La Poste prise en défaut sur le devoir de vigilance

Un camion Chronopost devant le bureau de poste de Blanzat (Puy-de-Dôme), le 7 mai 2020.

C’est une première judiciaire : La Poste a été condamnée, mardi 5 décembre, à améliorer la mise en œuvre de la loi de 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de risques humains et environnementaux, dans un dossier impliquant l’emploi de travailleurs sans papiers par des sous-traitants.

Le groupe, dont le capital est contrôlé à 66 % par la Caisse des dépôts et 34 % par l’Etat, devra donc améliorer sa « cartographie des risques » et les dispositifs de suivi et d’alerte censés la compléter. A l’origine de cette décision, la mise en demeure de La Poste, en 2020, par le syndicat SUD-PTT, qui considérait que les documents publiés par l’entreprise ne répondaient pas aux exigences légales, entre autres en matière de recours à la sous-traitance.

« Nous avons été alertés en 2019 par un collectif de la plate-forme Chronopost d’Alfortville (Val-de-Marne) sur le fait que des sans-papiers, sous-traitants de l’entreprise Derichebourg, y travaillaient de nuit en s’échangeant des papiers et des badges, explique Nicolas Galépides, responsable fédéral de SUD-PTT. Et deux ans après, le même schéma s’est reproduit chez DPD, une filiale de La Poste. »

« Des procédures d’évaluation des sous-traitants »

Sur le recours à des sans-papiers, le tribunal judiciaire de Paris constate, entre autres, que la cartographie des risques établie par La Poste « ne fait nullement ressortir l’existence de risques liés au travail illégal », ce qui justifie de lui imposer d’établir « des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés ». « Le message envoyé à l’entreprise par le tribunal, c’est : “Il faut vous mettre au boulot” », conclut M. Galépides.

Le tribunal a toutefois rejeté plusieurs demandes de SUD-PTT. Il a notamment refusé de contraindre La Poste à rendre publique la liste de ses sous-traitants et fournisseurs et de lui imposer la mise en œuvre des mesures de prévention du travail dissimulé.

Rejetée également la demande du syndicat d’une astreinte financière de 50 000 euros par jour de retard dans l’amélioration du plan de vigilance, le tribunal prenant acte d’une « évolution notable, dans le cadre d’une démarche dynamique d’amélioration » depuis 2021.

Le groupe public, qui a pris acte du jugement sans se prononcer dans l’immédiat sur un éventuel appel, dit regretter que la loi de 2017 n’ait « fait l’objet d’aucun décret d’application ou de lignes directrices, laissant les entreprises qui y sont soumises dans une grande incertitude juridique » en attendant l’adoption d’une directive européenne en la matière.

Le groupe CBC Radio-Canada supprime 600 emplois

Le groupe audiovisuel public canadien CBC Radio-Canada a confirmé, lundi 4 décembre, la suppression de 600 emplois, soit 10 % de ses effectifs, en raison « de la diminution des revenus publicitaires de la télévision et de la concurrence féroce des géants du numérique ».

Les premiers licenciements doivent se concrétiser dans les semaines qui viennent « mais la plupart seront mis en œuvre au cours des douze prochains mois », a précisé le diffuseur public dans un communiqué. CBC Radio-Canada a également prévu de réduire ses dépenses de programmation pour permettre au total 125 millions de dollars d’économies pour l’exercice 2024-2025.

Au final, 250 des suppressions de poste concerneront CBC, le réseau anglophone du groupe ; et 250 autres, Radio-Canada, sa partie francophone ; le reste touche des fonctions techniques et de support. Le groupe a également annoncé que « près de 200 postes actuellement vacants (…) seront abolis ».

Des créations de poste gelées depuis octobre

« CBC Radio-Canada n’est pas à l’abri des bouleversements que subit l’industrie canadienne des médias », a déclaré sa PDG, Catherine Tait, qui estime que, face à ces pressions, le groupe n’avait « plus la souplesse nécessaire pour continuer sans compressions ». « Ces pressions découlent des mêmes facteurs structurels qui touchent l’ensemble des médias canadiens, notamment la hausse des coûts de production, la diminution des revenus publicitaires à la télévision et la concurrence féroce des géants du numérique. »

Le diffuseur public n’avait pas connu pareilles coupes depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Justin Trudeau, en 2015. Au début d’octobre, CBC Radio-Canada avait annoncé que les créations de poste étaient gelées jusqu’à nouvel ordre et que les départs ne seraient pas remplacés.

« Nous comprenons à quel point cette annonce est préoccupante pour les personnes concernées et pour la population canadienne qui compte sur nos émissions et nos services », a encore déclaré Catherine Tait, promettant « plus de précisions dans les mois à venir ».

