la direction

Le SNPL a donné son aval à l’accord négocié avec les responsables de la compagnie, qui permet à ceux-ci de dérouler leur nouvelle stratégie, axée sur le « premium ».

Par Guy Dutheil Publié aujourd’hui à 11h16

Temps de Lecture 3 min.

Sur le tarmac de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, au nord de Paris, en août 2018.
Sur le tarmac de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, au nord de Paris, en août 2018. JOEL SAGET / AFP

Sans surprise, le conseil du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), réuni mercredi 23 janvier, a donné son assentiment à l’accord négocié par le SNPL avec la direction d’Air France. Pour être approuvé, ledit accord devra être soumis, d’ici à la mi-février, au vote des adhérents. Ce scrutin ne devrait être qu’une formalité. Le rapprochement avec le SNPL illustre la lune de miel qui semble s’installer entre Benjamin Smith, le nouveau directeur général d’Air France-KLM, et les différentes catégories de personnels de la compagnie.

L’accord paraît équilibré, et ce pour les deux parties. Les navigants obtiennent l’augmentation qu’ils réclamaient depuis de longs mois. Ils revendiquaient une hausse de leur rémunération de 4,7 %. En définitive, ils devront se contenter, selon nos informations, de « 2 % à 3 % ». Cela s’ajoute aux 4 % – versés en deux fois –, déjà accordés par la direction à tous les personnels.

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En outre, Air France a aussi accepté de revaloriser les primes de vol de près de 20 euros. Une manière de rééquilibrer en partie les rémunérations des commandants de bord de moyen-courriers et ceux de long-courriers. Enfin, les pilotes ont approuvé une plus grande souplesse dans la gestion de leurs effectifs, notamment à l’occasion des départs en retraite. A partir de 60 ans, les navigants recevront une incitation financière pour étendre leur préavis de départ à douze mois au lieu de trois mois.

Après avoir apaisé le climat social et déminé le terrain sur le plan salarial, l’accord permet désormais à la direction de dérouler sa stratégie, axée sur le « premium ». En pratique, la compagnie va cibler principalement les passagers « à haute contribution », c’est-à-dire ceux qui achètent les places les plus chères en première classe, en classe affaires et en Premium Economy. Une démarche fondée sur le constat, comme le note Jean-Louis Barber, ancien président du SNPL, « qu’Air France est principalement une compagnie de grands comptes ». Cela signifie qu’elle est privilégiée par les entreprises hexagonales pour transporter leurs cadres dirigeants.

Rénovation des cabines

En vue d’accroître ses recettes, notamment auprès de cette clientèle de choix, Air France va rénover les cabines, en ajoutant des fauteuils dans les classes business et Premium Economy au détriment de la classe économie. Pour mettre en place cette stratégie, M. Smith a obtenu l’accord du SNPL afin d’en finir avec l’indicateur SKO (sièges au kilomètre offert) et lui préférer le certificat de navigabilité (CDN).

Le SKO permettait jusqu’à maintenant de comparer l’activité d’Air France avec celle de sa filiale KLM, en calculant le nombre de sièges et le nombre de kilomètres parcourus par les avions de chacune des deux compagnies. Le CDN fixe le nombre maximal de sièges autorisés dans un avion. Avec la mise en œuvre de ce nouvel indice, c’est la rentabilité des avions d’Air France et de KLM qui sera désormais mesurée.

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Selon l’accord, l’offre de fauteuils Premium d’Air France sera augmentée d’un peu moins de 10 % au cours des années à venir. Cette stratégie accentuera la différence de positionnement des deux compagnies. Aujourd’hui, KLM, qui opère uniquement des avions avec des cabines biclasse, business et économie, offre environ 25 % de sièges en plus qu’Air France, avec des cabines allant jusqu’à quatre classes : première, business, Premium Economy et économie.

Toutefois, les avions d’Air France rapportent plus, car leur recette par siège est supérieure. Pour accepter d’en finir avec l’indicateur SKO, les pilotes d’Air France ont obtenu une garantie de croissance de la flotte axée sur celle du produit intérieur brut français. A chaque fois qu’il dépassera 1 %, la flotte sera augmentée d’un avion.

