Brexit : Paris charme toujours les banquiers londoniens, malgré les « gilets jaunes »

Devant une agence BNP Paribas, le 2 décembre, à Paris, au lendemain de la mobilisation des « gilets jaunes ».

Devant une agence BNP Paribas, le 2 décembre, à Paris, au lendemain de la mobilisation des « gilets jaunes ». Julien MUGUET / © Julien Muguet pour Le Monde

 

Des voitures incendiées sur les avenues parisiennes montrées sans interruption sur les télévisions britanniques. Des beaux quartiers prisés des banquiers ciblés par les casseurs. Un retour en force de l’impôt sur la fortune, même si le président de la République, Emmanuel Macron, l’a écarté. L’instabilité en France s’annonce au moment même où plusieurs établissements financiers se préparent à transférer des emplois de Londres vers Paris pour cause de Brexit.

L’appel des « gilets jaunes » peut-elle remettre en épreuve ces projets au profit de Francfort ou Dublin, les places concurrentes ? « Nous n’avons pas d’indication de changement de plan de la part de banques qui ont décidé de relocaliser des équipes à Paris, constate Marc Perrone, avocat spécialisé en réglementation bancaire chez Linklaters, cabinet conseil de plusieurs établissements américains et internationaux dans le contexte du Brexit. Les grandes banques qui sont déjà très avancées dans leur planning, qui ont loué des locaux à Paris, n’ont, de toute façon, pas le temps de changer leur fusil d’épaule, en quelques mois. »

 

« A ce stade, on ne constate pas d’impact sur les demandes de relocalisation à Paris », confirme-t-on également du côté des autorités françaises. Certes, il y a urgence. Alors que le Parlement britannique se prononce, mardi 11 décembre, sur l’accord conclu entre la première ministre, Theresa May, et l’Union européenne, « les grandes banques se préparent, depuis deux ans, au scénario du pire, celui d’un Brexit sans accord », précise Fabien Zaveroni, directeur au sein du cabinet de stratégie Sia Partners à Londres. Un « no deal » entre Londres et Bruxelles interdirait de fait aux établissements financiers bénéficiant d’une seule licence britannique de travailler dans l’Union européenne à partir du 29 mars 2019.

« L’Allemagne avait initialement une longueur d’avance »

Ces derniers mois, les Credit Suisse, Goldman Sachs ou autres JPMorgan ont répertorié les équipes qui ne pourront plus servir leurs clients français, allemands ou belges depuis Londres selon un scénario semblable « Certains manageurs sont déjà partis. Pour le reste, les personnes concernées ont été alertées sur le fait qu’elles devraient être prêtes à boucler leurs valises à partir du mois de mars », explique un responsable en France d’une banque américaine. Un exercice mené à l’aveuglette sur fond d’incertitudes politiques et juridiques. « En octobre encore, des manageurs, qui pensaient jusque-là pouvoir rester à Londres, ont été prévenus par leur direction qu’ils devraient déménager », relate un banquier.

 

Et durant ce temps-là… Macron glorifie la start-up nation

Une quarantaine d’homme d’affaire français étrangers menés par John Chambers, l’ex-patron de Cisco, ont retrouvé le président français, jeudi 6 décembre.

Le mouvement de protestation  des « gilets jaunes » menace-t-il la start-up nation si chère à Emmanuel Macron ? Lors de son passage à Paris cette semaine pour encourager les jeunes pousses tricolores auprès des investisseurs étrangers, John Chambers, l’emblématique ex-patron de Cisco et actuel ambassadeur de la French tech à l’international, n’a pas semblé accablé par le climat social qui agite l’hexagone depuis trois semaines.

Pour cette tournée promotionnelle, M. Chambers était joint d’une quarantaine de capital-risqueurs et investisseurs étrangers venus découvrir les encourageantes jeunes pousses françaises. Au programme de cette opération séduction prévue de longue date, une rencontre avec Emmanuel Macron. Le rendez-vous qui avait lieu jeudi 6 décembre a été une opportunité pour le président de rassurer les investisseurs et confirmer  les ambitions de la France sur la scène tech. M. Macron a toutefois fait l’impasse sur le dîner, pris par les affaires du moment.