« Jour sombre »

Il s’agit d’« un jour sombre » pour le diffuseur public et pour l’accès à l’information, a réagi le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada dans un communiqué. « Nous sommes atterrés », a renchéri la présidente de la Guilde canadienne des médias, Annick Forest. « Nous demandons au gouvernement fédéral de garantir sans attendre un financement stable à CBC Radio-Canada, et ce, avant que le diffuseur public devienne incapable de remplir son mandat. »

De nombreux médias canadiens sont dans une mauvaise situation financière et le groupe public n’est pas le premier à annoncer un plan social. Au début de novembre, plus de 500 employés du groupe TVA ont été licenciés, soit environ le tiers de ses effectifs.

Pour tenter de soutenir le secteur, le gouvernement canadien s’est lancé depuis cet été dans un bras de fer avec Google et Meta – propriétaire de Facebook et Instagram – pour les obliger à conclure des accords commerciaux avec les médias pour la diffusion de leurs contenus sur leurs plates-formes.

La semaine passée, un accord « historique » a été signé avec Google. En revanche, Meta, qui bloque au Canada l’accès aux contenus d’actualité de médias sur ses plates-formes depuis le 1er août, continue de s’opposer à la loi.

La législation vise à soutenir le secteur de l’information au Canada, où plus de 450 médias ont fermé leurs portes depuis 2008.

Le Monde avec AFP

Quand, en entreprise, les outils « de productivité » comme Slack et Teams donnent l’illusion de l’efficacité

Lidiane Jones, PDG de Slack Technologies, lors de la conférence Dreamforce 2023, à San Francisco, en Californie, le 14 septembre 2023.

« Vous avez 7 564 messages non lus dans 24 canaux. » Nous sommes lundi matin, et comme bon nombre d’employés de bureau, vous recevez ce courriel automatique de l’espace de travail virtuel Slack installé par votre entreprise pour fluidifier les échanges.

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Comme la semaine démarre doucement, vous jetez un œil à Trello et Notion, deux applications permettant d’organiser sa to-do list (« liste de choses à faire ») que votre entreprise encourage vivement à utiliser. Vous ouvrez alors le logiciel maison pour réserver une salle de réunion, puis utilisez l’outil de visioconférence Teams pour l’organiser à distance avec vos collègues en télétravail.

Comme vous-même vous télétravaillez deux jours sur cinq, vous avez aussi accès à une application permettant de renseigner si le lendemain vous souhaitez rester chez vous ou venir au bureau, et si vous avez besoin d’un espace collaboratif ou d’une salle au calme. Signe que les salariés sont de plus en plus sollicités, des entreprises leur proposent même d’utiliser des applications de feed-back (retour d’expérience) sur le bien-être au travail, comme Moodwork ou Zest.

Cet exemple n’est pas (totalement) inventé. Depuis la pandémie de Covid-19 et l’émergence du travail hybride dans les entreprises françaises, les salariés se sont approprié de nombreux outils dits « de productivité », dont la majorité étaient encore méconnus du grand public. L’espace de travail numérique Google a été adopté par 10 millions d’entreprises dans le monde, et Slack revendique aujourd’hui 200 000 clients, dont 32 sociétés du CAC 40.

Certains outils, par le biais du texte ou de la vidéo, promettent aux manageurs de gérer leurs équipes à distance ou au bureau. La mutuelle Alan, ancienne start-up qui compte désormais plus de 500 salariés, a fait de l’écrit, et notamment par le biais de Slack et Notion, le cœur de ses échanges. « L’écrit permet que toutes les données soient traçables, que tout le monde ait accès à l’information », explique son DRH, Paul Sauveplane.

Stress et éloignement du cœur de métier

« Au départ, ces outils sont dits “collaboratifs”, mais il peut y avoir des dérives, relève Caroline Diard, professeure associée en management des RH à la Toulouse Business School. L’employeur peut contrôler ses salariés, en sachant qui est connecté. Côté salarié, il y a une augmentation des sollicitations. Et comme les outils sont instantanés, le salarié se contraint à répondre rapidement. »

Peu de travaux ont été menés en France sur le sujet, mais, selon une analyse par le logiciel RescueTime des données de 50 000 travailleurs du savoir américains (rédacteurs, développeurs, chefs de projet) en 2018, un travailleur vérifiait ses outils de communication toutes les six minutes.

