La robotisation va-t-elle faire disparaître des emplois, ou bien en créer ? Pour Stefano Scarpetta, directeur à l’OCDE, elle met surtout les sociétés au défi d’adapter leur scolarité et développer la formation.
Propos recueillis par Nicolas LepeltierPublié aujourd’hui à 16h09, mis à jour à 16h39
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Selon le dernier rapport annuel sur les perspectives de l’emploi de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publié le 25 avril, 14 % des emplois dans les pays de l’OCDE sont susceptibles de disparaître (16,4 % en France) et 32 % pourraient être profondément transformés (32,8 % en France) avec l’automatisation des tâches et la multiplication des machines dans le monde du travail au cours des vingt prochaines années.
Stefano Scarpetta, directeur de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, estime qu’il est urgent d’adapter le système scolaire aux nouvelles réalités, et de donner aux travailleurs des occasions de développer de nouvelles compétences par la formation tout au long de leur vie professionnelle.
Certains jobs vont disparaître, d’autres vont changer de façon importante. En même temps, la technologie numérique va créer de nouvelles opportunités d’emploi, dans les hautes technologies notamment, en complément de ce que les machines pourront accomplir à l’avenir. C’est pourquoi nous pensons, à l’OCDE, qu’il y aura plus de changements de nature des tâches que de pertes sèches d’emplois. Nous ne sommes pas inquiets par la perspective de ce qu’on appelle « un chômage technologique de masse ».
Nous craignons davantage une forte augmentation des inégalités sur le marché du travail entre les personnes qui ont les compétences pour saisir ces nouvelles opportunités, et d’autres, faiblement qualifiées, qui ont des compétences limitées pour répondre aux évolutions de l’emploi qu’elles occupent et qui resteront cantonnées dans des fonctions peu intéressantes et mal payées.
Quels secteurs d’activité sont les plus concernés par la robotisation ? Et pour quels types d’emplois ?
Presque tous les secteurs sont concernés : principalement la manufacture, car c’est un secteur où les tâches sont répétitives ; l’agriculture également est en train de changer de façon assez spectaculaire, car, même s’il y a peu d’emplois, de plus en plus de tâches sont réalisées avec le soutien de la technologie numérique.
Il n’y a plus d’avenir pour la société WN, qui avait repris 182 salariés de l’usine Whirlpool d’Amiens (sur 282) après sa fermeture le 1er juin 2018 due à la délocalisation de sa production de sèche-linge en Pologne. Ce mardi 30 juillet, le tribunal de commerce de la capitale picarde a prononcé la liquidation de WN. En quatorze mois, WN avait enregistré un peu moins de 300 000 euros de chiffre d’affaires et 5 millions d’euros de dettes, selon des sources proches du dossier.
Le tribunal a validé, dans le même temps, la cession partielle de WN pour 6 euros symboliques à Ageco Agencement, une société d’aménagement en mobilier de magasins, créée en 2012 et déjà implantée sur le site, avec 52 salariés. Ceux-ci seront rejoints, dès le 19 août, par 44 ex-salariés de WN. Les 138 autres seront licenciés. « Vivre deux licenciements en un peu plus d’un an, ça fait très mal, souligne Antonio, un ancien délégué CGT de Whirlpool. Vingt personnes sont en arrêt maladie. Une cellule psychologique a été mise en place » par l’Etat en juillet, associée à Pôle emploi.
En septembre 2017, alors que Whirlpool avait déjà annoncé la fermeture de l’usine le 1er juin 2018, WN était apparu comme le sauveur, choisi par le géant américain de l’électroménager, propriétaire du site. Il indiquait avoir signé un accord avec l’industriel picard Nicolas Decayeux, le patron de WN et président du Medef de la Somme. Soulagés, les représentants syndicaux de Whirlpool avaient approuvé cette solution à l’unanimité. En octobre 2017, le président de la République Emmanuel Macron était venu apporter son soutien sans faille au projet.