La France a les qualités pour accoucher des « prochains Facebook »

A commencer par ces « gilets jaunes », auprès desquels la Start-up nation n’a pas une bonne réputation. De fait, l’ancien patron de Cisco constate qu’en France – comme aux Etats-Unis –, l’économie numérique semble pour l’instant profiter à une minorité d’individus, largement concentrés à Paris. Au-delà de cette crise régionale, qui doit être corrigé – « il faut être plus inclusif » –, c’est avant tout un travail pédagogique qui doit être mené, selon lui. « Parler de start-up nation, c’est parler de la création des emplois d’aujourd’hui et de demain ; il y a une opportunité à saisir et si on ne la saisit pas, après, ce sera trop tard. »

A ses yeux, la France a les qualités pour accoucher des « prochains Facebook », avec un système éducatif de qualité et un esprit d’entreprenariat qui se diffuse de plus en plus : « Aujourd’hui huit élèves sur dix de Polytechnique rêvent de travailler dans une start-up ».

Le pire, selon lui, serait que la France, qui depuis plusieurs années se montre spécialement volontariste pour digitaliser son économie perde de vue son objectif, sous la pression de ceux qui « réclament un nouveau gouvernement chaque année ou une révision des politiques fiscales ». « On ne peut pas réussir si on ne pense qu’à court terme », dit celui qui parierait volontiers sur Paris comme capitale de la tech européenne d’ici cinq à sept ans. Un discours probablement plus audible par Emmanuel Macron que par les « gilets jaunes ».

 

La CGT et FO annulent leur appel à la grève des routiers

La grève des routiers n’aura pas lieu. La CGT et FO Transports ont levé vendredi 7 décembre leur appel à la grève prévu à partir de dimanche soir.

Les deux syndicats ont interrogé leur base après avoir obtenu jeudi des engagements écrits du patronat sur le maintien de la rémunération des heures supplémentaires des routiers, après une réunion au ministère des transports qui s’est lui-même engagé sur ce dossier.

Dans leurs lettres, les quatre organisations d’employeurs symboliques du secteur, la FNTR, TLF, OTRE et la CNM, s’engagent à conserver les taux de majoration de 25 % et 50 % appliqués aux heures supplémentaires des chauffeurs routiers. « Tout accord d’entreprise qui dérogerait à ces taux serait illégal », ont écrit ces quatre organisations patronales, reprenant les termes de la ministre Elizabeth Borne.

Une réunion « constructive » avec Elizabeth Borne

FO-transports et logistique, qui a qualifié de « constructive » la réunion jeudi avec Mme Borne, a précisé dans un communiqué que « 60,8 % » de ses instances locales avaient considéré que l’appel à la grève devait « être levé ». « Toutefois », a prévenu le syndicat, « si les employeurs ne respectent pas leurs paroles et leurs écrits, si le gouvernement dans sa loi [d’orientation des mobilités (LOM)] ne respecte pas ses engagements, un conflit dur pourrait débuter à tout moment d’ici à l’été 2019 ».

Une telle grève, très redoutée, aurait été synonyme de nouveaux barrages sur les routes françaises, en plein mouvement des « gilets jaunes ».

Pouvoir d’achat : le gouvernement veut collaborer les entreprises

Muriel Pénicaud arrive au ministère du travail pour une réunion avec les partenaires sociaux, le 7 décembre.
Muriel Pénicaud arrive au ministère du travail pour une réunion avec les partenaires sociaux, le 7 décembre. FRANCOIS GUILLOT / AFP

C’est la dernière hypothèse du gouvernement – inspirée par Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France – pour diminuer la colère des « gilets jaunes » à l’approche du week-end de tous les dangers. Le premier ministre, Edouard Philippe, puis son ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et son homologue des comptes publics, Gérald Darmanin, se sont prononcés, jeudi 6 décembre, en faveur d’une prime exceptionnelle versée par les entreprises à leurs salariés. Une réponse à la revendication principale du mouvement : l’augmentation du pouvoir d’achat.

Rassemblés vendredi autour de M. Le Maire, les organisations patronales (Medef, Confédération des PME, Union des entreprises de proximité-U2P, Fédération du commerce et de la distribution…) se sont annoncés prêtes à verser cette prime aux salariés. A condition que ce soit sur la base du volontariat et qu’elle soit totalement défiscalisée et exonérée de cotisations sociales, ce qui implique une modification législative.

Le ministre s’est engagé à l’inscrire dans la loi « le plus rapidement possible », sans doute dans le projet de loi de finances 2019 qui revient à l’Assemblée nationale le 17 décembre, pour que « le plus grand nombre d’entreprises puissent verser cette prime au plus grand nombre de salariés possible ».

