Le dumping social sur les ferrys en Manche sur le point d’être interdit

Un bateau de la compagnie P&O Ferries, dans le port de Douvres, au Royaume-Uni, le 3 mai 2022.

Le 17 mars 2022, il avait fallu quelques minutes à la compagnie P&O Ferries pour licencier sans préavis, par simple message vidéo, près de 800 marins, pour la plupart britanniques, qui assuraient la liaison entre Calais (Pas-de-Calais) et Douvres, dans le sud-est de l’Angleterre. A leur place ont été mis avec effet immédiat des employés qui avaient été recrutés à l’autre bout du monde – essentiellement en Asie – et acceptaient de travailler à la moitié du salaire minimum, sept jours sur sept, quatre mois d’affilée. Aujourd’hui encore, P&O Ferries fonctionne avec ce modèle pour la traversée de la Manche.

Une des compagnies concurrentes sur la même liaison, Irish Ferries, utilise de son côté des salariés d’Europe centrale, là aussi au-dessous du salaire minimum, mais sur des contrats de six semaines de travail de suite.

A l’époque, le tollé politique avait été unanime, particulièrement du côté britannique. Pourtant, il aura fallu plus de deux ans pour réussir à interdire ce dumping social. Mardi 19 mars, le secrétaire d’Etat à la mer, Hervé Berville, doit signer les décrets d’application d’une nouvelle loi visant spécifiquement l’arrêt de ces pratiques.

A partir de leur publication au Journal officiel, dans les prochains jours, les entreprises qui traversent la Manche auront trois mois pour respecter deux conditions de base : payer au salaire minimum français et ne pas dépasser quatorze jours de travail consécutifs, suivis d’un temps de repos équivalent. « Ça doit mettre fin au cercle vicieux du moins-disant social, qui consiste à dire que la compétitivité nécessite une régression des droits, ce qui met ensuite la pression sur les autres entreprises », explique M. Berville. « On va pouvoir rétablir une concurrence saine », se félicite Yann Leriche, le directeur général de Getlink, l’opérateur du tunnel sous la Manche, qui est sur le même marché.

Lourdes pertes pour les concurrents

De l’avis de tous les protagonistes de ce dossier, cette vitesse d’exécution pour adopter une nouvelle loi est exemplaire. Elle illustre pourtant la lenteur intrinsèque des décisions politiques et administratives face à la réalité des entreprises. « Le monde économique va beaucoup plus vite que la capacité à prendre une loi », souligne Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries, une compagnie française qui milite contre le dumping social.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La compagnie P&O Ferries licencie 800 marins britanniques

Et pendant ce temps, les dégâts économiques sont réels. Brittany Ferries estime que les pratiques bientôt illégales de ses concurrents lui ont fait perdre de « 10 à 12 millions d’euros d’ebitda [bénéfice opérationnel] » sur la seule année 2023. « Pour nous, deux ans, c’est très long », renchérit M. Leriche. Son entreprise, Getlink, estime avoir perdu 6 points de part de marché sur le fret de camions, passant de 40 % à 34 %.

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Partir à l’étranger ou rester en France coûte que coûte, le dilemme des jeunes chercheurs

Depuis six mois qu’il est installé en Suède pour son postdoctorat de biologie, Nicolas (qui souhaite rester anonyme), 27 ans, a « comme un petit goût amer dans bouche ». Et mille questions sur ce choix d’expatriation qu’il assume, mais qu’il espère aussi court que possible : « Ai-je pris la bonne décision ? Est-ce que ça vaut vraiment le coup pour la suite de ma carrière scientifique ? Combien de temps vais-je être parti, finalement ? Est-ce que je passe à côté de moments de vie importants ? Etc. »

Malgré « la chance de travailler dans un super laboratoire », et d’être « content le matin de [se] lever pour bosser sur un sujet de recherche passionnant », il a laissé derrière lui, dans la région Rhône-Alpes, ses amis, sa compagne – dont il partage la vie depuis trois ans et qui ne pouvait pas l’accompagner –, et sa mère malade. Un dilemme auquel sont confrontés de nombreux jeunes chercheurs français, pour lesquels le passage par la case « postdoc à l’étranger » devient de plus en plus obligatoire.