Le président Emmanuel Macron visite l’usine Whirlpool d’Amiens, le 3 octobre 2017. PHILIPPE WOJAZER / AFP
WN devait produire, notamment, des casiers réfrigérés connectés, appelés Shopping box, activité que reprendrait Ageco, qui a obtenu deux prêts de 1,7 million d’euros chacun de la part de l’Etat et de la région des Hauts-de-France. Ces box sont des boîtes métalliques dans lesquelles des livreurs déposent les commandes des clients qui viendraient ensuite les y retirer. Clin d’œil de cette histoire : Ageco Agencement commencera par rapatrier en France la partie de son activité « mobilier métal » sous-traitée jusqu’à présent en Pologne. Lors de l’audience, les dirigeants d’Ageco ont estimé que « les salariés sont compétents et que leur entreprise peut être compétitive », rapporte Daniel Valdman, administrateur judiciaire de WN.
La société n’a produit que quelques casiers et des pylônes pour ascenseurs. « On avait alerté le préfet de la Somme de l’époque sur l’inactivité du site dès octobre 2018, mais il est parti sans rien faire », déplore Antonio.
Tardivement, l’Etat a fini par réagir. Le 28 mai 2019, la préfète de la Somme, Muriel Nguyen, commandite un rapport qui révèle « une impasse de trésorerie très importante ». En clair, la caisse est presque vide. Pour elle, « la priorité, désormais, est de reclasser » les salariés. Un plan social se profile donc. Déjà, en mai, le régime de garantie des salaires (AGS) avait dû régler les paies des employés, la mise en redressement judiciaire intervenant le 3 juin. Elle paiera aussi celles de juillet.
« Qu’a fait Decayeux avec tout cet argent ? »
Pourtant, WN avait été bien dotée lors de la reprise : une subvention de 7,4 millions de Whirlpool et une de 2,5 millions de l’Etat. La région des Hauts-de-France avait payé 300 000 euros pour la formation. De quoi rassurer les salariés…
« Qu’a fait Decayeux avec tout cet argent ? », s’interrogent les salariés. Percevant leurs « interrogations », leurs « soupçons » lors de sa venue le 18 juillet, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie, a commandité un audit sur les comptes de Wn, réalisé du 22 au 24 juillet par KPMG. Le rapport, présenté aux salariés jeudi 25 juillet et qui sera transmis au procureur en vue d’éventuelles poursuites, n’a calmé personne.
Sur 12 millions de recettes entre juillet 2017 et juin 2019, 5,3 millions ont payé les salaires, 4,8 les investissements et 1,8 les frais d’exploitation. Toutefois, des dépenses « à hauteur de 179 000 euros suscitent des interrogations quant à (…) leur lien avec l’intérêt social d’une entreprise en création », indique Bercy dans un communiqué. Il s’agit notamment, selon l’AFP, de location de logements, de voitures, d’une loge dans un stade de foot. « Les salariés sont super en colère et dégoûtés de voir que Decayeux a profité de cet argent », dénonce encore Antonio. M. Decayeux n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.
L’expert prend la précaution, dans son rapport, d’indiquer que ses travaux « ont porté sur la comptabilité et les pièces justificatives, et pas sur l’opportunité des dépenses engagées ». « C’est consternant de voir que l’audit n’a pas été chargé de vérifier si les dépenses même justifiées par des factures correspondaient bien aux besoins de l’activité de WN ! », déplore Fiodor Rilov, l’avocat des salariés de WN.
« WN a en réalité permis à Whirlpool de se débarrasser d’un conflit social, par le biais d’une reprise sans projet sérieux »
Ces derniers ont demandé à leur avocat une expertise des comptes menée par un cabinet indépendant. Pour Me Rilov, « WN a en réalité permis à Whirlpool de se débarrasser d’un conflit social, par le biais d’une reprise sans projet sérieux ». Pour tenter de le démontrer, il a assigné devant le tribunal de grande instance d’Amiens WN et Whirlpool, afin d’obtenir divers documents : plan d’affaire de WN, contrat de cession entre Whirlpool et WN ainsi que les correspondances entre les deux entreprises et les ministères concernés et l’Elysée. L’audience est prévue le 11 septembre.