Dans ce ciel sans nuages, des incertitudes demeurent. M. Smith n’a pas encore fait savoir où il allait trouver les centaines de millions d’euros nécessaires au financement des augmentations de salaires et à la montée en gamme. De plus, cette course aux passagers premium pourrait être contrariée en cas de nouvelle crise économique.

Guy Dutheil

En Allemagne, entre les salariés d’IG Metall et les sociaux-démocrates du SPD, un « muraille du CO2 »

Bernd Osterloh, président du conseil des salariés de Volkswagen, en novembre 2017, à Wolfsburg (Basse-Saxe).
Bernd Osterloh, président du conseil des salariés de Volkswagen, en novembre 2017, à Wolfsburg (Basse-Saxe). Bloomberg / Bloomberg via Getty Images

Anxieux pour leurs emplois depuis le « dieselgate », les cols bleus du syndicat IG Metall se détournent du grand « parti populaire » de gauche et se laissent tentés par l’extrême droite de l’AfD.

Une autre fois, la dernière fournée de sondages d’opinion n’a pas été favorable au Parti social-démocrate allemand (SPD). Selon une enquête de l’institut INSA, diffusée lundi 21 janvier, le grand « parti populaire » de gauche de jadis ne rassemble plus que 13,5 % des intentions de vote. Aux élections de l’automne 2017, où il avait enregistré le pire score de son histoire, il était encore à 20,5 %. Aujourd’hui, le SPD est relégué au troisième rang, derrière l’Union chrétienne (CDU/CSU), à 31 %. Largement dépassé par les écologistes (à 19,5 %), il est au coude-à-coude avec le parti d’extrême droite AfD, qui pointe à 13 %.

Avec l’arrivée d’une année électorale importante – outre les européennes, trois scrutins régionaux doivent avoir lieu en Allemagne en 2019 –, ces résultats sont très inquiétants pour le Parti social-démocrate. La formation a certes régulièrement vu reculer ses scores depuis dix ans, mais le net décrochage récent s’explique par un élément en particulier : le fossé grandissant entre deux franges de son électorat sur la question de l’environnement. Entre les ouvriers de l’industrie et les diplômés de l’enseignement supérieur, qui forment traditionnellement les deux piliers du SPD, se dresse désormais un « mur du CO2 », qui s’illustre sur les questions énergétiques (charbon), ainsi que dans l’automobile, l’industrie la plus exportatrice du pays, mais aussi la plus organisée.

Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur le discours de l’un des personnages les plus influents de la société civile allemande : Bernd Osterloh, le président du Betriebsrat (conseil des salariés) de Volkswagen (VW). Il est la voix des quelque 290 000 salariés du groupe en Allemagne, un personnage central du syndicat de l’industrie IG Metall, traditionnellement proche du SPD. Depuis quelques semaines, M. Osterloh multiplie les attaques contre le parti, dont il est membre, qu’il accuse de ne pas assez défendre les intérêts des ouvriers et les emplois dans l’automobile, menacés par un passage forcé et trop rapide à l’électrique, estime-t-il.

« Un nouveau défi énorme »

« Les responsables politiques nous ont placés, peu avant les fêtes de fin d’année, devant un nouveau défi, qui est énorme : la réduction de 37,5 % de la limite des émissions de CO2 à partir de 2030. Je me demande si les décideurs, à Bruxelles et à Berlin, ont bien conscience de ce qu’ils font aux salariés de l’industrie automobile », a-t-il déclaré, dans une lettre envoyée au personnel avant les congés de fin 2018, dont Le Monde a obtenu une copie. Il redoute la disparition de milliers d’emplois. « Je pense que les salariés de l’industrie automobile sauront discerner, lors des élections à venir, quel parti démocrate représente au mieux leurs intérêts. Lequel oublie la durabilité sociale de milliers d’emplois, tout en se faisant célébrer dans les quartiers chics des grandes villes en imposant des limites d’émissions trop sévères », a-t-il annoncé, dans une référence à peine voilée au SPD.

Guy Ryder, dirigeant de l’OIT : « Le monde du travail est cause d’inégalités »

L’Organisation internationale du travail a exposé, mardi, un rapport sur le futur du travail. Son directeur général dresse les visions d’avenir de l’organisation.

