Les professionnels du secteur des jeux vidéo en France

« Game Dev Story », un jeu vidéo centré sur le quotidien et la productivité d’un studio de jeu vidéo.
« Game Dev Story », un jeu vidéo centré sur le quotidien et la productivité d’un studio de jeu vidéo. Kairosoft
Suite du rêve de plusieurs amoureux de la manette se cache une industrie encore très artisanale et dans laquelle il est pénible de vieillir. Tel est le premier constat de Territoires et trajectoires professionnelles dans l’Industrie du jeu vidéo (Tetris), un ensemble de recherche en sciences sociales initié en 2016 par le laboratoire d’étude du jeu de l’université Paris-XIII. Le groupe a exposé ses premiers travaux jeudi 23 mai à la Maison de la recherche de la Sorbonne, à Paris.

Pour mieux prendre les parcours professionnels des individus œuvrant dans l’industrie française du jeu vidéo, les responsables du projet ont conduit quarante entretiens biographiques et thématiques en France et à Montréal, et dispensé un questionnaire qualitatif au sein des écoles spécialisées. « On essaie de ne pas seulement s’intéresser aux success stories, mais aussi aux gens qui ont des trajectoires plus particulières », annonce Vinciane Zabban, maître de conférences en sciences du jeu à l’université Paris-XIII et porteuse de ce projet pluridisciplinaire.

Instabilité et effectifs réduits

« Il y a un point qui revient beaucoup, souligne Hovig Ter Minassian, maître de conférences à Tours et coprésentateur du projet, c’est la question de la précarité. Un discours que l’on regagne aussi bien du côté des laborieux que chez les gens en poste à responsabilité, comme le président du Syndicat national du jeu vidéo [SNJV, syndicat patronal], Lévan Sardjevéladzé. Chez les gens qu’on a enquêtés, il y a une contradiction entre une sorte d’appel du devoir, l’envie de développer des jeux, et la concret d’un métier qui est mal payé, dans lequel on ne fait pas de vieux os. »

L’industrie française du jeu vidéo n’est pas le géant que certains inventent, continue Hovig Ter Minassian. « La réalité est qu’il s’agit d’un secteur qui compte très peu d’emplois. Entre 3 000 et 5 000 emplois en France, un chiffre qui reste stable entre 2012 et 2017. »

Le SNJV conteste cette exposition : « Si on se projette à court, moyen et long termes, quelles seront les industries qui vont grandir, et dans laquelle la France va devenir performante ? Il est admis que le jeu vidéo en fait partie. On est à 85 % de CDI, aucune autre industrie créative ne fait mieux. Il faut regarder l’évolution, et la tendance est très positive, grâce au crédit d’impôt », définit Julien Villedieu, directeur délégué du SNJV. Il rappelle des effectifs aussitôt supérieurs à 6 000 personnes, en hausse de plus de 20 % par an depuis 2015.

Des profils particulièrement juniors

Une des caractéristiques de l’industrie française est sa proportion élevée de cursus spécialisés : quarante-six formations différentes, la plupart payantes. Vendre la perspective de vivre de sa passion du jeu vidéo est un « business lucratif », déclare Vinciane Zabban, du Tetris. Hovig Ter Minasian évoque, lui, « une cohorte toujours plus nombreuse d’étudiants qui arrivent sur le marché de l’emploi du jeu vidéo chaque année ».

« Une des questions qui se pose avec la multiplication des formations, continue la maître de conférences en sciences du jeu, c’est l’idée que la saturation du marché de l’emploi va pousser à de mauvaises conditions de travail : les jeunes diplômés sont très contents d’arriver et acceptent des conditions problématiques. Mais il faut nuancer, ils ne sont pas naïfs. »

Julien Villedieu, du SNJV, avoue que la formation française est perfectible. « La question n’est pas de savoir s’il y en a trop, mais si elles sont adaptées à la réalité des besoins des entreprises. Certaines le sont, d’autres pas du tout. On a un gros besoin de développeurs, alors qu’il y a moins de besoins de profils de game designers juniors », pour qui la sortie d’école peut être pénible et les salaires peu valorisants, reconnaît-il.

Ces dernières années, de nombreuses enquêtes de presse ont mis en lumière la toxicité des environnements professionnels de plusieurs champions de l’industrie. Ce sont aujourd’hui les entreprises que les étudiants écartent le plus volontiers de leurs choix de carrière, selon un sondage établi par Tetris : les américains Electronic Arts, Rockstar et Riot Games, et les français Quantic Dream et Eugen Systems.

« On a l’impression que la sensibilité des étudiants aux conditions de travail dans le jeu vidéo s’est accrue chez les étudiants depuis deux ans », déclare par ailleurs Hovig Ter Minassian. Même si l’un des nœuds du problème, l’homophilie sociale, demeure, lui, bien présent : les femmes ne représentent toujours que 15 % des effectifs dans les métiers de la production, et les fils d’ouvriers sont sous-représentés dans les écoles du jeu vidéo, au contraire des enfants de CSP +.