Sur France Bleu Picardie, vendredi 26 juillet, M. Decayeux a livré sa version des faits. Embaucher dès le début 182 salariés, « ce n’était pas mon projet initial [qui était de] recruter 50 personnes, a-t-il dit. Mais on m’a très vite demandé de monter un projet pour 180 personnes. »« C’était une opération d’image pour Whirlpool et M. Macron, faite sur le dos des salariés », affirme leur avocat.
Le néerlandais Takeaway.com rachète le britannique Just Eat pour contrer Deliveroo et Uber. Les deux sociétés combinées affichent une valorisation boursière de près de 10 milliards d’euros.
Dans la course à la livraison de repas, un concurrent vient de quitter la piste : le britannique Just Eat. Il a annoncé, lundi 29 juillet, son rachat par son rival néerlandais Takeaway.com. Les deux sociétés combinées affichent une valorisation boursière estimée à près de 10 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires proche du milliard d’euros.
Ce montant illustre, à lui seul, l’appétit croissant des investisseurs pour ce secteur en pleine consolidation. « Sur ce marché fou, des acteurs récents lèvent des sommes colossales comme Uber Eats et Deliveroo. Just Eat et Takeaway.com ont réagi à cette concurrence en fusionnant », affirme Sébastien Forest, fondateur d’Allo Resto, pionnier du marché français créé en 1998 et racheté par Just Eat en 2012.
Lors de sa dernière levée de fonds, en mai, le britannique Deliveroo a récolté 575 millions d’euros. Avec cette opération, le montant total collecté par l’entreprise fondée en 2013 atteint 1,53 milliard de dollars (1,37 milliard d’euros). Surtout, le nouveau tour de table était mené par le géant de l’e-commerce Amazon. La société fondée par Jeff Bezos avait lancé son propre service Amazon Restaurants en Grande-Bretagne avant de jeter l’éponge, fin 2018. Ses nouvelles ambitions restent toutefois soumises au feu vert de l’autorité de la concurrence britannique.
Amazon n’est pas le seul géant du Web à vouloir croquer une part du marché de la livraison de repas. Uber met les bouchées doubles avec son service Uber Eats, force de frappe financière à l’appui. De quoi mettre la pression pour imposer sa marque dans l’esprit du consommateur.
Uber Eats, qui a fait ses débuts en France en 2016, a choisi de miser plus de 30 millions d’euros pour être sponsor titre de la Ligue 1 de football pendant deux ans, poussant Conforama sur le banc de touche. Il a également décidé de s’afficher sur le maillot de l’Olympique de Marseille pour trois saisons.
Adapter l’offre
Face à cette concurrence redoublée, les start-up de la livraison de repas sont confrontées au dilemme : grossir, être mangées ou disparaître. Déjà certains pionniers ont été rayés de la carte, comme le belge Take Eat Easy. D’autres ont coupé ou cédé des pans entiers d’activité. A l’exemple de l’allemand Delivery Hero, qui a purement et simplement liquidé sa filiale française Foodora à l’été 2018 avant de céder son activité britannique à Just Eat et son pilier allemand à Takeaway.com pour 930 millions d’euros.
Les investisseurs qui misent des dizaines, voire des centaines de millions dans les start-up du secteur se grisent des prévisions de croissance du marché
Delivery Hero poursuit sa route dans les pays en voie de développement. Pour sa part, l’américain DoorDash, qui a levé 600 millions de dollars au mois de mai, se consacre à la conquête des Etats-Unis face à Grubhub ou Postmates.
C’est dans ce contexte que Just Eat et Takeaway.com ont décidé de faire cause commune. A l’issue de cette OPA à 5 milliards de livres (5,5 milliards d’euros), le nouvel ensemble sera détenu à 52 % par les actionnaires de Just Eat, siégera à Amsterdam et sera dirigé par Jitse Groen, fondateur et patron de Takeaway.com.