Comme Nicolas, quelque 18 % des docteurs français travaillaient à l’étranger trois ans après leur thèse, selon la plus récente enquête du ministère de l’enseignement supérieur sur le sujet (2019). La majorité de ces chercheurs ont posé leurs valises dans un pays européen (Royaume-Uni, Suisse, Allemagne et Belgique en tête), suivi des Etats-Unis et du Canada. En comparaison, ils étaient seulement 7 % à s’expatrier, dans une enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications parue en 2000. Des chiffres sans doute sous-estimés par les difficultés à contacter les docteurs français à l’étranger, nuancent toutes ces études.

Depuis les années 1990, « les incitations à “être mobile” […], à publier davantage dans des revues internationales, à écrire en anglais, à voyager au-delà des frontières nationales pour participer à des colloques, à nouer des collaborations à l’étranger, etc. » sont devenues courantes auprès des jeunes chercheurs, confirme Marie Sautier, doctorante en sociologie à Sciences Po Paris et à l’université de Lausanne (Suisse), et coautrice de plusieurs articles sur le sujet. Cette nouvelle norme professionnelle est particulièrement portée par les institutions académiques européennes, sur fond d’internationalisation de la recherche et des carrières scientifiques, ainsi que de mise en compétition des universités à l’échelle mondiale.

S’exporter, « c’est surtout par défaut »

Mais cette forte valorisation de l’expérience internationale ne s’applique pas de la même manière selon les disciplines. « Un jeune chercheur en mathématiques ou en sciences du vivant est davantage incité à partir effectuer un postdoctorat à l’étranger qu’un chercheur en sciences humaines ou en droit », ajoute la chercheuse qui prépare une thèse sur ce thème. Les chiffres ministériels montrent que si deux chercheurs français sur dix sont effectivement en mobilité trois ans après leur thèse, c’est le cas de 30 % de docteurs en biologie, médecine et santé, contre 12 % en sciences humaines et sociales.

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« Que sait-on du travail ? » : le « care » pris au piège de la dualité

La dualité devient un piège lorsqu’on considère systématiquement le « care » comme un travail. Lorsque c’est le cas, ce qui est aujourd’hui défini comme « une réponse complexe aux besoins générés par la vulnérabilité du vivant » doit alors être adapté aux schémas binaires de pensée du travail : travail/hors travail ; salaire/gratuité ; contrat/don. Bien au-delà de cette dichotomie, aborder le « care » comme un travail n’est pas sans conséquences.

C’est ce qu’analyse la professeure de psychologie sociale Pascale Molinier dans sa contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

A l’origine, pour les sociologues des années 1970 intéressés par ces sujets, en investissant la catégorie du travail, il s’agissait de « visibiliser la contribution gratuite des femmes à l’économie domestique et nationale sous tous les régimes politiques », écrit Mme Molinier. La disponibilité permanente des mères a ainsi été avérée.

Sortir du dualisme

Les conditions de santé des travailleurs, et donc leur efficacité au service de la production, avaient jusque-là été incompréhensibles sans la référence au travail domestique réalisé par leurs épouses. Une fois rétabli, ce lien a remis en cause la dichotomie travail/hors travail. Le « care » analysé dans la perspective du travail oblige à sortir du dualisme, démontre la chercheuse.

Il permet également d’« élargir le potentiel politique de la valeur travail ». Donner une valeur économique, sociale et symbolique à des activités qui n’en avaient pas a permis, en les objectivant, de générer un socle à partir duquel des luttes pour la reconnaissance et un meilleur statut social ont été rendues possibles. Encore aujourd’hui, « politiquement, investir la catégorie du travail demeure une stratégie utile pour défendre les conditions de travail », souligne-t-elle.

Toutefois, malgré sa puissance sociale et politique, le « travail » n’est sans doute pas le concept le mieux adapté au « care », également parce qu’il est « difficilement détachable des oppressions qu’[il] a générées (sur les femmes, les esclaves, les peuples colonisés) ». Il ne s’agit donc plus de libérer le travail, mais de développer la pluralité et l’interdépendance, « en mettant au centre de la réflexion la vulnérabilité non comme une essence mais comme un dynamisme relationnel, un appel à la responsabilité vis-à-vis du proche », au-delà de l’économie marchande. S’ouvrir à d’autres possibles.