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Les retraites complémentaires de branche, une possibilité méconnue

Droit social. Le code du travail donne aux partenaires sociaux du secteur privé la capacité d’organiser les conditions de travail et d’emploi mais aussi « des garanties sociales », au moyen de conventions collectives de travail de branche. Il existe ainsi, particularité française, un abondant droit conventionnel sur la prise en charge complémentaire au régime général des frais de santé, ou garantissant des revenus complémentaires en cas d’incapacité temporaire de travail, d’invalidité ou de décès.

A l’inverse de nombreux autres pays, plus rares sont les accords de branche portant sur des compléments de revenus aux régimes obligatoires de retraite, le régime général de la Sécurité sociale et le régime paritaire Agirc-Arrco. Méconnus, ces fonds de pension professionnels sont, par référence à la nomenclature des activités d’assurance, dénommés « branche 26 ». Comme pour tout régime d’épargne-retraite, on distingue une première période, dans l’emploi, qui consiste en l’acquisition de droits qui sont capitalisés, puis « servis » durant une seconde période, après le départ à la retraite.

Ces « régimes de branche », lorsqu’ils existent – seules cinq branches connaissent de tels régimes – possèdent toutefois des caractéristiques propres. De par l’effet impératif de la convention collective, tout salarié et tout employeur de la branche doit cotiser. Les sommes collectées sont capitalisées dans un fonds collectif. En même temps, ces cotisations sont transformées en points au moyen d’une « valeur d’acquisition du point », appelée aussi « unité de rente » ou « prix d’un point ». Au moment du départ à la retraite, la somme des points acquis est transformée en rente au moyen d’une « valeur de service du point », un facteur de conversion exprimé en euros.

Des avantages évidents

Ces valeurs-clés, qui tiennent notamment compte de la situation de l’emploi et des rémunérations propres à la branche, relèvent de la compétence des partenaires sociaux, et non plus seulement des directeurs techniques des organismes assureurs ou de la négociation entre entreprises et organismes assureurs. Les paramètres de calcul figurant dans la convention collective de retraite s’imposent à tout employeur de la branche.

Les engagements ainsi définis des employeurs envers les salariés au moyen de la convention collective doivent être transférés à des organismes extérieurs de gestion. Pour ce faire, les entreprises d’assurance, les institutions de prévoyance ou les mutuelles peuvent créer des fonds de retraite professionnel et supplémentaire, dont les règles légales particulières de gestion et de contrôle des calculs prévisionnels sont adaptées à l’épargne longue.

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Le grand décrochage de la productivité en France

Des jeunes en apprentissage au lycée Airbus de Toulouse pratiquent une séance de bien-être au travail, le 21 septembre 2023.

Depuis son atelier au bord du lac d’Annecy, avec vue panoramique sur les montagnes, Eric Roussel, à la tête de Neo, fabricant de produits techniques pour les sports de plein air, cherche à comprendre. « En 2022, nous avons connu parmi notre équipe de vingt-sept salariés une augmentation importante des arrêts maladie et des absences, ce qui a entraîné une baisse globale de 10 % de la production : autrement dit, sans cet absentéisme, nous aurions pu augmenter notre chiffre d’affaires d’autant. » Derrière le témoignage de ce chef d’entreprise, le constat d’un phénomène assez généralisé en France depuis la crise sanitaire : le décrochage de la productivité.

A l’échelle du pays, entre 2019 et mi-2023, la valeur ajoutée – la richesse produite – a augmenté de 2 %, mais les effectifs salariés, eux, ont progressé de 6,5 %. Depuis la crise sanitaire, les entreprises ont en effet massivement recruté : selon les derniers chiffres publiés, mercredi 29 novembre, par l’Insee, l’économie française comptait à cette date près de 1,2 million d’emplois salariés de plus que fin 2019.

Or, quand le nombre de travailleurs augmente plus vite que la production, cela se traduit mathématiquement par une baisse de la productivité. « Compte tenu du ralentissement de la croissance enregistrée depuis 2019, si la productivité n’avait pas baissé, l’économie française aurait dû non pas créer 1,2 million d’emplois, mais en détruire 180 000, explique l’économiste Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). C’est comme si on avait désormais environ 1,3 million de salariés “de trop”. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La chute de la productivité en France, un mystère et des conséquences

Exprimé en productivité horaire (c’est-à-dire la valeur ajoutée créée sur une heure travaillée), le décrochage atteint 4,6 % sur la période 2019-mi 2023. Et si l’on rappelle que, avant la pandémie, la productivité horaire progressait bon an mal an d’environ 0,9 % par an depuis la décennie 2010, le décrochage est donc encore plus net. Environ 7 points de pourcentage par rapport à cette trajectoire entamée avant la crise liée au Covid-19.