Les investisseurs qui misent des dizaines, voire des centaines de millions dans ces start-up se grisent des prévisions de croissance du marché. Pourtant, la plupart de ces entreprises ne dégagent aucun bénéfice. Just Eat fait partie des exceptions. Initialement, à l’image d’Allo Resto, le service consistait en une mise en relation entre clients et restaurateurs, sans service de livraison. Un exercice bénéficiaire. Même si Just Eat a dû, à son tour, évoluer vers la livraison.
Chaque entreprise s’efforce en effet d’adapter son offre pour réduire ses pertes, conquérir les clients et séduire les restaurants. En particulier les chaînes de restauration rapide telles que McDonald’s ou Starbucks, prêtes à nouer des partenariats. Mais le modèle économique de ces sociétés a une autre fragilité, et de taille : le statut des livreurs fait l’objet d’âpres batailles juridiques. Les cyclistes ne veulent pas être la dernière roue du carrosse des start-up de livraison.
Syndicalistes ou inspecteurs du travail, ceux qui ont stoppé la « machine infernale » à France Télécom sont affaiblis par les réformes du code du travail, plaide, dans une tribune au « Monde », Sophie Taillé-Polian, sénatrice (Génération.s) du Val-de-Marne.
Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h47Temps de Lecture 4 min.
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L’ancien PDG de France Télécom Didier Lombard lors du procès de l’entreprise à Paris, le 4 juillet 2019. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Tribune. Le procès des anciens dirigeants de France Télécom qui s’est achevé le 11 juillet [le jugement doit être rendu le 20 décembre] a mis en lumière les conséquences dramatiques d’une politique d’entreprise tournée uniquement vers le profit des actionnaires. Le premier constat que l’on peut en tirer est celui de l’inadéquation des outils de détection à la réalité des risques professionnels. Le second est que ceux qui ont permis à la machine infernale enclenchée par la direction de France Télécom de s’arrêter ont été, depuis, considérablement affaiblis par les réformes du code du travail des trois dernières années.
Pas moins de 19 suicides ont été comptabilisés et 39 personnes ont été reconnues comme victimes au total. Les dommages sont évidemment bien plus étendus. On ne saura pourtant jamais avec précision combien a coûté en souffrances et en vies humaines le plan « Next » qui, au début des années 2000, visait à faire partir en moins de trois ans 22 000 salariés sur 120 000. En effet, les règles actuelles permettent d’occulter une très grande part des atteintes à la santé qui sont le fait du travail, plus particulièrement les troubles psychosociaux. Par exemple, la reconnaissance d’une dépression à caractère professionnel est aujourd’hui un véritable parcours du combattant.
Alors, combien de pathologies déclenchées ou aggravées par l’exposition au stress chronique ? Il est urgent de rendre effective la possibilité de faire reconnaître ces atteintes à la santé relevant du travail, afin de permettre la prise en charge et la réparation pour les victimes et, surtout, afin de responsabiliser davantage les employeurs. Le procès France Télécom nous a permis de penser ces vies brisées et d’en parler. Mais il nous faut aussi également parler des vies « sauvées ». Sauvées par qui ?
Sauvées par des agents d’abord, qui ont soutenu leurs collègues, solidaires malgré l’effrayant dispositif mis en œuvre pour diviser les collectifs de travail. L’appui des collègues est une protection qui a permis à de nombreux agents de tenir ou de ne pas sombrer.
Sauvées par certains manageurs, ensuite, qui ont résisté autant qu’ils le pouvaient aux injonctions de leur hiérarchie pour faire partir « par la porte ou par la fenêtre » les salariés, malgré la peur, malgré les primes offertes à qui obtiendrait le plus de départs… Ceux-là nous rappellent qu’il ne faut jamais céder à la « banalité du mal ».
Dans une tribune au « Monde », l’avocat Jean-Paul Tran Thiet fustige la réaction corporatiste des instances représentatives de sa profession à la réforme des retraites mise en œuvre par le gouvernement.