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Travail : la perspective du « care »

[Quelles sont les incidences de théoriser le care comme un travail ? C’est la question à laquelle répond Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à l’université Sorbonne-Paris-Nord. Ses recherches se situent pour la plupart à l’intersection entre la psychodynamique du travail, les études de care et la psychothérapie institutionnelle. ]

Certains spécialistes de l’art pariétal font précéder d’un point d’exclamation les catégories d’images incertaines ou soumises à controverses (exemple : « ! vulve », Jean-Loïc Le Quellec, 2022). Le titre initial de cet article « Care = ! Travail » (publié tel quel dans le livre Que sait-on du travail ?, Presses de Sciences Po/Le Monde, 2023) s’en inspire ironiquement pour mettre en question les rapports entre « care » (soin, attention) et travail.

Care signifie, en première approximation, « responsabilité active en réponse aux besoins vitaux des autres ». Les éthiques du care sont apparues dans le champ de la psychologie et la philosophie à la fin du XXe siècle (Une voix différente. Pour une éthique du care, de Carol Gilligan, nouvelle traduction Paris, Champs essais, 2009).

Puis les études de care se sont développées depuis vingt ans au niveau international et sur un mode interdisciplinaire pour répondre à ce qui a été identifié comme une « crise du care » (Le travail entre public, privé et intime. Comparaisons et enjeux internationaux du care, Aurélie Dammame et al., L’Harmattan Logiques sociales, 2017). En substance, les femmes du Nord global ont investi le travail salarié, d’où résulte un appel à une main-d’œuvre de femmes migrantes des Sud pour s’occuper à bas coût des personnes vulnérables (enfants, malades, vieillards), au domicile ou en institution.

La perspective du care – en tant que manière de regarder le monde à partir des besoins générés par la vulnérabilité du vivant – se déploie dans les registres de l’éthique, du travail et de la politique. Dans cet article, on se demandera quelles sont les incidences de théoriser le care comme un travail. C’est-à-dire d’investir un cadre conceptuel qui a été pensé au masculin-neutre pour rassembler, sous un terme générique, des activités masculines et leur donner une valeur.

Sortir des dualismes

La pensée sur le travail est marquée par un dualisme si répandu dans la pensée occidentale qu’il semble aller de soi (Feminism and the Mastery of Nature, de Val Plumwood, Routledge, 1993). Les sciences du travail ont opposé le travail au « hors-travail », ce dualisme s’associant à d’autres tels que homme/femme ; public/privé ; salaire/gratuité ; contrat/don.

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L’appel de cinq responsables syndicaux : « Il faut cesser la stigmatisation populiste des chômeurs »

Alors que la négociation assurance-chômage s’est terminée depuis moins de trois mois, le gouvernement a déjà annoncé une nouvelle réforme pour en durcir les effets. Ce serait la cinquième depuis 2017, soit quasiment une tous les ans. Aucune d’entre elles n’a pu faire l’objet d’évaluations sérieuses. A l’heure où la simplification est à la mode, force est de constater que ce principe ne vaut pas pour les demandeurs d’emploi, dont les droits sont de plus en plus illisibles.

Les multiples réformes combinées ont fait plonger le montant moyen des allocations de 17 % par rapport à 2019 et la durée d’indemnisation de 25 %. Désormais, seuls 36 % des inscrits à France Travail (anciennement Pôle emploi) sont indemnisés, niveau qui n’a jamais été aussi faible ! Quarante-cinq pour cent des allocataires sont passés sous le seuil de pauvreté – un chiffre qui a doublé –, en grande majorité des jeunes, des femmes à temps partiel ou des seniors en fin de droits, sur qui plane maintenant la menace de suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS). Ces baisses de droits entraînent des excédents annuels à l’Unédic que l’Etat s’empresse de ponctionner, à hauteur de 12 milliards en trois ans. Et le chômage repart à la hausse…

Les déclarations incessantes de l’exécutif sont en totale contradiction avec le principe, prétendument « de bon sens », brandi en février 2023 : la « contracyclicité » de l’assurance-chômage. « Quand la conjoncture économique s’améliore, on peut limiter les droits des chômeurs, quand elle se dégrade, il faut améliorer les protections. » Un an plus tard, demi-tour toute !