« Concertation » in extremis

« Ne l’oublions pas, nous sommes d’abord face à une révolte fiscale que les patrons partagent. La seule solution, c’est de baisser les prélèvements », souligne le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, en rappelant que la France est désormais la championne mondiale de la pression fiscale (46,2 % du PIB). « Les entreprises ne veulent pas être les boucs émissaires. Mais la situation est grave, concède-t-il. Le Medef est prêt à s’engager sur cette prime et sur un versement transport pour les 5 millions de salariés qui n’en bénéficient pas. »

L’idée d’une gratification n’est pas neuve. En 2011, Nicolas Sarkozy avait établi une prime de partage des profits obligatoire, due par les entreprises d’au moins 50 salariés versant à leurs actionnaires des dividendes en hausse. Ministre de l’économie, Emmanuel Macron l’avait supprimée à partir de 2015.

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est engagé à inscrire « le plus rapidement possible » dans la loi la prime aux salariés.

Lors de la préparation de la loi Pacte, la CPME avait défendu la création d’une prime plafonnée à 1 000 euros par an et versée en une ou plusieurs fois. « Il y a quelques mois, lors des discussions sur l’intéressement et la participationnous proposions une prime annuelle en fonction des marges et plafonnée à 1 000 euros, mais sans période de versement prédéterminée », renchérit Alain Griset, président de l’U2P, qui fédère 2,4 millions de petites entreprises. Mais, comme le patron du Medef, il prévient que les secteurs pénalisés par le mouvement des « gilets jaunes » auront du mal à la verser.

 

Emploi : les jeunes diplômés français s’en sortent-ils mieux ou moins bien que d’autres pays ?

J’ai décidé durant le mois de décembre de faire le point sur notre enseignement supérieur en comparant la France aux autres pays du monde. Pour que l’exercice soit plus fiable, je vous propose un quiz en 15 questions sur trois semaines (une par jour du lundi au vendredi à compter du lundi 3 décembre). Chaque question abordera un des enjeux importants de notre enseignement supérieur et la réponse sera illustrée par un graphique et des explications. À la fin des 15 questions, un bilan sera fait sur les forces et faiblesses de notre enseignement supérieur.

Hier, la question portait sur l’avantage du salaire que procure une licence universitaire (par rapport au BAC) sur le marché du travail. Aujourd’hui nous allons attaquer la question de l’employabilité des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur en comparant la France et la Corée.

Question : Est-ce que le taux d’emploi des jeunes de 25 à 34 ans ayant un diplôme de l’enseignement supérieur est plus élevé en France ou en Corée?

Réponse : Premier bilan, et cela n’est pas étonnant, le taux d’emploi augmente avec l’élévation du niveau de formation. Ainsi, par exemple, dans la plupart des pays de l’OCDE et des pays partenaires, de meilleurs débouchés sur le marché du travail s’offrent aux titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. C’est particulièrement vrai en France où 86% des 25-34 ans diplômés du supérieur sont en emploi, contre seulement 50% parmi ceux qui n’ont aucune qualification. C’est l’un des écarts les plus importants des pays de l’OCDE (voir graphique).

Le diplôme est bien en France la meilleure protection contre le chômage ou l’inactivité, et ceux qui « décrochent » à l’école se retrouvent en très grande précarité ensuite. D’ailleurs, la lutte contre le décrochage scolaire est une priorité de tous les gouvernements depuis 2008. Résultat : le nombre de décrocheurs est passé en 10 ans de 150 000 à 100 000 en France, une réussite, même si des efforts sont encore nécessaires. C’est un signal fort qui montre également que lorsque les réformes se succèdent avec cohérence, tous les progrès sont possibles.

Taux d’emploi des adultes âgés de 25 à 34 ans, selon le niveau de formation et la filière d’enseignement (2016)

 

Source : OCDE. Regards sur l’Éducation 2017.

Toujours sur ce graphique, il est intéressant d’observer que l’insertion professionnelle quand on sort du système éducatif avec un BAC pro ou avec un BAC général (ou technologique) est relativement similaire en France. C’est assez atypique au sein de l’OCDE. En effet, dans un nombre important de pays, les filières professionnelles du secondaire offrent de bien meilleurs débouchés sur le marché du travail que les filières générales. Il n’y a qu’à voir en Allemagne pour s’en convaincre: les taux d’emploi sont pareils et élevés, qu’on ait un Bac pro ou un diplôme du supérieur. Une réflexion s’impose donc pour valoriser ces filières en France. Il faudrait également rehausser le niveau d’exigence dans les programmes, réfléchir à la formation des formateurs et développer l’alternance. Tout un programme.