Un secteur encore jeune

L’autre trait majeur de cette industrie, c’est sa gêne à retenir les seniors. « On a des gens qui décident de quitter le secteur, ce qui montre sa jeunesse, détaille Hovig Ter Minassian. On a l’exemple de Malik, 43 ans, qui a déterminé de partir parce qu’il n’en pouvait plus, après des passages dans plusieurs studios, déçu par les conditions de travail et l’absence de perspective. »

Selon une enquête du Syndicat des laborieux du jeu vidéo (STJV), 77 % des professionnels ont moins de 40 ans, une proportion homogène avec les 44 % de 25-34 ans relevés par l’enquête de l’Independant Game Developers Association, toutes les deux effectuées en 2018. Les chercheurs rappellent à partir de la trentaine une inadéquation grandissante entre aspirations familiales et contraintes professionnelles, dans un secteur habituel des journées, voire nuits, à rallonge.

Julien Villedieu favorise y voir un phénomène naturel, l’industrie du jeu vidéo n’ayant guère que 40 ans, il est trop tôt pour compter énormément de cheveux blancs dans ses rangs. « Malgré tout, estime-t-il, on a une population de développeurs qui vieillit, beaucoup ont fait leurs classes à l’étranger et reviennent en France avec une séniorité nouvelle. Il y a énormément de quadras dans les studios. Certains ne veulent pas faire carrière dans le jeu vidéo et c’est leur droit, mais c’est faux de dire qu’on n’y fait pas de vieux os. Les profils seniors sont très recherchés. »

L’appel de l’étranger… et des régions

Le dernier volet de l’étude de Tetris porte sur la mobilité. De nombreux prétendants sont conscients que leur avenir se joue peut-être à l’étranger : plus de 65 % citent le Canada et les Etats-Unis comme destinations futures possibles – mais très peu l’Europe de l’Est, où pourtant l’industrie manque de personnes compétentes.

Cette attirance pour l’international n’empêche pas les carrières de se poursuivre en région, où se situent les deux tiers des studios français, selon le SNJV – particulièrement dans les métropoles de Lyon, Montpellier, Bordeaux et Lille. « On n’est pas dans l’internationalisation de la production qui revient si souvent dans les discours publics », déclare Hovig Ter Minassian.

Exemple de trajectoire mixte cité par Tetris : Arthur, Lyonnais de 33 ans, qui a commencé comme game master autodidacte chez Blizzard, en Irlande, puis s’est accompli à Cannes, a travaillé ensuite à Barcelone chez Digital Chocolate, une boîte moyenne rachetée par Ubisoft. Il obtient un poste à Paris, ce qui l’arrange car sa petite amie est en France, mais confisqué par l’absence de poste à responsabilités, il démissionne pour la rejoindre à Lyon. Embauché à Ivory Tower, un studio d’Ubisoft spécialisé dans les jeux de voitures, il s’ennuie, et finit par monter sa propre structure.

Si certains ne quittent pas l’industrie mais favorisent s’établir à leur compte, c’est pour découvrir ou retrouver le plaisir et la fierté de pouvoir être maîtres, voire auteurs de leurs jeux. En France, selon les données du SNJV, 86 % des studios ont un statut d’indépendant, plus d’un sur deux a moins de 5 ans, et 81 % utilisent moins de six personnes.

 

Devant le succès des plates-formes de travaux, les artisans s’organisent

De plus en plus d’adeptes du bricolage offrent leurs services via les sites Internet. Les professionnels s’irritent de cette nouvelle concurrence.

Le logo de la plate-forme Frizbiz, sur laquelle 200 000 « jobbers » sont inscrits.
Le logo de la plate-forme Frizbiz, sur laquelle 200 000 « jobbers » sont inscrits. Frizbiz

Se faire changer un chauffe-eau, mettre du carrelage ou effectuer des travaux de peinture n’a jamais été aussi facile, et surtout si peu onéreux. A Bordeaux, pour les 20 mètres carrés à repeindre, certains sites Internet offrent des prix qui démarrent à 70 euros, quand les artisans, eux, demandent 400 euros. Des tarifs bradés car effectuées par des particuliers, adeptes du bricolage, qui portent le nom de « jobbers ».

Près de 150 sites offrent de tels services étaient répertoriés en France par la Fédération française du bâtiment (FFB), lors de son dernier pointage, fait en mai 2017. Un marché qui capte déjà 11 % des travaux et jusqu’à 21 % des dépannages. Même s’il est pénible de quantifier le nombre exact de « jobbers », les huit principales plates-formes (AlloVoisins, Smiile, Frizbiz, Needhelp, Stootie, YoupiJob, Mon SuperVoisin et SuperMano) affichent 3,5 millions de comptes, sachant qu’une même personne peut avoir plusieurs comptes.

Sur le site Frizbiz, 200 000 « jobbers » sont matriculés, dont 50 000 seraient actifs depuis janvier 2019. Le portrait-robot de ces bricoleurs ? Un homme âgé de 38 ans, qui effectue cinq missions par mois en moyenne, pour des revenus avoisinant les 600 euros. Le client, quant à lui, débourse en moyenne 150 à 180 euros. Pour quel résultat ? « Les “jobbers” ont conscience qu’ils n’ont pas droit à l’erreur. A chaque mission, ils remettent leur réputation en jeu. S’ils ne font pas l’affaire, ils sont retirés du site », déclare Augustin Verlinde, cofondateur de Frizbiz.