Publié aujourd’hui à 06h00Temps de Lecture 3 min.
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Tribune. Le Conseil national des barreaux (CNB), s’érigeant en porte-parole des avocats de France et s’appuyant sur le soutien affiché de la bâtonnière de Paris, proclame son opposition à la réforme des retraites et appelle à une mobilisation nationale de tous les avocats, le 16 septembre. Il prétend même prendre « la tête de la fronde des indépendants » contre l’unification des régimes et la mise sur un pied d’égalité de tous les bénéficiaires (la même retraite pour tous, pour chaque euro cotisé).
On a connu des avocats mieux inspirés, plus généreux et moins corporatistes. Comme beaucoup de mes confrères, je ne me reconnais pas dans ce conservatisme et dans cet égoïsme.
Car de quoi s’agit-il ? Voici une profession qui, depuis quelques décennies, a bénéficié d’une évolution démographique favorable. Beaucoup de jeunes l’ont rejointe et les départs à la retraite y sont plus tardifs que dans certaines autres activités. Sur cette base, le régime autonome de nos retraites, la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), a accumulé des réserves significatives. Ces réserves, largement sécurisées par des augmentations importantes de cotisations, introduites il y a quelques années, seront peut-être suffisantes ou ne le seront pas pour faire face aux évolutions démographiques de notre profession, au cours des décennies qui viennent. Mais là n’est pas le sujet.
Le sujet, c’est le refus, catégorique et fort mal argumenté, opposé à une réforme qui va dans le sens de plus d’équité, par ceux qui sont perçus – souvent à bon droit – comme les défenseurs des valeurs humanistes et républicaines.
Intérêts pécuniaires
La suppression progressive des inégalités entre les pensions publiques et les retraites privées (notamment s’agissant des régimes spéciaux dont le caractère injuste et coûteux pour les contribuables a été récemment dénoncé par la Cour des comptes) ?… Une « réforme inacceptable », dit le CNB.
La création d’une solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle ? Le relèvement de la retraite minimale pour les plus défavorisés (85 % du smic net, alors que bon nombre d’indépendants en touchent aujourd’hui moins de 70 %) ?… On n’en veut pas, on a déjà notre propre système de péréquation, répliquent nos organisations professionnelles.
La Fédération nationale des unions de jeunes avocats (Fnuja), qui a pourtant l’habitude de brandir les valeurs de l’avocat, son rôle social et son désintéressement, enfourche la même monture et dénonce l’atteinte portée à notre fonction et à notre passion de la défense. Celle de nos intérêts pécuniaires, en l’occurrence, mais ne faisons pas le détail…
Le gouvernement d’Angela Merkel pourrait présenter un projet de loi contraignant à davantage de responsabilité éthique les groupes outre-Rhin ayant une activité à l’étranger.
Cela aura été laborieux, mais le gouvernement allemand vient de franchir une nouvelle étape dans son projet visant à inciter les entreprises à plus de vigilance en matière de droits humains, voire à les y contraindre si nécessaire. Mandaté par Berlin, un consortium privé dirigé par le cabinet d’audit EY a commencé, lundi 29 juillet, à envoyer des questionnaires à 1 800 entreprises allemandes de plus de 500 salariés, à propos des contrôles qu’elles ont mis en œuvre pour garantir le respect des droits de l’homme chez leurs fournisseurs, sous-traitants et filiales à l’étranger. Les destinataires du questionnaire, long de 30 pages, ont été choisis de manière à bâtir un échantillon représentatif des quelque 7 100 sociétés allemandes répondant à ce critère de taille.