Faut-il s’inquiéter ?

La productivité du travail a fortement ralenti au cours des quatre dernières décennies dans la plupart des économies avancées, passant d’une croissance annuelle de 3 % à 5 % dans les années 1970 à environ 1 %, indique le rapport du Conseil national de productivité publié en octobre. La crise liée au Covid-19, qui a mis les économies à l’arrêt, à fait naturellement plonger la productivité. Mais depuis, et c’est là sa spécificité, la France peine à redresser la barre. « Elle connaît la moins bonne performance de toute l’Union européenne [UE] », s’inquiète Eric Dor, directeur des études de l’Iéseg School of Management.

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« Que sait-on du travail ? » : associer les salariés au management est profitable à l’entreprise

25 %. C’est la part d’intérimaires constatée dans les entreprises aéronautiques françaises de 100 à 500 salariés lors d’une étude comparative de Jérôme Gautié et Roland Ahlstrand sur la différence d’application du lean management en France et en Suède et ses conséquences sur la vie des salariés.  En Suède, dans des entreprises comparables, la part de personnel temporaire est négligeable note Jérôme Gautié. L’économiste du travail y voit l’« indice d’un investissement plus important dans le capital humain », confirmé par des politiques de formation en interne plus développées en Suède qu’en France.

Cette différence d’approche est déterminante pour que l’introduction du lean management dans une usine produise soit une amélioration de la qualité du travail et de la productivité, soit au contraire du stress et une perte de reconnaissance. C’est ce que développe Jérôme Gautié dans une analyse réalisée dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ?  » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

Le lean management introduit en France il y a une trentaine d’années vise à produire au plus près des stocks en responsabilisant l’ensemble de la chaîne de production par l’autonomisation des opérateurs et en faisant remonter les informations de la base vers le haut quasiment en temps réel afin de réagir immédiatement au moindre défaut, incident ou variation de stock imprévue. Ce procédé venue du Japon permet de développer ce qu’on appelle « l’entreprise apprenante » : chaque salarié étant amené à monter en compétences et à transmettre ses pistes d’innovation.

Mais si cette approche a bien été réalisée en Suède, en France le lean a été passé à la moulinette du management vertical, dans « l’ombre du taylorisme », écrit Jérôme Gautié. Ce qui signifie que les salariés ont été peu consultés, la gestion par indicateurs a été renforcée, alourdissant la charge de travail et augmentant le stress. Et la réunion quotidienne, caractéristique du lean management pour avoir un échange qualitatif régulier, s’est réduite « à la vérification de listes d’indicateurs et à la transmission d’informations de la direction », écrit Jérôme Gautié. Le lean à la française, centralisé par une organisation hiérarchique, s’est ainsi traduit par une intensification du travail, source de nouvelles pénibilités.

Le propos de l’auteur n’est pas de jeter l’opprobre sur le management des entreprises françaises mais d’inciter à écouter les « manageurs éclairés » qui veulent réserver l’usage des nouveaux outils numériques au partage d’informations pour une meilleure coordination plutôt qu’au contrôle des opérateurs, et insistent sur « la nécessaire autonomie et participation des salariés pour développer leurs capacités d’initiative ». Autant de pistes à méditer en vue des négociations prochaines sur la qualité de vie au travail.

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Le lean à la française dans l’aéronautique : management technocratique et faiblesse du dialogue social

[Comment le lean management peut produire de nouvelles contraintes pour les salariés : c’est ce que développe Jérôme Gautié, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, chercheur au centre d’économie de la Sorbonne et chercheur associé au Cepremap, dans une comparaison franco-suédoise du lean appliqué au secteur aéronautique. Ses recherches portent sur les transformations du travail et de l’emploi. Il a notamment coordonné (avec John Schmitt) Low-Wage Work in the Wealthy World (New York, Russell Sage, 2010), issu d’une recherche internationale comparative sur l’Europe et les États-Unis, et publié Salaire minimum et emploi (Paris, Presses de Sciences Po, 2020). Il préside le conseil scientifique de Pôle emploi depuis 2013.]

Quand on les compare à leurs homologues des pays européens, il est frappant de constater que les Français expriment une bien moindre satisfaction générale quant à leurs conditions de travail et d’emploi, et une forte interrogation sur le sens de leur travail (voir notamment les contributions au projet « Que sait-on du travail ? » de Maëlezig Bigi et Dominique Méda ; de Christine Erhel, Mathilde Guergoat-Larivière, et Malo Mofakhami ; ainsi que celle de Thomas Coutrot et Coralie Perez).