Après cette digression sur notre école, revenons au supérieur et à notre question.  Le taux d’emploi des diplômés en Corée est bien inférieur à celui de la France, aussi bien quand on compare les diplômés du supérieur que lorsque la comparaison porte sur ceux qui ont quitté le système éducatif avec un Baccalauréat (ou équivalent) en poche. C’est surprenant tant on ne cesse de vanter l’excellence académique (bien réelle !) des élèves en Corée. En fait, la raison à ces faibles taux d’emploi est double. Premièrement, l’expansion ultra rapide de l’enseignement supérieur en Corée a abouti à des décalages importants entre les besoins des entreprises et la durée et l’exigence des formations. Aujourd’hui, 70% des jeunes ont un diplôme du supérieur, ils étaient à peine plus de 20% il y a 30 ans. Par conséquent,  de nombreux jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences. Ils préfèrent rester à l’université car les contrats qu’on leur propose en dehors sont souvent de courtes durées et sans réelles perspectives de carrière. Autre effet pervers de cette situation d’inflation scolaire, certains étudiants préfèrent échouer à leurs examens pour se donner plus de temps pour avoir de meilleures notes et une plus grande chance d’accéder aux postes de leurs rêves.

Alors, cela n’est pas l’unique explication à ces faibles taux d’emploi. La Corée est parmi pays de l’OCDE où l’écart entre hommes et femmes sur le marché de l’emploi est le plus élevé. Seulement 69% des femmes diplômées du supérieur sont en emploi quand, dans le même temps, 81 % des hommes travaillent. À titre comparatif, l’écart est bien plus faible en France avec 84% des femmes en emploi contre 90% des hommes. Les femmes coréennes se mettent souvent en inactivité après leurs études supérieures pour fonder une famille. C’était même par le passé encouragé par le gouvernement, la Corée ayant le taux de fertilité le plus faible de tous les pays de l’OCDE (avec moins de 1.3 enfants par femme).Le gouvernement prend très au sérieux la situation et essaie depuis 15 ans d’inverser cette tendance. Pour cela, il a investi massivement dans son système de petite enfance. L’objectif est d’en rehausser la qualité et de rendre possible l’accès universel aux services pour les plus petits afin de permettre aux femmes de mieux concilier emploi et parentalité.

Pour affronter l’inflation scolaire galopante, le gouvernement a également investi pour développer les filières professionnelles du secondaire et pour inciter les jeunes à travailler une fois leur diplôme obtenu. Pour cela, des quotas ont été fixés aux entreprises pour recruter davantage de bacheliers, et des primes ont été offertes à ceux entrant directement sur le marché de l’emploi, sans passer par la case université.

On se rend compte qu’il y a encore beaucoup à faire en Corée sur la transition entre emploi et étude. En France, il faut agir en priorité sur les moins qualifiés mais aussi réfléchir à l’attractivité de certaines licences qui manquent de débouchés. Demain, pour le dernier jour de la semaine, nous aborderons la question des frais d’inscription, sujet sensible et largement débattu en ce moment.

Unédic : le patronat agace les syndicats

Le patronat n’y est pas allé de main morte. Lors de la quatrième séance de débat sur l’assurance-chômage, la délégation formée par les trois organisations d’employeurs (CPME, Medef, U2P) a proposé, mercredi 5 décembre, une série de mesures qui diminuent les droits des demandeurs d’emploi et engendrent des économies supérieures à celles réclamées par l’exécutif. Même si ces premières pistes de réflexion vont sans doute être adoucies, les syndicats n’ont pas du tout apprécié la mise en bouche.

C’est « l’opération bazooka », a commenté Marylise Léon (CFDT), à l’issue de la rencontre. Denis Gravouil (CGT) y a vu de « pures provocations (…) complètement irresponsables, au regard de la situation sociale dans le pays ». Dans « le contexte actuel (…), je pense que c’est assez malvenu », a renchéri Michel Beaugas (FO). Son homologue de la CFTC, Eric Courpotin, a qualifié de « totalement inacceptables » plusieurs idées portées par le patronat.