Le secrétaire général de l’OIT, Guy Ryder (à droite), et le président de la République d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, lors du lancement du rapport « Travailler pour bâtir un monde meilleur », mardi 22 janvier, à Genève.
Le secrétaire général de l’OIT, Guy Ryder (à droite), et le président de la République d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, lors du lancement du rapport « Travailler pour bâtir un monde meilleur », mardi 22 janvier, à Genève. Photo : R. Bx.

L’Organisation internationale du travail (OIT), qui rassemble les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs de 187 Etats, fête son centenaire en 2019. Son secrétaire général (depuis 2012), Guy Ryder, ex-secrétaire général de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) puis de la Confédération syndicale internationale (CSI), explique au Monde quel rôle peut jouer cette organisation des Nations unies, à l’occasion de la parution, mardi 22 janvier, d’un rapport sur le futur du travail, « Travailler pour bâtir un avenir meilleur ».

Alors que l’OIT s’apprête à fêter ses cent ans, le constat que vous tirez est difficile, avec l’accroissement des inégalités dans le monde.

En effet, nous traversons une période d’inégalités croissantes. Ce n’est pas seulement un fait, c’est un problème. Aujourd’hui cette analyse est amplement partagée, comme l’indique l’agenda 2030 d’objectifs de développement durable (ODD) retenu par les Nations unies. Jusqu’à peu, il était difficile d’établir un consensus sur cette réalité. Le monde du travail n’en est pas la victime, il est lui-même facteur d’inégalités, avec les salaires, les rémunérations des dirigeants, etc.

De fait, le futur du travail se retrouve au centre du débat. Les questions de justice sociale sont prioritaires. Cette carence de justice fait réagir les gens partout dans le monde. On le voit en France avec les « gilets jaunes ». Il faut répondre sur ce point et ainsi protéger la stabilité des sociétés. Ce constat était vrai il y a cent ans déjà.

Cela signifie-t-il que l’OIT n’a pas été efficace, n’a pas su répondre aux défis du siècle dernier ?

Est-ce à dire que rien n’a été fait ? Non ! Le monde du travail n’est pas comparable aujourd’hui à ce qu’il était au début du XXe siècle. Les conditions de travail se sont beaucoup progressées, si l’on considère par exemple le travail des enfants. Mais les défis demeurent en partie les mêmes. Il reste beaucoup à faire.

Nous n’avons jamais vécu une période de transformation de nos sociétés comme celle que nous connaissons actuellement, qui affecte autant les relations du travail. L’impact est ressenti par tout le monde, mais pas toujours compris par les personnes qui sont touchées. Comme elles ne maîtrisent pas ces changements, cela crée de l’inquiétude, puis de la frustration et de la colère.

Les nouvelles technologies arrivent en force, des entreprises géantes sont créées dans l’économie numérique. On assiste à une atomisation de l’emploi, un développement de l’informel. Tous ces bouleversements sont pénibles à appréhender.

Assurance-chômage : « Parcours de retard » entre patronat et syndicats

La huitième séance de discussions, mardi, a de nouveau achoppé sur la question de la régulation des contrats courts. Les négociations sont prolongées jusqu’au 20 février.

La logique voudrait que leur discussion cesse, au vu du gouffre qui les sépare. Mardi 22 janvier, à l’occasion d’une huitième séance de débats sur l’assurance-chômage, les partenaires sociaux ont, pour la énième fois, démontré l’ampleur de leurs divergences à propos d’un sujet-clé : la résorption de la précarité dans le monde du travail.

Comme prévu, les mouvements d’employeurs ont refoulé une proposition des organisations de salariés, visant à instaurer un bonus-malus afin de contenir la prolifération des contrats courts. Cette fin de non-recevoir n’a pas, pour autant, provoqué de conflit. Les acteurs veulent prolonger leurs échanges, même s’ils tournent à la « course de lenteur », selon la formule de Denis Gravouil (CGT). Deux réunions supplémentaires auront lieu, les 14 et 20 février.