Mise en garde de la Fédération française du bâtiment

Devant cette nouvelle concurrence, les artisans voient rouge : 13 % des professionnels sondés par la FFB en 2017 affirmaient que ces sites, où le consommateur n’est pas tout le temps bien informé et ne possède pas de garantie sur le travail effectué, nuisaient à leur activité.

Quant au développement des sites professionnels, détenus par des groupes du bricolage ou du bâtiment (Homly You, racheté par Saint-Gobain ; Quotatis, par Leroy Merlin ; Izi Solutions, par EDF ; ou encore E-travaux et HelloArtisan, par Batiweb), là encore, la FFB lance une mise en garde. Certes, ces sites font appel à des artisans, mais elle craint que cette situation puisse entraîner une forme de dépendance. « On assiste à une standardisation des tarifs de prestation. Le grand groupe impose un prix et les artisans doivent suivre. Ils ne sont pas en position de force », note l’organisation professionnelle.

Pour François Arroyo, président de l’entreprise Beaverco à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Quotatis lui apporte un petit plus. « Pour moi, c’est juste un tremplin. C’est provisoire. Je sais que je quitterai la plate-forme d’ici deux ou trois ans, une fois que je serai bien installé. » Depuis le début de 2019, Beaverco a effectué une dizaine de chantiers, dont trois grâce à Quotatis. Mais à quel prix : « Pour un chantier réalisé, j’ai dû recontacter trente particuliers et effectuer dix devis. Soit un ratio de concrétisation bien moindre qu’habituellement dans ce métier. »

Motivée par ses adhérents, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) a initié, le 16 avril, sa propre plate-forme. 360Travaux garantit une indépendance totale vis-à-vis des grands groupes de bricolage. Une modification de stratégie, la Capeb ayant longtemps été critique sur ces sites. « La digitalisation du marché des travaux impliquait que la Capeb et les artisans s’intéressent à ce nouveau mode de relation commerciale », ajoute Guillaume de Maussion, son président. L’occasion d’avoir une  visibilité plus clair sur les prix du marché et de récupérer les artisans déçus par les plates-formes concurrentes.

Le géant américain GE veut éliminer plus de 1 000 emplois en France

Le plan social touche surtout la section turbines à gaz de General Electric située dans le Territoire de Belfort.

Antoine Peyratout, directeur général de GE Power France, face à des salariés et des représentants syndicaux qui défendent le maintien en service de leur usine devant le siège de GE à Belfort, le 21 mai 2019.
Antoine Peyratout, directeur général de GE Power France, face à des salariés et des représentants syndicaux qui défendent le maintien en service de leur usine devant le siège de GE à Belfort, le 21 mai 2019. SÉBASTIEN BOZON / AFP

 General Electric (GE) a déclaré, mardi 28 mai, un plan social portant sur l’élimination de 1 050 emplois en France, surtout dans sa section turbines à gaz implantée dans le Territoire de Belfort.

La branche turbines à gaz perdrait près de 800 postes à Belfort et Bourogne (Territoire de Belfort), tandis que 252 emplois seraient éliminer dans les services administratifs hérités des activités énergie d’Alstom rachetées il y a trois ans par GE, selon Karim Matoug, délégué central de la Confédération générale du travail (CGT).

« C’est plus de la moitié des salariés de l’activité gaz […] qui vont perdre leur emploi avec cette annonce », déclarant, dans un communiqué, des élus locaux parmi lesquels figure le maire (LR) de Belfort, Damien Meslot.

Le site de Chonas-l’Amballan, en Isère, qui fabrique des pièces pour turbines à gaz avec ses 30 salariés, serait, lui, vendu.

Renault-Fiat Chrysler : Le ministre de l’économie réclame qu’il n’y ait aucune clôture d’usine en France

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, à Paris le 23 mai.
Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, à Paris le 23 mai. MARTIN BUREAU / AFP
Le ministre de l’économie a sollicité mardi certaines garanties avant une éventuelle fusion entre les fondateurs automobiles.

Il veut demeurer « très vigilant » sur « un certain nombre de garanties ». Bruno Le Maire, a demandé mardi 28 mai sur RTL que le projet de fusion entre les fabricants automobiles Renault et Fiat Chrysler n’entraîne aucune clôture d’usine en France.

Lundi, Renault a enseigné qu’il allait étudier avec intérêt l’ambitieux projet de fusion à 50/50 que lui a exposé le fabricant italo-américain et qui donnerait naissance au troisième constructeur automobile mondial. Un projet qui suscite des interrogations sur l’emploi et l’équilibre des forces dans le nouvel ensemble.

« Rassembler les forces »

« C’est à Jean-Dominique Senard [le président de Renault] de revenir vers moi dans les jours qui suivent, comme j’ai donné mon accord à l’ouverture des négociations, sur les garanties qu’il a pu avoir de la part de Fiat sur l’empreinte industrielle de Renault en France », a déclaré mardi Bruno Le Maire au micro de RTL.