« Atteinte au principe d’égalité nationale »

Pour les mouvements d’employeurs, la convention Unédic, qui définit les règles adéquates aux chômeurs, peut être réécrite afin de « favoriser le retour durable à l’emploi » et perfectionner « l’efficience du système », ainsi que son « équité ». La démarche s’inscrit dans la lettre de cadrage dictée aux partenaires sociaux par le gouvernement : ce document fixe un cap, en matière de droits à faire évoluer, mais aussi de « trajectoire financière » à suivre – l’objectif étant de dégager de 3 à 3,9 milliards d’euros d’économies en trois ans.

Sur cette base, le patronat a donc rédigé une longue liste d’hypothèses, synonymes de changements drastiques si elles étaient mises à exécution. Exemple : pour pouvoir être éligible à l’assurance-chômage, il faudrait avoir exercé une activité pendant au moins quatre mois au cours des douze derniers (contre vingt-huit aujourd’hui). Et l’allocation serait calculée en fonction de la durée passée au travail durant vingt-quatre mois (vingt-huit à l’heure actuelle). Autre schéma à l’étude : faire varier l’indemnisation en tenant compte du taux de chômage dans les bassins d’emploi. « C’est (…) une atteinte au principe d’égalité nationale, d’unicité du régime », a déclaré Mme Léon.

Le patronat pense-t-il que ses préconisations sont susceptibles de jeter de l’huile sur le feu, alors que la contestation sociale monte de toutes parts ? « Il est clair qu’une négociation n’est jamais hors sol », a admis Hubert Mongon (Medef). Lui et ses alliés veilleront donc à ce que les prochaines réunions soient « constructives » afin que les parties prenantes trouvent des « points d’équilibre ». Il leur reste un peu plus d’un mois pour parvenir à un compromis. Une gageure, à ce stade, compte tenu des délais et de la profondeur des désaccords entre organisations d’employeurs et de salariés.

 

Le diplôme n’efface pas l’écart de classe

Les étudiants issus de milieux populaires font beaucoup d’efforts pour trouver un équilibre entre leur milieu d’origine et celui qu’ils rejoignent.

Fils d’ouvrier, Nassim Larfa a usé ses pantalons sur les bancs de collèges et lycées estampillés « zone d’éducation prioritaire ». Aujourd’hui, à 22 ans, il est issu de Sciences Po Paris. Sans être exceptionnel, son parcours est suffisamment rare pour être remarqué. Comme preuve, selon l’Observatoire des inégalités, si près de 30 % des jeunes de 18 à 23 ans sont enfants d’ouvriers, ils ne représentent que 11 % de l’ensemble des étudiants et à peine 6 % de ceux des grandes écoles.

A Sciences Po, Nassim Larfa a découvert un monde totalement différent. « Le décalage avec le lycée était énorme. La très grande majorité des étudiants venaient de milieux très favorisés. Pour eux, l’IEP n’était qu’une étape pour accéder à autre chose, tandis que, pour moi, c’était un aboutissement. » Hélène (le prénom a été modifié) se souvient elle aussi de ses premiers pas à l’EM Grenoble : « Je me suis retrouvée avec des personnes dont les habitudes, les manières de s’amuser, de se détendre n’étaient pas les miennes. Aller boire un verre après les cours ou aujourd’hui après le travail, et organiser des fêtes dans des appartements, c’est quelque chose que l’on ne fait pas dans mon milieuD’abord parce que ça coûte cher. »

Acquérir les codes sociaux

Car il ne suffit pas de faciliter l’accès des grandes écoles aux étudiants les plus modestes pour que les compteurs soient remis à zéro. « Ce type de scolarité les contraint à traverser l’espace social. Ils doivent fournir un gros effort pour acquérir les codes sociaux du milieu qu’ils rejoignent », analyse Paul Pasquali, sociologue, auteur de Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes (Fayard, 2014).

« Certains étudiants ont un mépris énorme pour toute personne qui ne vient pas du même milieu qu’eux »

A ces difficultés de s’adapter à un nouvel environnement peut s’ajouter le sentiment de ne pas totalement mériter sa place. C’est ce qui est arrivé à Mathilde Millet. Issue de quartiers ZEP, la jeune femme a rejoint l’Institut d’études politiques de Lille après avoir bénéficié d’un dispositif d’égalité des chances. Il n’en fallait pas plus pour la rendre « suspecte » d’avoir bénéficié d’un coup de pouce. « Certains étudiants ont un mépris énorme pour toute personne qui ne vient pas du même milieu qu’eux, notamment les boursiers. » La jeune femme raconte s’être sentie tellement mal à l’aise qu’elle a pensé un moment arrêter. « Alors même que cette école j’en avais rêvé. »

