Après la mort de deux ouvriers, une succession de sous-traitants se renvoient la balle au tribunal

Après la mort de deux ouvriers, une succession de sous-traitants se renvoient la balle au tribunal

La cité La Source, à Epinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis.

Une scène pourrait résumer à elle seule ces trois premiers jours d’audience : des hommes qui se font face devant le tribunal et qui se renvoient la responsabilité. Dans une salle en brique, presque comble, les familles des prévenus se serrent sur un banc, visages fermés. Presque aucune famille des victimes n’était présente lors de l’audience, la plupart ne se trouvant pas en France.

Depuis lundi 30 janvier, le tribunal de Bobigny tente de déterminer le niveau de responsabilité de sept hommes – et trois sociétés – dans la mort de deux ouvriers, employés au noir, sans papiers et inexpérimentés, sur un chantier de Seine-Saint-Denis, le 8 juin 2019. Mercredi 1er février, le parquet a requis des peines allant jusqu’à huit mois de prison ferme et 150 000 euros d’amende à l’encontre des prévenus, jugés notamment pour homicide involontaire et travail dissimulé.

Trois ans et demi plus tôt, Kamel Benstaali, 34 ans et Omar Azzouz, 29 ans, travaillaient à la rénovation thermique de la tour D de la cité La Source, à Epinay-sur-Seine. Il fallait charger des seaux de colle jusqu’en haut de l’immeuble, grâce à une plate-forme élévatrice qui, dans la matinée du 8 juin, s’est décrochée du 18e étage.

« J’ai levé la tête et vu la nacelle voler », confie Hafid Biyi, 62 ans, qui se balance d’une jambe sur l’autre. Il était à l’époque « chef des chantiers » pour la Société rénovation et isolation (SRI), qui a recruté les deux victimes. « Ce n’était pas parfait, on croulait sous le travail », reconnaît-il.

« Gérant fantôme »

Hafid Biyi était aussi ouvrier et commercial pour cette entreprise de quatre salariés, dont l’agrément pour intervenir sur le chantier d’Epinay a été longuement débattu durant la première journée d’audience. Sur ce chantier, c’était l’interlocuteur de tous, même s’il assure ne pas être le dirigeant de la société. Lui avance le nom de Fathy Abou Shreef, un « gérant fantôme », souvent évoqué durant l’audience mais introuvable depuis l’accident. C’est son nom qui apparaît sur les déclarations d’embauche, remplies deux jours après leur mort, de Kamel Benstaali et Omar Azzouz. Si les avocats d’Hafid Biyi demandent que leur client ne « paye pas pour les fautes de M. Abou Shreef », le tribunal émet des doutes sur le partage de fonction entre les deux hommes.

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Hafid Biyi affirme à la barre ne « pas connaître » les deux ouvriers avant cette matinée du 8 juin. Néanmoins, les analyses téléphoniques attestent de la présence d’Omar Azzouz depuis plusieurs semaines sur le chantier. Il dit « tout » ignorer des deux victimes et ne pas savoir s’ils possédaient bien la carte BTP, nécessaire pour travailler. « Qui avait la charge de vérifier ces cartes ? », demande Elisabeth Dugre, présidente du tribunal. « Personne », finit-il par lâcher. « Et qui devait s’assurer de la conformité de la plate-forme ? », interroge la présidente. « Je ne l’ai pas fait, je n’avais pas les compétences », dit-il, en baissant encore la voix.

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