Le ministre a accentué sur le besoin d’avoir des garanties « sur la préservation des emplois et des sites industriels en France ». M. Le Maire a aussi fixé comme autre garantie que la fusion entre Fiat et Renault se fasse dans le cadre de l’alliance avec Nissan et que les intérêts français soient bien évoqués dans la future gouvernance à la tête du nouvel ensemble, même si la collaboration de l’Etat s’en trouverait diluée de moitié, à 7,5 % (contre 15 % maintenant). Bercy espère par ailleurs que le nouveau groupe associe à la commande des futures batteries européennes.

« L’industrie automobile est mesurée à des défis technologiques qui sont les plus importants depuis ceux qu’elle a eu à objecter au début du XXe siècle, a ajouté M. Le Maire. Cela va solliciter des dizaines de milliards d’euros d’investissement, donc il faut fusionner les forces pour faire face à ces investissements. Les entreprises qui survivront seront celles qui auront la capacité d’investir lourdement dans le véhicule autonome, connecté et électrique. »

 

 

Le burn-out reconnu comme maladie

Le symptôme qui retrace l’abattement professionnel lié au stress a rejoint la hiérarchie internationale de l’organisation.

Que le travail puisse rendre souffrant n’est pas une idée récente mais, pour la première fois, l’abattement professionnel lié au stress, le burn-out, est connu comme maladie par la classification internationale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cette liste sert de fondement pour placer les dispositions et les statistiques sanitaires. Elle repose sur les fins d’experts de la santé dans le monde entier et a été adoptée par les Etats membres de l’OMS, réunis depuis le 20 mai, et jusqu’au 28 mai, à Genève dans le cadre de le rassemblement mondiale de l’organisation.

L’échelle des maladies de l’OMS procure un langage commun grâce auquel les professionnels de la santé dominent échangé des informations sanitaires universellement. Le burn-out fait son entrée dans la section employée aux « problèmes associés » à l’emploi ou au chômage.

Nouveau chapitre sur la médecine traditionnelle

Il y est retrace comme « un syndrome (…) consécutif d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès » et qui se définit par trois éléments : « un sentiment d’épuisement », « du cynisme ou des sentiments négatifs liés à son travail » et « une efficacité professionnelle réduite ». Le registre de l’OMS définit que le burn-out « fait précisément référence à des phénomènes relatifs au contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie ».

La nouvelle hiérarchie a été publiquement choisie au cours de cette 72e assemblée mondiale et pénétrera en vigueur le 1er janvier 2022. Le trouble du jeu vidéo a été additionné à la section sur les troubles de la dépendance. La nouvelle classification de l’OMS propose aussi un nouveau chapitre sur la médecine traditionnelle.

Les personnes transgenres sont cependant constamment considérées comme malades, l’« incongruence de genre » passant de la catégorie des troubles mentaux à un nouveau chapitre préposé à la santé sexuelle.

L’image des enseignants dans la société française

La Rochelle - Septembre 2016
La Rochelle – Septembre 2016 XAVIER LEOTY / AFP

Une grande partie d’enseignants dit subir d’une image dévaluée dans la société française. Enquête après enquête, les Français convoquent pourtant leur affection à la figure du professeur. Enquête sur ce paradoxe.

C’est l’histoire d’un trouble. Un désamour perçu par des générations d’enseignants, convaincus que les Français ne les aiment plus et ont une horrible image de leur métier. « Professeur des écoles n’est qu’un titre, sans prestige, désuet, illustre en quelques mots Gaël, un enseignant lyonnais. Nous sommes méprisés par l’opinion, qui ignore royalement la réalité du métier… » Un fait que les recherches auprès des Français sont pourtant loin de réaffirmer.

La question s’est exigée à l’agenda politique : le 25 avril, lors de la conférence de presse de clôture du grand débat national, Emmanuel Macron a protégé l’exigence de « revaloriser ce métier essentiel à la République et à la vie de la nation qu’est l’enseignant, le professeur, le maître ». Une réévaluation qui pourrait notamment passer par une hausse salariale. En février, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, appréciait, lui, que le besoin de reconnaissance des enseignants « est évident ». « On doit répéter, sans cesse, que la société française doit aimer ses professeurs », augmentait-il.

Exception européenne

Mais pour persuader les enseignants, le chantier promet d’être ardu. Cette dépréciation perçue des enseignants pour leur profession est en effet profonde. Elle est unique en Europe. Selon les chiffres de la recherche Talis de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) accomplie tous les cinq ans, 5 % des enseignants français pensent que leur métier est amélioré dans la société, contre 31 % en moyenne sur les trente-cinq pays participants. Seule la Slovaquie arrive derrière la France.

Cette autodépréciation française est confirmée par plusieurs enquêtes depuis les années 2000. Avec à chaque fois ce même constat : si les enseignants ont totalement une haute estime de leur métier, ils le jugent rarement « prestigieux » dans la société française. Une sensation qui se met en place avant même d’entamer la formation d’enseignant. Dans une étude du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) de 2016, un panel d’étudiants de troisième année de licence, dont la moitié envisageait de devenir professeur, classait la profession d’enseignant parmi les moins illustres d’une liste de quinze métiers, juste devant « styliste ». Tout en portant aux nues les métiers de« avocat », « magistrat », ou encore  « ingénieur »

Un projet de d’union entre Fiat Chrysler offert à Renault

Jean-Dominique Senard, président de Renault, à Yokohama, au Japon, en mars.
Jean-Dominique Senard, président de Renault, à Yokohama, au Japon, en mars. Kim Kyung Hoon / REUTERS

Des Maserati et des Clio, des Jeep et des Lada, de gros pick-up Ram et des Renault Espace… le fabricant italo-américain Fiat Chrysler Automobiles (FCA), qui recherchait incurablement un fiancé pour poursuivre son aventure industrielle, semble enfin avoir aperçu son partenaire idéal : le groupe Renault.