Les Français sont même les champions de l’insatisfaction salariale : parmi les travailleurs interrogés en 2015 dans l’enquête européenne sur les conditions de travail, environ 46 % des Français se déclarent en désaccord avec l’affirmation : « Je trouve que je suis bien payé pour les efforts que je fournis et le travail que je fais », le taux le plus élevé parmi les trente-quatre pays couverts par l’enquête, loin devant le Royaume-Uni (30 %, ce qui correspond à la moyenne européenne), les Pays-Bas (29 %), la Suède (28 %), l’Italie (27 %), l’Allemagne (23 %), ou le Danemark (22 %).

Des éléments laissent penser que ce n’est pas tant la faiblesse des salaires – en termes absolus ou relatifs (par rapport aux plus qualifiés) – qui est ici dénoncée, que le fait que le salaire n’est pas perçu comme compensant les mauvaises conditions de travail et d’emploi telles qu’elles sont ressenties. Ceci permet notamment d’expliquer le paradoxe français apparent concernant les salariés à bas salaires : malgré le smic qui leur assure un salaire absolu et relatif relativement élevé (par rapport aux salariés plus qualifiés), quand on compare aux autres pays européens et aux États-Unis, leur insatisfaction salariale est particulièrement forte (Caroli et Gautié (dir), 2010).

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Qui est vraiment Laurent Blois, syndicaliste défenseur des techniciens de l’audiovisuel

Laurent Blois, délégué général du Syndicat des Professionnel·les des Industries de l’Audiovisuel et du Cinéma (SPIAC CGT).

La voix des professionnels de l’audiovisuel et du cinéma

Depuis 23 ans, Laurent Blois, 61 ans, est le délégué général du Syndicat des Professionnel·les des Industries de l’Audiovisuel et du Cinéma (SPIAC CGT) qui regroupe plusieurs métiers de l’ombre – ingénieurs du son, monteurs, costumiers, scripts, directeurs de la photographie etc. Depuis 2001, son nom surgit dans les médias dès que le cinéma et l’audiovisuel français traversent une crise. Depuis le 15 novembre, date du début du mouvement de grève des techniciens de l’audiovisuel, il est en première ligne pour faire entendre leurs revendications. La principale : 20 % d’augmentation de leurs salaires. Ce 5 décembre, les principaux patrons de l’audiovisuel et du cinéma français doivent faire une proposition aux grévistes.

Un militant politique

« Je ne suis pas du tout issu du milieu du cinéma », explique-t-il. Après une formation littéraire et juridique, il passe une dizaine d’années au Sénat – administrateur au groupe communiste, collaborateur parlementaire – où il s’intéresse notamment aux affaires culturelles. En 1999, il quitte son job par envie de faire quelque chose de plus « dynamique » et il postule au poste de délégué général du syndicat. « Le combat politique est une passion. » Salarié du SPIAC CGT, il ne prend pas part aux votes de son organisation, il n’en est que la voix.

Un négociateur tenace

En arrivant, il découvre une profession où règne une « profonde méconnaissance » du Code du travail. Il observe que dans ce « métier passion », il n’existe que peu ou pas de normes. La réalité, ce sont de longues heures impayées, des tournages qui rincent et des salaires modestes. Mais « quand on est employeur, on a des obligations sociales », répète-t-il. Entre 2005 et 2013, des négociations tendues (« on nous a accusés de vouloir tuer le cinéma français ») aboutissent à améliorer une convention collective qui datait des années 50. « J’ai animé ce combat avec des camarades, des bénévoles, des adhérents, dit-il. Je n’ai aucun mérite – je suis salarié, je fais mon boulot. »

Un intermédiaire optimiste

Il n’est pas porté sur les opérations coup-de-poing – un technicien qui froisse publiquement des producteurs sur la scène des Césars « prend des risques professionnels » – mais il n’hésite pas à parler « clairement ». Il dénonçait ainsi en 2013, en plein festival de Cannes, les conditions de travail sur le tournage de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche : « Le fait que Vincent Maraval se félicite de l’avoir coproduit avec si peu d’argent pose problème. » Il observe que les choses changent et que la jeune génération tient à faire respecter ses droits. Le mouvement de grève actuel est très suivi – 86 tournages et postproductions ont été perturbés dont les séries HPI, Déter, Terminal et les émissions Top chef, Pékin Express ou encore Koh-Lanta. Il pense que la grève des scénaristes à Hollywood « joue » dans ce qui se passe en France mais pas seulement. « Ça raconte un désir très fort des salariés de vivre dignement de leur métier. Ça raconte une sortie du silence. On enregistre entre 30 et 35 adhérents par jour ! », s’enthousiasme-t-il.