En fonction des résultats de l’enquête, attendus au plus tard pour l’été 2020, le gouvernement avisera. Si plus de la moitié des entreprises sondées se montrent suffisamment attentives en matière de droits sociaux et environnementaux chez leurs partenaires commerciaux dans les pays en développement, alors Berlin ne changera pas la législation actuelle. Mais, dans le cas contraire, le gouvernement d’Angela Merkel s’est d’ores et déjà engagé à présenter un projet de loi contraignant, s’inspirant de dispositifs récemment introduits en France et au Royaume-Uni. « Si les engagements volontaires ne suffisent pas, alors le gouvernement allemand introduira des mesures législatives », a prévenu Gerd Müller, le ministre du développement.
Succession d’enquêtes
Alors qu’en France, l’Assemblée nationale adoptait dès février 2017 une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères, l’Allemagne continue de privilégier jusqu’à présent la voie de l’autodiscipline. Lancé par le gouvernement en décembre 2016, le Plan d’action national pour l’économie et les droits de l’homme, dont font partie les questionnaires, en est encore à la phase exploratoire.
Mais une succession d’enquêtes a mis en lumière la passivité, en l’absence de contrôles des autorités publiques, des multinationales allemandes face à de graves violations de droits de l’homme à l’étranger. En juin 2017, un rapport des organisations non gouvernementales Germanwatch et Misereor épinglait, entre autres, Siemens, l’énergéticien EnBW ou encore KfW, une banque publique d’investissement, pour leur manque de responsabilité sociale et environnementale dans divers projets au Honduras, en Colombie, au Mexique ou au Kenya.
Le décret mettant en oeuvre la réforme présentée par le gouvernement en juin a été publié dimanche.
Le Monde avec AFPPublié aujourd’hui à 09h43
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Les nouvelles règles d’indemnisation de l’assurance chômage entreront en vigueur à partir du 1er novembre 2019. PASCAL GUYOT / AFP
Le ministère du travail a publié dimanche 28 juillet au Journal officielle décret mettant en oeuvre la réforme vaste – et contestée – de l’assurance chômage, annoncée par le gouvernement le 18 juin. Ce texte de six articles comprend surtout une annexe de 190 pages qui constitue le nouveau règlement de l’assurance chômage. Il entrera en vigueur en partie au 1er novembre.
Pour ouvrir des droits à indemnisation, il faudra avoir travaillé six mois (soit 130 jours ou 910 heures) sur les 24 derniers mois. Aujourd’hui, cette condition est de quatre mois sur les 28 derniers. Une exception : pour les plus de 53 ans, la période de référence restera de 36 mois.
La durée minimale d’indemnisation passe aussi de quatre à six mois. La durée maximale reste de deux ans pour les moins de 53 ans, deux ans et demi pour les 53-55 ans, trois ans pour les plus de 55 ans.
Le seuil permettant un rechargement des droits, lorsqu’on travaille pendant sa période de chômage, sera également de six mois (910 heures) contre un mois (150 heures) aujourd’hui.
Une allocation mensuelle plus faible pour ceux qui travaillent de manière fractionnée
Actuellement, la durée d’indemnisation est calculée sur le nombre de jours travaillés pendant la période de référence (multipliés par 1,4 pour obtenir des jours calendaires). Au 1er novembre, cette durée sera égale au nombre de jours calendaires, travaillés ou non, à partir du premier jour d’emploi pendant la période de référence jusqu’au terme de celle-ci.
Conséquence, les personnes qui ont travaillé de manière fractionnée pendant leur période d’affiliation (en alternant CDD courts et inactivité) auront une indemnisation potentiellement plus longue mais aussi d’un montant mensuel plus faible.
En effet, à partir du 1er avril, le « salaire journalier de référence », base de calcul de l’allocation chômage, sera obtenu en divisant les salaires de la période de référence par l’ensemble des jours à partir du premier jour d’emploi, et non plus les seuls jours travaillés.
Pour un même travail, ce salaire journalier sera donc désormais identique entre une personne ayant travaillé en continu et une personne ayant alterné contrats courts et inactivité, alors qu’il était jusqu’ici plus favorable à la deuxième. « A travail égal, allocation égale », selon le gouvernement. Selon le gouvernement, l’allocation chômage sera toujours comprise entre 65 et 96 % du salaire net mensuel moyen de la période de référence.