Après certains jours de pourparlers, FCA a envoyé, dans la nuit de dimanche 26 à lundi 27 mai, une lettre d’intention non contraignante à Renault, offrant une fusion à 50-50 des deux entreprises. Le but est de fonder le 3e groupe automobile mondial, avec 8,7 millions de voiture vendus annuellement et un chiffre d’affaires de 170 milliards d’euros, « doté d’un portefeuille de marques large et complémentaire offrant une couverture complète du marché, du luxe au grand public », déclare FCA dans un communiqué.

Cet arrangement pourrait même, dans le cadre de l’alliance cultivée par Renault avec Nissan et Mitsubishi, contribuer à former une entité à 15 millions de véhicules, soit, de très loin, le numéro un mondial de l’automobile, devant les groupes Volkswagen et Toyota, qui ont vendu, chacun, un peu plus de 10 millions de voitures en 2018. Les synergies attendues sont de 5 milliards d’euros pour les seuls Renault et FCA. Elles sauraient accéder 10 milliards dans le cadre de l’alliance.

Le conseil d’administration de Renault, invité lundi au matin, devait arrêter de considérer ou non la proposition de FCA. Le choix d’admettre la fusion sera pris lors d’un prochain conseil de Renault convoqué dans une dizaine de jours. En parallèle, FCA a annoncé Nissan (qui n’avait, jusqu’ici, pas été mis dans la confidence) de son intention. Un conseil de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, prévu mercredi 29 mai au Japon, sera l’occasion de tester la réaction des Japonais sur le sujet, même s’il n’est pas, pour le moment, inscrit à l’ordre du jour.

« Potentiel de constituer le premier constructeur mondial  »

Le projet envisage qu’une holding de tête sera créée aux Pays-Bas, détenue à 50 % par chacune des deux entreprises, les sièges des deux fondateurs restant à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et Turin, en Italie. L’exploitation boursière de FCA étant supérieure à celle de Renault, un dividende exceptionnel sera éprouvé aux actionnaires du groupe italo-américain afin de compenser le déséquilibre. Il sera évalué sur la base des valorisations moyennes des six derniers mois des deux sociétés : 15 milliards d’euros pour Renault et 17,5 milliards pour FCA.

Les actionnaires majoritaires de Renault-Fiat-Chrysler seront le groupe Exor (la holding de la famille Agnelli), qui est de 29 % actuellement  pour passer à 14,5 %, l’Etat français, qui ne disposera plus que 7,5 % du capital, contre 15 % actuellement (et perdrait, au passage, ses droits de vote double), et Nissan, qui passe aussi de 15 % à 7,5 %. Dans cette disposition, le président du conseil d’administration de la holding devrait être John Elkann, président d’Exor en tant qu’héritier de la famille Agnelli. Jean-Dominique Senard serait directeur général de la holding.

Cet arrangement pourrait même, dans le cadre de l’alliance accomplie par Renault avec Nissan et Mitsubishi, collaborer à aménager une entité à 15 millions de véhicules, soit, de très loin, le numéro un mondial de l’automobile

Le gouvernement français a été prévenu, vendredi 24 mai, que « des discussions se sont engagées entre les deux constructeurs depuis plusieurs semaines sur une possible association, déclare une source gouvernementale. Ces débats ont été menées par les entreprises sans que l’Etat n’y prenne part, afin de déterminer l’intérêt industriel d’un tel rapprochement ». Bercy « examinera cette proposition avec ouverture, pourchasse cette source, compte tenu de son intérêt industriel et du potentiel de constituer le premier constructeur mondial ».

Mais l’Etat ne validera pas d’accord sans quelques garanties. Il sera d’abord attentif sur les suites d’une fusion en termes d’emploi, de positionnement industrielle et sur ses intérêts patrimoniaux, donc sur le fait de rester un actionnaire en mesure de peser sur les conclusions stratégiques de l’entreprise. Ensuite, le gouvernement français, qui a tenu informés ses homologues japonais, souhaite que ce rapprochement se réalise dans le cadre de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, « dans le but d’en assurer la pérennité et de la renforcer », déclare-t-on du côté du ministère de l’économie.

« Il faut bien sûr voir dans quelles conditions cela va s’accomplir. Il faut qu’elles soient adéquates au développement économique et industriel de Renault et à ses salariés », a déclaré lundi Sibeth Ndiaye sur BFM-TV, la porte-parole du gouvernement. Elle a également estimé qu’un tel projet était susceptible de répondre aux enjeux de souveraineté économique européenne et française. « Des géants se sont construits en dehors de L’Europe, nous avons besoin de géants en Europe », a ajouté la porte-parole.