Marché de dupes

L’impact positif des réductions successives de droits à l’assurance-chômage sur le marché de l’emploi n’est pas prouvé. Au contraire. Ce que les études montrent, c’est que les chômeurs sont contraints d’accepter des emplois plus précaires et que l’insertion n’est pas durable. Le but, non assumé par le gouvernement, est bien sûr de faire des économies – les baisses de droits déjà réalisées correspondent à 3 milliards d’économies par an –, pas de créer de l’emploi.

Lire aussi la tribune (2023) | Article réservé à nos abonnés « L’assurance-chômage est une ressource budgétaire trop précieuse pour être supprimée »

Un marché de dupes qui, au lieu d’améliorer les conditions de travail, les salaires ou les horaires des « métiers en tension », oblige les travailleuses et les travailleurs à accepter des conditions dégradées. Une hérésie aussi pour les employeurs, qui ne pourront compter sur le maintien des qualifications au sein de leurs entreprises : dès qu’ils et elles auront une meilleure proposition de travail, ces salariés iront voir ailleurs. Quel est donc le problème avec les chômeurs ? Les changements de pied du gouvernement seraient ridicules si les conséquences humaines n’étaient pas si graves.

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L’argot de bureau : le « job hopping » ou le butinage professionnel

Nous sommes dans le bureau d’un recruteur. Dernière étape d’un entretien d’embauche. « Le problème, cher monsieur, c’est que j’ai appelé les vingt-quatre personnes qui vous ont recruté ces dix dernières années. Et à chaque fois vous êtes parti du jour au lendemain, avant la fin de votre période d’essai.

– Vous savez, je ne me sentais jamais bien. Je suis perfectionniste ! C’est d’ailleurs mon plus grand défaut. Mais je suis certain d’avoir enfin trouvé chaussure à mon pied, je vous assure.

– Malheureusement, c’est aussi l’exacte formule que vous avez utilisée devant la moitié d’entre eux. Ils me l’ont dit. Je vous remercie, on vous rappellera. »

Sur le marché du travail, certains profils apprécient les sauts de puce ou d’abeille. Ces petits sauts, que l’on peut qualifier de butinage professionnel, trouvent leur grâce en anglais : le « job hopping », qui désigne un changement d’emploi très régulier – tous les ans ou tous les deux ans. Si cette expression trouve son origine dans les dictionnaires anglais dès les années 1940, elle est aujourd’hui communément utilisée dans la littérature scientifique internationale.

Derrière le job hopping, on trouve l’image d’un travailleur qui bénéficie d’un marché à son avantage, se tournant vers le plus offrant. On pense notamment aux secteurs où la pénurie de main-d’œuvre est chronique, comme l’informatique, les services à la personne ou le bâtiment. En 2023, la moitié des cadres ont estimé pouvoir trouver facilement un poste équivalent s’ils devaient changer d’entreprise ou perdre leur emploi, selon l’Association pour l’emploi des cadres.

Pour les RH, un stigmate négatif

En effet, c’est un bon moyen de voir sa rémunération grimper rapidement, et de ne pas attendre chaque début d’année pour demander une augmentation individuelle : 43 % des cadres estimaient pouvoir augmenter leur rémunération de 5 % en changeant d’employeur. C’est une sorte de jeu.

Outre l’argument légitime du salaire, ces joyeux butineurs peuvent faire valoir une certaine capacité d’adaptation, leur expérience ou un important éventail de compétences. Parfois, aussi, la mobilité peut s’expliquer par une déception, ou l’envie permanente de commencer de nouveaux projets.

Mais ne soyons pas dupes : ce terme n’est pas vraiment utilisé pour jeter des roses aux abeilles. Il a pour but de cibler ces « nouveaux mercenaires » du travail, réputés plutôt jeunes, qui n’auraient plus la moindre loyauté envers leur employeur. Les vilains petits canards sont aussi désignés comme des passagers clandestins, qui ont comme tare de mettre à distance leur travail. Ils restent un temps dans une entreprise, sans s’y projeter. Et se reposent pour mieux s’envoler à nouveau. Pendant ce temps, le ressentiment grandit chez ceux qui voient arriver des grappes salariées plus jeunes qu’eux mais gagnant le double de leur salaire.