Dégressivité pour les hauts revenus
Les salariés qui avaient un revenu du travail supérieur à 4 500 euros brut par mois verront leur indemnisation réduite de 30 % au début du 7e mois d’indemnisation, avec un plancher à 2 261 euros net.
Les salariés âgés de 57 ans ou plus ne seront pas concernés par la mesure. Le plafond de l’indemnisation maximale restera de 6 615 euros net.
Des droits pour les démissionnaires et indépendants
Promesse de campagne du candidat Macron, l’indemnisation sera ouverte aux démissionnaires ayant travaillé dans la même entreprise au cours des cinq dernières années. Elle sera conditionnée à « un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou un projet de création ou de reprise d’une entreprise ».
Ce projet sera évalué par « la commission paritaire interprofessionnelle » (qui succède aux Fongecif) de la région du salarié qui jugera notamment de la « cohérence du projet de reconversion », la « disponibilité et la pertinence de la formation identifiée, la pertinence des modalités de financement envisagées ». En cas d’acceptation, le salarié aura six mois pour déposer une demande d’allocation de chômage.
Les indépendants bénéficieront eux d’une allocation forfaitaire (800 euros par mois pendant six mois) en cas de liquidation judiciaire. L’activité professionnelle devra avoir généré un revenu minimum de 10.000 euros par an sur les deux dernières années avant la liquidation.
Un système de « bonus-malus »
Un système de « bonus-malus » est créé sur la cotisation d’assurance chômage payée par les entreprises dans sept secteurs grands consommateurs de contrats courts et d’intérim (hébergement-restauration, agroalimentaire, transports…). Il prévoit d’augmenter les cotisations des entreprises où la main-d’œuvre tourne fréquemment et de diminuer celles des employeurs dont le personnel est stable.
« On devient dirigeant par le prestige (en partageant son savoir-faire, ses compétences) ou par la domination (en s’imposant par l’intimidation, par la coercition ou la peur). Diriger en dominant est commun au règne animal » Photo : Jack Ma, fondateur du groupe Alibaba lors d’une présentation à Bangkok de son entreprise en octobre 2016. DPA / Photononstop
Tribune. L’ex-ministre de la transition écologique et solidaire François de Rugy aura démissionné pour rien : ses dîners étaient aussi professionnels que nécessaires pour tenir son rang de président de l’Assemblée nationale (on ne l’imaginerait tout de même pas commander des plateaux-repas pour ses visiteurs !). Les dépenses pour le logement de fonction étaient aussi justifiées. La pression publique l’aura emporté sur les faits.
Etonnamment, on n’a pas plus évoqué, même au Parlement européen, le CV approximatif de Ursula Von der Leyen qui fit scandale en 2015. On n’a pas évoqué non plus l’implication pour négligence de la future présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, dans l’affaire Tapie. A l’époque non plus, elles ne furent pas inquiétées. Ici, la compétence a pris le dessus face à des « fautes » ambiguës. Là-bas, non.
Selon les cas, la carrière de certains dirigeants s’arrête net pour des écarts qu’on pardonne à d’autres. Lorsque, en 2009, deux candidats de Barack Obama aux postes de secrétaire au Trésor et à la santé furent mis sur la sellette pour des oublis dans leurs impôts, personne ne comprit pourquoi l’un fut nommé (Timothy Geithner) tandis que l’autre (Tom Daschle) dut se retirer.
Diriger par le prestige est, en revanche, unique à l’homme : une communauté survit mieux en organisant efficacement la diffusion des compétences du plus brillant individu, c’est-à-dire en lui donnant le pouvoir. Les dirigeants populistes, agressifs, à l’éthique douteuse sont un exemple de la voie « domination » pour arriver au pouvoir. Elle a du succès quand les électeurs ont le sentiment de ne plus avoir leur destin en main, en période d’incertitude (mutation technologique, mondialisation). Ils préfèrent un profil autoritaire qui décide pour eux, d’après une expérience menée en 2017 (When the appeal of a dominant leader is greater than a prestige leader Hemant Kakkar and Niro Sivanathan, PNAS, 2017 11).