Nissan verra-t-il d’un bon œil cette décision ?

Car c’est bien là qu’habite le sujet délicat. Le fabriquant français est déjà marié à ses deux associés nippons. Renault détient 43 % de Nissan, lequel possède 15 % de Renault et 34 % de Mitsubishi. Mais cette union bat de l’aile. L’alliance est en crise depuis l’arrestation de Carlos Ghosn au Japon, le 19 novembre 2018, pour malversations financières. Après une phase de soulagement, qui a suivi la nomination de M. Senard en janvier, les relations se sont de nouveau rigides depuis que les Français ont proposé, à la fin d’avril, une fusion capitalistique avec Nissan, dont les Japonais, concentrés sur la rectification de leur groupe, ne veulent pas entendre parler.

Nissan verra-t-il d’un bon œil cette décision de son attisé partenaire ? D’un côté, cela peut adoucir les tensions en dévoyant Renault de son projet initial de resserrement des liens avec Nissan. « Les institutionnels japonais ont pris la nouvelle positivement », déclare un bon connaisseur du dossier. Mais les Japonais ont été complètement mis en dehors du projet FCA et sauraient voir dans ce cavalier seul une marque de défiance.

Malgré cela, tous les témoins semblent d’accord pour reconnaître que l’ensemble de l’industrie a besoin de joindre ses forces pour réaliser l’effort financier colossal rendu essentiel par les évolutions de l’automobile – on parle de 250 milliards d’euros les sept prochaines années. Du côté du gouvernement français, on souligne d’ailleurs sur le fait que, grâce à l’effet de taille du nouvel ensemble, les partenaires seraient « à même de réaliser les investissements étendus rendus nécessaires par le développement de la voiture électrique, des véhicules autonomes et ajustés et des nouveaux usages de l’automobile ».

 

Il faut prévenir les utilisateurs du “coût social” des biens et services offerts

« On pourrait plutôt concevoir une application mobile qui fournirait instantanément le coût social de n’importe quel produit ou service proposé au grand public » (Bouteille avec le logo nutritionnel Nutri-score, système de ­notation des aliments, selon sa qualité nutritionnelle).
« On pourrait plutôt concevoir une application mobile qui fournirait instantanément le coût social de n’importe quel produit ou service proposé au grand public » (Bouteille avec le logo nutritionnel Nutri-score, système de ­notation des aliments, selon sa qualité nutritionnelle). Philippe Turpin / Photononstop

Pour encourager les sociétés à diminuer les inégalités de rémunérations au long de la chaîne de production, un « coût social » pourrait figurer sur l’étiquette à côté du prix d’achat, propose Brian Hill, professeur à HEC.

La différence nous importe. Outre sa place dans l’imaginaire collectif, plusieurs études exposent notre répulsion vis-à-vis de l’inégalité, même au plus jeune âge. Nous sommes même d’ailleurs souvent prêts à payer pour la diminuer. D’où cette énigme : avec de si bonnes actionnions, pourquoi existe-t-il autant de différences dans le monde ?

Bien des raisons ont été présentés pour développer l’abondance des différences et leur accroissement au fil des ans. Bien d’autres choses encore ont été dites concernant leur importance et les dangers potentiels qu’elles exposent. Mais on faillisse souvent l’écart entre le niveau de différence et nos bonnes intentions. Il met pourtant en exergue deux points essentiels.

Clarté du « coût social »

Tout d’abord, si ces différences nous commercent, elles ne sont pas prises en compte dans les prix de marché. C’est ce que les économistes nomment une externalité. De la même façon que certaines firmes salissent sans avoir à reverser de contrepartie, quelques entreprises font de la « pollution sociale » en toute impunité. Un traitement économique classique à cette situation est d’assigner des prix à l’externalité. Une manière simple et proportionnellement peu étudiée d’y parvenir pourrait être d’informer les clients de façon parfaitement transparente du « coût social » des biens et services proposés, afin qu’ils puissent arrêter s’ils acceptent de le payer ou non.

On pourrait amoindrir le ratio entre le salaire horaire le plus bas et le plus augmenté de toutes les personnes engagées dans la production, le financement, la gestion, le transport, le marketing et la vente du produit ou du service

Ultérieurement, même quand les informations sur ces différences relèvent du domaine public, les clients les sollicitent quelquefois avant de passer en caisse. Les économistes ont prouvé qu’au moment de prendre des décisions, nous avons tendance à nous laisser influencer par la présentation des options et des informations qui les conduisent (Système1/Système2 : Les deux vitesses de la pensée, D. Kahneman, Flammarion, 2012). Si davantage de données sur les différences nous étaient fournies lors de l’achat, peut-être consommerions-nous autrement ?

Uber : les conditions de travail des chauffeurs

« Nous avons souhaité aller plus loin et donner l’opportunité à tous de s’exprimer en lançant une consultation nationale des chauffeurs sur les sujets qui leur tiennent à coeur et sans tabou. »
« Nous avons souhaité aller plus loin et donner l’opportunité à tous de s’exprimer en lançant une consultation nationale des chauffeurs sur les sujets qui leur tiennent à coeur et sans tabou. » Philippe Turpin / Photononstop

Le directeur général d’Uber en France, Steve Salom, présente de bâtir un nouveau modèle de dialogue social avec les indépendants œuvrant avec la plate-forme.