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Dans l’Allier, la future mine de lithium enflamme le débat

Photo aérienne de la mine de kaolin d’Echassières (Allier), le 17 janvier 2024. L’extraction du lithium aura lieu entre 75 mètres et 400 mètres de profondeur sous la mine actuelle.

Le panneau routier à l’entrée du village est toujours à l’envers, signe de la colère agricole qui a traversé les campagnes françaises ces dernières semaines. Echassières, dans l’Allier, est un village niché au bout d’une départementale en lacets qui longe la forêt des Colettes, un massif de 2 000 hectares classé Natura 2000, à la frontière du Puy-de-Dôme, entre Moulins et Clermont-Ferrand.

En son centre, l’église jouxte l’école et la mairie. Une boulangerie, une épicerie et un restaurant complètent le tableau. L’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est en travaux pour s’agrandir, et le cimetière, comme souvent, ferme la balade. Une bourgade rurale de quelque 400 habitants, comme il en existe des milliers dans le pays, qui pourrait devenir demain le site de la plus grande mine de lithium en France et peut-être en Europe, dans ce coin bucolique et un peu oublié de l’Auvergne.

En octobre 2022, le groupe français Imerys (13 700 salariés répartis dans 57 pays et 3,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023) crée la surprise en annonçant son projet d’ouvrir une mine de lithium sur la carrière de Beauvoir, sur les hauteurs d’Echassières, où la multinationale exploite du kaolin pour céramiques depuis 2005. Des prospections ont montré que le sous-sol granitique riche en mica contiendrait en moyenne 1 % de lithium, ce minerai blanc utilisé dans la fabrication, entre autres, des batteries automobiles électriques. Une nouvelle mine en France métropolitaine, du jamais-vu depuis pratiquement un demi-siècle !

Les chiffres impressionnent

En janvier 2024, le projet baptisé « Emili » (pour « exploitation du mica lithinifère ») se précise. Trois sites sont retenus pour sa réalisation : à Echassières, la mine souterraine et l’usine de concentration pour séparer les minéraux contenus dans le granite ; à Saint-Bonnet-de-Rochefort, un village distant de 15 kilomètres, la construction d’un espace de stockage du lithium envoyé ensuite à Montluçon, à 59 kilomètres, qui abritera l’usine de conversion pour son raffinage. Démarrage de la production envisagé à la fin de 2028, pour une exploitation devant durer au moins un quart de siècle.

Le projet est colossal, et les chiffres présentés par Imerys impressionnent : 1 milliard d’euros d’investissement envisagé ; 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium produites par an, de quoi équiper en batteries « 700 000 véhicules électriques » ; « entre 500 et 600 » emplois directs créés et « au moins 1 000 emplois indirects ». Le tout avec l’engagement par la multinationale de réaliser une « mine responsable », c’est-à-dire respectueuse des enjeux environnementaux et sanitaires.

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Derrière le mirage de l’entrepreneuriat, la réalité des patrons sous le smic

Côté pile, Carlos Tavares, PDG de Stellantis, et ses 36,5 millions d’euros de rémunération annuelle en 2023. Côté face, des milliers de « petits patrons » débutants ou confirmés, à la tête de commerces ou d’entreprises individuelles, qui se paient au smic, voire moins. Comme Nelly Bouet, 42 ans, propriétaire d’un café-restaurant près de Vichy (Allier). Dans le brouhaha de l’établissement, sa voix est empreinte d’une colère mêlée de fatalisme. « Avant de m’installer ici, en 2018, je faisais de la gestion de patrimoine, témoigne-t-elle. J’ai voulu arrêter afin de ne plus sillonner la France pour aller voir les clients, je voulais travailler pour moi, ne plus courir après le pognon. » Mauvais pari. « Aujourd’hui, je suis au-dessus du seuil de pauvreté, et en dessous du smic », grince-t-elle.