Kylian (le prénom a été modifié) n’a pas profité de programme particulier et il n’a pas intégré une grande école, mais la fac. Il n’empêche, le passage dans l’enseignement supérieur n’a pas été simple pour lui non plus. Dans sa famille, on n’a pas fait d’études et « on ne voyait pas l’intérêt d’en faire ». Lui a commencé par un CAP comptabilité dans un lycée d’Ardèche avant d’enchaîner sur un bac technologique. Une fois son diplôme en poche, il décide de prendre le large et met le cap sur Paris, loin de sa famille. « Lorsque je suis arrivé en fac d’histoire, j’ai tout de suite eu l’impression de ne pas être légitime. »

Séparation de la famille

Un sentiment qu’il ressent d’autant plus fortement que chez lui « il n’y a pas de livres », qu’on ne parle pas « culture » et qu’il a connu « une scolarité chaotique ». « J’avais et j’ai toujours du mal à assumer mon parcours et à dire d’où je viens. Au fond, j’ai honte », confesse-t-il. Pour rattraper son « retard culturel » et « se sentir enfin à sa place », il s’est mis à beaucoup lire, à aller au théâtre, à fréquenter les musées… au prix d’un éloignement avec sa famille. « Mes sœurs regardent la télé-réalité et rêvent de partir en vacances dans des parcs de loisirs, quand moi j’aime la littérature et voyager. C’est difficile à accepter, mais nous n’avons plus rien en commun. Je culpabilise mais tout prétexte est bon pour ne pas aller les voir », admet Kylian.

Cette éloignement de la classe d’origine, fréquente lors des parcours de migration sociale, n’est ni automatique ni nécessairement définitive.

Cette difficulté à maintenir un équilibre entre le milieu d’origine et celui auquel le diplôme donne accès, David Foltz l’a connue lui aussi. Fils d’ouvrier mosellan, passé par Sciences Po, puis l’ENA, il a franchi les frontières sociales « en veillant à ne jamais renier ses origines ». S’il ne dévoilait pas spontanément d’où il ne venait ni ce que faisaient ses parents, il disait la vérité quand on lui posait la question. « Mais le monde ouvrier est si éloigné de celui de la plupart des étudiants que je côtoyais, que lorsque je disais que mon père était tuyauteur on me répondait parfois : “Ah, il a une boîte de chauffage” », se souvient-il.

Malgré des allers-retours entre sa famille, restée en Moselle, et les élites qu’il fréquente désormais, David Foltz concède que le fossé s’est creusé. « Ils sont fiers de moi. Quand je rentre, ils me charrient et me disent que je vais devenir président, mais, au fond, ils ne comprennent pas vraiment ce que je fais. Ce qui m’attriste le plus, c’est de ne pas pouvoir partager. » Cette éloignement de la classe d’origine, fréquente lors des parcours de migration sociale, n’est cependant ni automatique ni nécessairement définitive. C’est notamment le cas « lorsque le changement de classe correspond au désir des parents, précise la philosophe Chantal Jaquet qui a codirigé La Fabrique des transclasses (PUF, 2018). Les sacrifices que certaines familles sont prêtes à faire pour que leurs enfants connaissent une vie meilleure, le transclasse ne peut les oublier ».

 

« On assiste à des phénomènes de regroupement – d’homophilie sociale – liés aux expériences antérieures, aux manières de penser, de se vêtir, de se divertir »

Nassim Larfa, lui, a le sentiment de naviguer entre deux mondes. « C’est hyper-important pour moi de rester proche de mes copains de la cité. Je suis d’un milieu populaire et le diplôme de Sciences Po n’y change rien. J’ai conscience que je n’aurai jamais les codes des milieux favorisés, que je ne pourrai jamais vraiment appartenir à ce monde, même si, aujourd’hui, je m’y sens à l’aise. » Car ce n’est pas parce qu’on fait les mêmes études que la distance sociale disparaît. Au contraire, « on assiste à des phénomènes de regroupement – d’homophilie sociale  liés aux expériences antérieures, aux manières de penser, de se vêtir, de se divertir », prévient Paul Pasquali. Un phénomène qui perdure longtemps après l’obtention du diplôme.