Avant, nous n’avons pas constamment assez écouté les chauffeurs et nous avons parfois pris des conclusions rapides qui ont pu être mal vécues. Bien que les 28 000 chauffeurs qui utilisent l’application Uber puissent s’y assembler si, quand et où ils le convoitent, sans exclusivité et pour la durée qu’ils estiment, nous savons que les conclusions prises par Uber peuvent avoir un impact sur leur quotidien.

C’est ainsi depuis deux ans, nous modifions habituellement et dans toute la France avec les chauffeurs. Nous discutons également avec les associations ou syndicats qui nous le demandent dans l’ensemble des villes en France où nous sommes présents.

62 % des chauffeurs désirent se formuler via des tables rondes ou des consultations en ligne, 23 % sont captivés par une reproduction via des chauffeurs utilisant Uber et 7 % par des associations

Cette année, nous avons désiré aller plus loin et donner l’occasion à tous de se dire en lançant une consultation nationale des chauffeurs sur les sujets qui leur tiennent à cœur et sans tabou : leur activité au quotidien, les revenus, leurs problèmes, la protection sociale. Sept mille chauffeurs ont reparti en ligne à une série de questions, et cent quatre-vingts chauffeurs ont collaboré à des tables rondes menées dans leur ville par des adjoints de l’équipe Uber pour aller plus en profondeur sur les sujets.

Ces échanges ne doivent pas demeurer sans suite. C’est la raison pour laquelle, comme première étape, j’ai présenté à un groupe de chauffeurs le 22 mai les résultats de la consultation, résultats que nous avons rendus publics le 23 mai dans un rapport inoccupée en ligne. Nous voulons aussi construire sur le fondement de ces échanges en annonçant des actions concrètes et des reconnaissances parmi lesquels : revoir les tarifs de certains types de courses, lutter plus activement encore contre la fraude, introduire plus de transparence et d’humain dans notre fonctionnement, ou encore mieux accompagner les chauffeurs dans leurs contestables locales (accès aux gares et aux aéroports, amendes, etc.).

Arranger l’humain au cœur de la relation

Comment mieux cloîtrer les chauffeurs dans nos conclusions, tout en tenant en compte la différence de leurs situations individuelles et leur indépendance ? Quelles instances créer pour modifier avec des chauffeurs qui s’organisent plus par groupe Whatsapp ou Facebook qu’en réunion de section ?

Qui sont ces micro-travailleurs « invisibles » ?

Les chercheurs estiment à 260 000 le nombre de micro-travailleurs en France.
Les chercheurs estiment à 260 000 le nombre de micro-travailleurs en France. 
Accomplir une recherche sur le Web. Légender une photo. Transcrire une phrase. Répondre à un questionnaire. Détourer une image… Ces tâches, qui ne sollicitent qu’une poignée de secondes ou de minutes, réalisées sur ordinateur ou smartphone, apportent quelques centimes, voire quelques euros à ceux qui les réalisent. Eux, ce sont les « micro-travailleurs », selon la terminologie utilisée par les créateurs de la première grande étude française à leur être employée, diffusée vendredi 24 mai.

Sous la direction d’Antonio Casilli et Paola Tubaro, au même temps chercheurs à Télécom ParisTech et au CNRS, cette recherche dresse le profil d’une activité professionnelle encore méconnue, « moins visible que les chauffeurs Uber ou les livreurs de Deliveroo » et pourtant grandissante.

Des micro-tâches pendant le footing

Ni freelances ni travailleurs « uberisés », ces laborieux du clic, comme on les appelle parfois, se branchent à des plates-formes spécialisées dans le micro-travail, qui leur fournissent des tâches à accomplir, arrangées par un client. Ils seraient, selon les auteurs de cette étude, plus de 260 000 en France, plus ou moins actifs – un chiffre jugé excessif par d’autres chercheurs.

Quel est leur profil ? Des femmes, en plupart : 56,1 %, selon un questionnaire auquel ont répondu un millier de micro-travailleurs de la plate-forme Foule Factory. Une partie élevée a entre 25 et 44 ans (63,4 %), alors que les moins de 25 ans sont assez peu présents. Le micro-travail « semble propre à une population en âge actif, qui a fini ses études », décarent les chercheurs. « Il est étonnant de constater la part importante de micro-travailleurs qui ont un emploi stable en parallèle », ajoutent-il. « 40 % des personnes enquêtées sur la plate-forme Foule Factory ont un CDI, et 71 % d’entre elles travaillent à temps plein ». 51 % des personnes consultées appartiennent aux catégories populaires (selon la définition de l’Observatoire des inégalités) et 22 % vivent sous le seuil de pauvreté.

Les buts et les pratiques diffèrent d’un micro-travailleur à l’autre. Les chercheurs rappellent l’exemple d’une femme micro-travaillant le soir devant la télévision ou pendant sa pause déjeuner au travail, pour prévoir toucher jusqu’à 100 euros les bons mois (les chercheurs évoquent une « triple journée » pour les femmes qui œuvrent, micro-travaillent et s’occupent des tâches ménagères).