La délégation patronale a procédé avec méthode, mardi. D’abord, tailler en pièces tout système de bonus-malus qui augmenterait les cotisations des entreprises dont la main-d’œuvre tourne fréquemment. Une « mauvaise idée », d’après Hubert Mongon (Medef), car elle « risquerait de freiner l’activité », de fragiliser plus encore les sociétés déjà « en difficulté » et de peser « sur les gains de productivité ». « Présentation à charge d’une piste qu’ils n’ont jamais voulu ouvrir », a objecté Marylise Léon (CFDT). Les parties en présence ont cependant disserté durant plus d’une heure sur la problématique pour aboutir à la conclusion, prévisible, qu’aucun terrain d’entente ne pourrait être trouvé.

Intérêt poli

Puis est venu le temps des « proposions alternatives », portées par le patronat pour favoriser « l’accès durable à l’emploi » et « sécuriser le parcours » des personnes. Une douzaine de résultats ont été déclinées, dont plusieurs s’inspirent de conventions de branches récemment signées : favoriser le recrutement en « contrat long » des salariés ayant enchaîné des contrats courts, améliorer la régulation des CCD d’usage (un statut particulièrement flexible), promouvoir les groupements d’employeurs – un dispositif où la main-d’œuvre partage son temps de travail entre plusieurs sociétés, etc.

Certains avis ont suscité un intérêt poli, du côté de la CFDT et de la CFE-CGC. Par exemple, celle accordant la priorité à l’embauche des individus effectuant des CDD à répétition. D’autres, au contraire, ont été vues par toutes les centrales comme des « lignes rouges » à ne pas passer : ainsi en va-t-il du recours facilité aux heures complémentaires pour les personnes à temps partiel. Mais, au total, la copie patronale a été jugée insuffisante : « Il n’y a aucun effort de fait par les entreprises, a lâché Michel Beaugas (FO). Ça ne sécurise que les [employeurs]. »

Dès lors, à quoi bon poursuivre la négociation ? Elle « n’a pas [débuté], on ne va pas la quitter », a expliqué M. Gravouil. « Les vraies [discussions] commenceront le 31 janvier », a renchéri Jean-François Foucard (CFE-CGC). Ce jour-là, le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) doivent découvrir un projet d’accord, avec – entre autres – des mesures sur les paramètres d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

Elles s’annoncent rudes, aux yeux des syndicats, car le patronat entend respecter la « trajectoire financière » fixée par le gouvernement : permettre à l’assurance-chômage d’économiser 3 à 3,9 milliards d’euros en trois ans. Les représentants des organisations de salariés veulent donc continuer à croiser le fer pour, annoncent-ils, s’opposer à un texte synonyme de réduction des droits pour les chômeurs.

Position gênante

Dans cette condition, la probabilité de parvenir à un compromis apparaît très faible, de prime abord. « On va droit dans le mur », pronostique M. Gravouil. Mais une autre issue est possible : celle d’un « accord » a minima, paraphé par le patronat et une partie des organisations syndicales, qui ne contiendrait aucun mécanisme nouveau de majoration des cotisations ni de dispositions trop douloureuses pour les demandeurs d’emploi. Un tel scénario n’est pas à écarter : la CFTC et la CFDT se sont dites prêtes à mettre en balance le bonus-malus avec les propositions des mouvements d’employeurs.

Si cette hypothèse s’accomplit, l’exécutif se retrouvera dans une position inconfortable : soit il entérine l’accord, ce qui impliquera de renoncer à l’objectif d’économies et au bonus-malus – promesse de campagne d’Emmanuel Macron ; soit il le rejette pour pouvoir aller au bout de ses desseins mais avec le risque d’être, une fois de plus, dénoncé de piétiner les corps intermédiaires.

L’OIT étude des solutions pour l’avenir du monde du travail

Dans un rapport exposé mardi à Genève, l’organisation onusienne, qui fête ses cent ans, fait une série de propositions pour répondre aux challenges posés par les nouvelles formes de travail.

Le président de la République d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa (à gauche), et le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Guy Ryder, lors de la présentation du rapport de l’OIT sur l’avenir du monde du travail, à Genève, le 22 janvier.
Le président de la République d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa (à gauche), et le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Guy Ryder, lors de la présentation du rapport de l’OIT sur l’avenir du monde du travail, à Genève, le 22 janvier. Reuters Staff / REUTERS
Quels seront les défis que devra faire face le monde du travail demain ? Alors qu’elle fête ses 100 ans cette année, l’Organisation internationale du travail (OIT) présente des propositions afin de « travailler pour bâtir un avenir meilleur », ainsi que l’indique le titre du rapport qu’elle a présenté à Genève, mardi 22 janvier. L’enjeu est d’importance pour l’institution, née en 1919 au lendemain de la première guerre mondiale et qui, à présent, regroupe sous une forme tripartite unique au sein des Nations unies 187 Etats membres avec représentation des gouvernements, des employeurs et des travailleurs pour chacun d’eux.