En témoigne Hélène. Même diplômée d’une grande école de commerce et avec un salaire confortable, elle ne se sent toujours pas à sa place dans sa nouvelle classe. « Je m’entends bien avec mes collègues, mais, dans l’entreprise, les personnes vers lesquelles je vais spontanément et avec qui je me sens vraiment à l’aise me ressemblent. Ce sont les femmes de ménage, les secrétaires… Avec elles seulement, je n’ai pas besoin de faire d’efforts. »

« Gilets jaunes » : un affrontement qui affaibli le rebond de l’économie française

Un barrage filtrant organisé par des « gilets jaunes », à Gaillon (Eure), mercredi 5 décembre.

Un barrage filtrant organisé par des « gilets jaunes », à Gaillon (Eure), mercredi 5 décembre.

Le 10 octobre, les experts de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) faisaient preuve d’un certain espoir, voire d’un optimisme certain. L’sur les derniers mois de 2018 promettait d’être de bien meilleure facture que le 0,2 % affiché, en moyenne, au premier semestre. L’Insee tablait sur une augmentation du produit intérieur brut (PIB) de 1,6 % pour l’ensemble de l’exercice, avec une accélération notable aux troisième et quatrième trimestres (0,5 % et 0,4 %). La raison de ce redressement attendu tenait en une expression : le pouvoir d’achat.

Les Français devaient retrouver de nouveau le chemin des commerces et des restaurants : le reflux de l’inflation, la suppression du reliquat de cotisations d’assurance-chômage pour les salariés et la réduction de la taxe d’habitation pour certains ménages devaient se conjuguer pour nourrir une poussée de fièvre consumériste. Parallèlement, les entreprises devaient poursuivre leurs apports.. Las, mi-novembre, la flambée des prix à la pompe a fait se gripper cet aimable scénario en accouchant de la crise des « gilets jaunes ».

Les blocages de routes et de dépôts pétroliers, ainsi que les manifestations qui ont dégénéré en émeutes violentes ont eu une incidence « sévère » sur l’activité, assure le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, sans plus de précisions. « Pour l’instant, nous ne disposons d’aucune donnée macroéconomique objective permettant d’évaluer les conséquences de ces événements », souligne Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode.

« Les secteurs les plus menacés sont ceux qui étaient déjà fragilisés : agroalimentaire, commerce de détail… »

Stéphane Colliac, économiste senior pour la France chez Euler Hermes, se risque à une évaluation. Les blocages et manifestations observés depuis trois semaines devraient se traduire par « une année 2018 horribilis en termes de consommation, laquelle est responsable de plus de la moitié de la croissance économique en France. Le PIB ne devrait progresser que de 1,5 % cette année, soit 0,1 point de moins que la dernière prévision de l’Insee en octobre ».

« Plus de 200 entreprises ont été affaiblis »

Actuellement, rien à voir avec les épisodes de Mai 1968 ou de novembre-décembre 1995. Durant ces deux mouvements sociaux, l’économie française avait été confrontée à des « blocages de production », quand, actuellement, les blocages concernent davantage la distribution, souligne M. Ferrand, qui rappelle qu’en 1968 la croissance s’était effondrée de 5,3 % au deuxième trimestre, pour rebondir violemment de 8 % au troisième. En 1995, c’est entre 0,2 et 0,3 point de PIB qui s’était évaporé en fin d’année. Pour Philippe Waechter, économiste en chef chez Ostrum Asset Management, la configuration actuelle ressemble plus aux événements de 2010, avec les mobilisations contre la réforme des retraites durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

 

Les pilotes d’Air France votent le changement de la direction du syndicat SNPL

A l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, en août.

A l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, en août. JOEL SAGET / AFP

Un air de changement souffle sur le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) d’Air France. Comme il y a quatre ans, en 2014, les pilotes ont choisi de ne pas chasser l’équipe dirigeante du syndicat majoritaire présidé par Philippe Evain. Ce résultat ne souffre aucune contestation, puisque le taux de participation a atteint le niveau record de 80,16 %, à l’issue d’une consultation étalée sur un mois. Les pilotes ont voté massivement pour deux listes d’opposition, l’une présentée comme « modérée », l’autre comme « constructive ». C’est la liste menée par Vincent Bossy, un opposant déclaré à l’équipe Evain, et par l’ancien président du SNPL, Jean-Louis Barber, qui est sortie largement gagnant du scrutin. Au total, constructifs et modérés ont raflé 34 des 48 postes à pourvoir au conseil du SNPL, le « parlement » du syndicat.