Ou celui d’un homme en situation de handicap, en nullité professionnelle, qui complète ainsi sa pension. Un autre homme raconte quant à lui effectuer ces micro-tâches dans le but de financer une allant à son enfant. Lui trouve le temps de les faire pendant son footing : les plates-formes demandent parfois de se rendre dans un commerce précis, pour prendre des produits en photo par exemple. Les missions qui lui sont octroyées influent sur le parcours de sa course.

Combien de temps cela leur prend-il ? La moitié des personnes consultées consacrent moins de 3 heures par semaine au micro-travail. Mais cela peut élever à 20, voire 60 heures par semaine pour d’autres, ce qui développe l’énorme disparité des revenus mensuels : « entre quelques centimes et, dans des cas vraiment exceptionnels, 2 000 euros ». La moyenne demeure seulement très faible avec 21 euros par mois.

Demande sur l’éthique de certaines tâches

Les clauses entourant ce travail n’ont rien à voir avec celles d’un emploi traditionnel, développent les auteurs de l’étude :

« Le micro-travail au caractère d’être, de façon générale, invisible, accompli à la maison, et dirigé par des formes de contrats diverses : un simple “accord de participation”, voire la seule adhésion aux conditions générales d’utilisation de la plate-forme peuvent faire office de contrat. »

Le tout, dans une grande opacité : en général, les laborieux ne savent pas pour le compte de qui ils travaillent, ni même quelle est la fin des micro-tâches qu’ils accomplissent. « Ceux-ci s’interrogent parfois sur l’éthique de certaines tâches qu’ils effectuent. » L’étude donne l’exemple d’une tâche étonnante citée par plusieurs micro-travailleurs interrogés, consistant à jouer à une sorte de jeu vidéo :

« Dans ce jeu, les micro-travailleurs nécessitent s’orienter “vers les personnages aux prénoms d’origine FRANÇAISE en appuyant sur la touche AVANCER” et s’éloigner de ceux “aux prénoms d’origine MAGHREBINE en appuyant sur la touche RECULER” (sic). La tâche se présente comme une étude universitaire, mais excite la méfiance de certains travailleurs : est-ce une expérience psychologique pour mesurer les préjugés des Français, ou bien la simulation d’un jeu vidéo de propagande anti-immigrés ? »

D’autre part, même si elles ne sont pas continuellement présentées comme telles, beaucoup de micro-tâches contribuent en fait à améliorer des systèmes d’intelligence artificielle (IA). Car pour fonctionner, ces technologies doivent être « nourries » par d’énormes bases de données engendrées par des humains, à partir desquelles elles « apprennent ».

« [Les micro-travailleurs ] apprennent aux dispositifs de reconnaissance vocale ou visuelle à interpréter des sons et des images. Ils nettoient les données et les enrichissent pour qu’elles puissent être utilisées dans l’apprentissage profond. Ils retranscrivent des textes à partir d’images floues ou de mauvaise qualité. »

Les auteurs du rapport précisent que dans certains cas, il arrive même que des humains soient payés… pour se faire passer pour un système d’intelligence artificielle. Des entreprises proposant par exemple des IA censées effectuer des prises de rendez-vous emploient en fait des humains pour faire ce travail, et ainsi nourrir des bases de données, afin qu’une machine soit par la suite capable de les imiter.

Des laborieux isolés

S’ils peignent « un atout essentiel pour innover », ces travailleurs sont souvent « invisibles pour les clients, pour la plate-forme et bien souvent pour les autres micro-travailleurs », développent les chercheurs. Ils sont habituellement dans l’incapacité de communiquer avec les clients pour qui ils effectuent les tâches, et sont parfois sanctionnés sans éclaircissement. Par exemple, si un client ne valide pas la micro-tâche, le laborieux n’est pas rémunéré, et ne peut pas démentir. D’autres se voient bannis sans justification.

Les micro-travailleurs sont aussi mis en compétition les uns avec les autres, poussés à se jeter les premiers sur une tâche rentable avant que les autres ne s’en enlèvent, et souvent comparés sur les plates-formes par un score. Par ailleurs, ces laborieux sont souvent isolés. Si certaines plates-formes proposent des lieux d’échange, proportionnellement limités, ce n’est pas le cas de toutes. Or, développent les chercheurs, « l’isolement empêche, entre autres choses, le partage d’expériences communes, ainsi qu’une réflexion conjointe sur ce qui pourrait, ou devrait être, le micro-travail : l’individu n’a aucune prise sur son environnement de travail ».

Les auteurs encouragent donc les pouvoirs publics, les syndicats et les entreprises à se pencher sur le micro-travail, et « son système de rétribution peu ou pas normé et contrôlé ».

« Comment réguler cette nouvelle force de travail et affermir sa protection sociale parfois inexistante ? (…) La protection de l’emploi est une caractéristique des politiques publiques françaises et s’inscrit dans une tradition de longue date. A à rebours de ces dispositifs qui protègent les salariés, le micro-travail se situe à la marge de l’emploi formel, alors même qu’il est au cœur des processus d’innovation dans de nombreuses industries et secteurs d’activités. »