Un siècle après avoir écrit dans sa Constitution que son but était d’atteindre « la plénitude de l’emploi et l’élévation des niveaux de vie », « une protection adéquate de la vie et de la santé des travailleurs », ou que « la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous », force est de constater que le chemin à parcourir est encore long. « Est-ce à dire que rien n’a été fait ? Non. Le monde du travail n’est pas comparable aujourd’hui à ce qu’il était au début du XXe siècle, a fait valoir au Monde Guy Ryder, le directeur général de l’OIT. Mais les défis demeurent en partie les mêmes. Il reste beaucoup à faire. »

L’intérêt du rapport, qui brosse un tableau des nouvelles formes du travail et des conséquences qu’elles impliquent en matière de réponse politique et sociale, est de partir d’un constat sans concession : 190 millions de personnes au chômage en 2018 – dont 65 millions de jeunes –, 300 millions d’ouvrier pauvres (c’est-à-dire vivant avec moins de 1,7 euro par jour), 2 milliards de personnes dans l’emploi inorganisé, plus d’un tiers de la main-d’œuvre mondiale travaillant plus de quarante-huit heures par semaine… Sans oublier les 20 % d’écarts salariaux entre hommes et femmes ou les salaires en berne (1,8 % de croissance en 2017, contre 2,4 % l’année précédente).

Ces difficultés « menacent également de saper les normes de prospérité partagée qui ont maintenu les sociétés unies, en érodant la confiance dans les institutions démocratiques. Par ailleurs, la hausse de l’insécurité et de l’incertitude alimente l’isolationnisme et le populisme », soulignent les membres de la commission chargée, depuis 2017, de la rédaction du rapport, sous l’égide du président de la République d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, et du premier ministre suédois, Stefan Löfven. Pour Guy Ryder, les crises sociales, dont le mouvement des « gilets jaunes » en France, affirment des conséquences d’une inégalité croissante dans le monde.

« Respecter des socles de droit et de protection »

Existante au lancement du rapport, Anousheh Karvar, déléguée du gouvernement français auprès de l’OIT et ex-secrétaire nationale de la CFDT, estime que, si les inégalités entre pays ont diminué, elles explosent au sein même des pays. « Le populisme est aussi une demande de protection des peuples, dans le repli, et il faut éviter que cela se traduise par du protectionnisme comme cela voit dans nombre de pays. »

Pour l’OIT, le travail du futur sera manifesté par les progrès technologiques, l’intelligence artificielle, l’automatisation et la robotique. Ils « créeront beaucoup d’emplois, mais ceux qui perdront le leur au cours de cette transition seront peut-être les moins bien armés pour saisir les nouvelles possibilités », avance le rapport. L’une des suggestions est la création d’un « droit universel à l’apprentissage tout au long de la vie qui donne la possibilité d’acquérir des compétences, de les actualiser et de se perfectionner ». La technologie doit également permettre d’atteindre un équilibre et d’atténuer les pressions qu’engendre « une démarcation de plus en plus floue entre temps de travail et temps consacré à la vie privée ».

Parmi sa dizaine de propositions, l’OIT évoque l’exigence d’un système de gouvernance internationale pour les plates-formes de travail numérique, afin qu’elles et leurs clients « respectent des socles de droit et de protection ». Si la commission n’a pas retenu l’exigence d’un revenu universel, elle veut assurer « une protection sociale universelle de la naissance à la vieillesse ».

Répondre aux enjeux de demain admet aussi à prendre en compte, « la valeur du travail non rémunéré accompli au sein des ménages ou des communautés, et des externalités de l’activité économique, comme la dégradation de l’environnement » par exemple. En outre, les investissements dans l’économie verte, l’économie rurale ou celle du soin nécessiteront être accrus.