La pandémie de Covid-19 et les changements de mode de vie qu’elle a cristallisés ont fait plonger son café-restaurant. « Jusqu’en 2020, tout allait très bien. J’avais une clientèle de personnes âgées qui venaient déjeuner ici pour rompre leur solitude et ne pas avoir à faire la cuisine. Depuis la crise liée au Covid-19, les municipalités ont passé des contrats avec des sociétés qui leur livrent leurs repas tout prêts, à des prix défiant toute concurrence. D’un côté, ils isolent nos anciens, de l’autre, mon chiffre d’affaires a plongé. » La restauratrice, qui a cinq enfants, dont trois à charge, ne s’en sort plus, malgré une gestion drastique. « Je n’ai plus de salariés, je ne prends que des extras. J’ai supprimé la carte bancaire et tous les faux frais. Je trime durement pour essayer de m’en sortir, mais ça devient fatigant de travailler pour survivre. »

Francine Morand, elle, est gérante de six auto-écoles dans l’Ain, et emploie quinze personnes. La concurrence et l’augmentation des charges l’ont obligée à diminuer sa rémunération de 30 % depuis 2019. « Cela fait trente-cinq ans que je suis à mon compte, je travaille de 8 heures à 19 heures, tous les samedis matin, et à la fin du mois je gagne entre 1 500 et 2 000 euros, expose cette sexagénaire. Je n’ai pas l’espoir de mieux me payer, je suis résignée. » A cinq ans de la retraite, elle pourrait envisager de vendre son fonds de commerce, car elle n’est pas propriétaire des murs. « Mais, dans cette activité, ça se vend une misère. La clientèle n’a pas de valeur, les gens changent d’auto-école comme de chemise. »

Lire le décryptage | Article réservé à nos abonnés Comment le smic a rattrapé des millions de salariés

Selon une enquête menée par la Confédération des petites et moyennes entreprises en début d’année, un patron de très petite entreprise (TPE) ou de petite ou moyenne entreprise (PME) sur cinq se paie moins de 1 400 euros, soit moins que le smic, qui s’élevait à 1 398,69 euros net au 1er janvier. Un petit tiers (31 %) se paie entre 1 400 et 2 600 euros – ce qui correspond au salaire moyen dans le secteur privé en 2022, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Un quart d’entre eux gagne entre 2 600 et 4 000 euros net, et un quart, plus de 4 000 euros mensuels.

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Dans l’Indre, le dernier fabricant français de jantes en aluminium à nouveau dans la tourmente

Au Salon de l’Auto de Paris, le 2 octobre 2014.

Après sa reprise en 2022 par la société EDS, l’entreprise Impériales Wheels, qui emploie 180 salariés dans la zone industrielle de la Martinerie, à Diors (Indre), près de Châteauroux, est à nouveau menacée. Elle a déposé le bilan le 22 février, se déclarant en cessation de paiements auprès du tribunal de commerce. Un nouveau repreneur est espéré pour le 18 avril.

L’enjeu est important : le maintien d’Impériales Wheels symbolise l’affirmation de cette souveraineté industrielle, « indispensable à l’autonomie stratégique de la France », d’après le gouvernement, et vitale pour la région Centre-Val de Loire, riche de sous-traitants de l’aéronautique, de l’armement et de l’automobile. Pour son président (PS), François Bonneau : « Rien ne sert de paniquer devant l’arrivée massive des véhicules électriques chinois si on n’est plus foutu de fabriquer des jantes en France, élément fondamental d’une voiture. Il s’agit en plus, ici, de roues plus légères, afin de faire baisser le poids des véhicules. Il faut que les constructeurs automobiles s’engagent davantage, que tout soit mis en œuvre pour que ce projet tourné vers l’avenir puisse se concrétiser et que le savoir-faire des salariés soit préservé. »

La région a versé la totalité des 5 millions d’euros promis lors du plan de sauvetage, soit la même somme que le repreneur Emile Di Serio, président du groupe de fonderie français Saint Jean Industries. Mais l’Etat a été l’investisseur principal, avec 29 millions d’euros distribués sur les 40 millions d’euros consentis. Le repreneur a aussi bénéficié de 7 millions d’euros de prêt, dans le cadre du fonds Avenir Automobile, un outil abondé par des constructeurs français et destiné à épauler les équipementiers de la filière.