Kamel Guemari avait pris la tête du combat des employés d’un fast-food menacé de fermeture. Son licenciement a été refusé par l’inspection du travail.
Le Monde avec AFPPublié le 27 juillet 2019 à 01h41
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Leader du combat des employés d’un McDonald’s des quartiers Nord de Marseille pour sauver leurs emplois, Kamel Guemari peut poursuivre sa lutte : l’inspection du travail a refusé le licenciement de ce salarié protégé, dans une décision transmise à l’intéressé vendredi 26 juillet.
« La sauvegarde de la compétitivité en tant que motif économique n’est pas établie » et « l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de reclassement » de M. Guemari, délégué du personnel FO, estime l’inspection du travail, dans un courrier daté de mardi.
Car ce sont bien les mandats syndicaux de ce salarié, arrivé dans ce McDo en 1998, à 16 ans, et devenu sous-directeur, qui sont le motif réel du licenciement demandé par Jean-Pierre Brochiero, le franchisé à la tête de ce fast-food marseillais, selon l’inspection du travail : « Le lien entre la demande d’autorisation de licenciement et l’exercice des mandats de monsieur Kamel Guemari est établi », conclut le courrier.
Un projet d’« halal asiatique »
Désireux de céder ses six McDonald’s à Marseille, M. Brochiero en a définitivement cédé cinq en septembre, à un autre franchisé. Quant à celui de Saint-Barthélémy, il veut d’abord le vendre à Hali Food, une société tunisienne inconnue. Objectif : faire du halal « asiatique ». Mais ce projet est retoqué par le juge des référés du TGI de Marseille, le 7 septembre, ne présentant aucune viabilité « à brève et moyenne échéance ».
Contraint de rester à la tête de ce restaurant, M. Brochiero présente en mai un plan de licenciement de sept salariés, dont Kamel Guemari. La seule solution selon lui pour réduire la masse salariale de 400 000 euros et rendre viable un restaurant qui aurait affiché 992 000 euros de pertes en 2018, après 3,3 millions d’euros évaporés depuis 2009.
Les salariés dénoncent eux « une faillite organisée » : « rien n’a été fait pour augmenter le chiffre d’affaires », accusait Kamel Guemari, en juin, auprès de l’AFP : « Pas de deuxième piste “drive”, pas de livraisons à domicile. Pendant un an, nous avions même disparu de l’application McDonald’s ! »
« Victoire amère »
Et l’inspection du travail a largement repris cet argumentaire : « La cause des licenciements envisagés est le mouvement social en cours et non le motif économique invoqué, (qui) résulte partiellement de la volonté de l’employeur de ne pas mettre en œuvre les solutions existantes pour améliorer la compétitivité de l’entreprise ».
Quant à l’obligation de reclasser M. Guemari, celle-ci non plus n’a pas été respectée, selon l’inspection du travail, qui rappelle que le salarié a postulé sur d’autres postes, « qui lui ont été refusés », et qu’il a officiellement « proposé de diminuer son salaire ».
« Les larmes aux yeux » après cette « victoire amère », M. Guemari a promis vendredi de continuer à se battre, pour sauver le restaurant, et pour les six autres salariés licenciés : « On ne reprendra pas le travail tant qu’ils ne reviendront pas, on ne peut pas lâcher ».
Jean-Pierre Brochiero, le franchisé à la tête de ce fast-food marseillais, a dit vendredi soir « prend (re) acte de la décision de l’inspection du travail qui ne permet pas la mise en œuvre du plan de sauvetage du restaurant très lourdement déficitaire depuis plusieurs années. Un recours hiérarchique est en cours d’étude. »
Quartiers d’Afrique (12/13). La capitale rwandaise se métamorphose à grande vitesse et bâtit depuis vingt ans sa propérité sur les nouvelles technologies.