M.Bossy est le mieux élu, avec un score personnel de près de 60 %. Il devance M. Barber, arrivé en troisième position avec 46,77 % des suffrages exprimés. M. Evain arrive seulement en 41position. « Ce n’est pas un bon résultat pour la majorité sortante », commente sobrement Véronique Damon, ex-secrétaire générale du SNPL présidé par Philippe Evain.

« Des choix n’ont pas été compris par les pilotes »

Cette figure progressive du syndicat des pilotes, qui avait démissionné de ses fonctions en mai 2017, pour des « raisons personnelles », a été réélue en 6e position. Même si des poids lourds de l’équipe sortante ont été reconduits, comme Yannick Floc’h ou Julie de Haas, il semble que les pilotes d’Air France aient massivement choisi de tourner la page. « L’alternance va avoir lieu, constate M. Evain. Exercer des responsabilités pendant quatre ans, c’est difficile. Nous y avons laissé des forces. Des choix n’ont pas été compris par les pilotes, mais nous les assumons parfaitement. »

Par ce vote sans appel, les pilotes ont voulu terminer avec la stratégie solidaire adoptée par M. Evain et son équipe. A rebours des pratiques en cours chez Air France, le président du SNPL avait voulu renouer avec les autres catégories de personnels de la compagnie aérienne, allant jusqu’à constituer une intersyndicale avec les autres organisations d’Air France. A l’avenir, le SNPL pourrait revenir à une démarche plus corporatiste. Il n’empêche, Philippe Evain n’en démord pas : « Notre stratégie était la bonne, mais il faudra probablement du temps pour s’en rendre compte. » Pas certain, rétorque Mme Damon. Selon elle, à trop vouloir construire l’unité avec les autres syndicats de personnels, « le risque est que l’on a failli perdre les pilotes ». Pourtant, tempère-t-elle, l’équipe Evain a obtenu « des résultats plutôt bons ». En témoigne, selon M. Evain, « l’accord Trust Together, signé en juin 2017, et validé par 85 % des pilotes ».

 

 

« Une hausse du smic pourrait admettre de corriger un peu les déséquilibres »

 

Le gouvernement Français a confirmé qu’il n’était pas question d’augmenter le smic au-delà de sa hausse légale (du moins jusqu’à nouvel ordre). Pourtant, on remarque, depuis plusieurs décennies à une captation des fruits de la croissance économique par les plus riches. Les mesures récentes prises par l’exécutif ne risquent pas d’améliorer les choses. L’Institut des politiques publiques a chiffré en octobre l’impact des mesures budgétaires pour l’année 2018-2019 : les 20 % les plus pauvres enregistreront une perte de revenu disponible pouvant atteindre 1 %, tandis que les 1 % les plus riches gagneront jusqu’à 6 % de pouvoir d’achat.

Une hausse du revenu minimum pourrait permettre de corriger un peu cette aliénation. Le premier ministre a pourtant balayé cette option d’un revers de main, avec un argument parfaitement nébuleux. Selon lui, « notre politique, ce n’est pas de faire des coups de pouce au smic, notre politique c’est de faire en sorte que le travail paie ». Evidemment, si l’on augmente le smic, le travail paiera davantage. Mais le premier ministre s’appuie semble-t-il sur l’argument, développé par certains économistes, qu’une augmentation du smic entraînerait une diminution de l’emploi ou des heures travaillées, et par conséquent une diminution des revenus.

Pourtant, un grand nombre de travaux, dans la lignée de l’ouvrage célèbre de David Card et Alan Krueger (Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage, Princeton University Press, 1995), ont affirmé que cette thèse libérale en vogue dans les années 1980 était fausse. Non seulement une augmentation du salaire minimum ne nuit pas à l’emploi, mais elle peut même l’améliorer. Une étude d’Arindrajit Dube (Université du Massachusetts à Amherst) et de ses collègues (« The Effect Of  Minimum Wages on Low-Wage Jobs »  Centre for Economic Performance, Discussion Paper, n° 1531, février 2018) analyse l’impact de 138 hausses significatives (10 % en moyenne) du salaire minimum aux Etats-Unis entre 1979 et 2016. Lorsque le salaire minimum augmente, on observe que la disparition des emplois rémunérés au-dessous du nouveau salaire minimum est plus que compensée par l’augmentation du nombre d’emplois (y compris en équivalents temps plein) rémunérés jusqu’à 5 dollars au-dessus du nouveau salaire minimum.