Toute cette manne a servi à financer la masse salariale et à acquérir des machines pour concevoir l’une des huit nouvelles lignes de production prévues : un outil high-tech permettant d’augmenter les cadences et la qualité des jantes, tout en diminuant les coûts de production et la quantité de déchets. Faute d’argent, l’espoir d’ouvrir sept autres lignes d’ici à juin est anéanti. Les salariés ont même été placés en chômage partiel.

Repreneur activement recherché

Tout en reconnaissant l’impact de la hausse du coût de l’électricité et des matières premières sur la trésorerie de l’entreprise, le préfet de l’Indre, Thibault Lanxade, ancien entrepreneur et ancien vice-président du Medef, regrette une mauvaise gestion du repreneur, qu’il dit avoir constaté dès l’été 2023, lors d’une série de réunions de crise. M. Lanxade met en cause « des dérapages et des changements de stratégie qui ne concordaient plus avec les moyens à sa disposition ». Si les anciennes lignes de production, vétustes, ont permis à Impériales Wheels d’honorer toutes les commandes des clients historiques Renault et Stellantis, le préfet déplore que « les engagements de clients supplémentaires ne soient jamais arrivés ». Il était question de Tesla, Land Rover et Porsche. Les salariés, pour leur part, regrettent une direction peu encline au dialogue, des manageurs aux abonnés absents. « Les ouvriers sont résilients, mais échaudés », résume le préfet.

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Congés payés en cas d’arrêt maladie, l’Etat propose quatre semaines de congé

Le patronat respire un petit peu mieux. Après sept mois de cogitation dans un climat tendu, le gouvernement vient de prendre des décisions de nature à rassurer les mouvements d’employeurs sur un dossier épineux : le droit pour un salarié d’acquérir des congés payés pendant un arrêt maladie, même en cas de pathologie non liée à son emploi. Un arbitrage lié au fait que la France ne respecte pas la législation de l’Union européenne (UE), à l’heure actuelle. Jeudi 14 mars, l’exécutif a présenté aux partenaires sociaux un dispositif qui cherche à aligner le corpus juridique français sur les normes applicables aux Vingt-Sept. Il introduit notamment une nouvelle règle, qui octroie des congés payés, dans la limite de quatre semaines par an, en faveur des personnes ayant momentanément cessé leur activité « pour motif non professionnel ». L’option retenue par le pouvoir en place déplaît à plusieurs syndicats, qui la jugent trop restrictive.

Le problème se posait depuis des années mais n’avait jamais été vraiment pris à bras-le-corps. C’est la Cour de cassation qui est venue rappeler à l’Etat qu’il serait temps d’agir. Le 13 septembre 2023, la haute juridiction a rendu plusieurs arrêts qui ont remis en exergue la non-conformité du droit français avec les textes européens – en l’occurrence, la charte des droits fondamentaux de l’UE et une directive de 2003. De ces décisions, plusieurs principes se sont dégagés – en particulier le droit à acquérir des congés payés durant un arrêt maladie, que l’affection soit d’origine professionnelle ou non.

A la lecture des arrêts de la Cour, les milieux patronaux se sont étranglés. « Ça va coûter aux entreprises plus de 2 milliards d’euros par an », a dénoncé Patrick Martin, le président du Medef. « Ce serait la porte ouverte à du grand n’importe quoi », a renchéri la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). La crainte des deux organisations tenait – entre autres – à la perspective que des salariés déposent des réclamations remontant jusqu’en 2009, date à laquelle la charte des droits fondamentaux est devenue contraignante, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

« Sécuriser les employeurs et les salariés »

Le gouvernement a très vite voulu dissiper les inquiétudes des mouvements d’employeurs. Fin novembre 2023, Elisabeth Borne, alors première ministre, avait indiqué que les dispositions européennes seraient transposées dans la loi tricolore mais qu’elle veillerait à « réduire au maximum l’impact » de la mesure sur les entreprises. Peu à peu a émergé l’idée de légiférer par le biais d’un projet de loi « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE », aujourd’hui en cours d’examen au Parlement. Un projet d’amendement à ce texte a été soumis au Conseil d’Etat – lequel a rendu un avis, mercredi, dont l’exécutif a tenu compte.

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