A Marseille, ces trentenaires reconvertis qui gentrifient l’artisanat de bouche

A Marseille, ces trentenaires reconvertis qui gentrifient l’artisanat de bouche

Marseillais, urbains et diplômés, ces trentenaires tranchent avec le stéréotype du cadre en burn-out qui plaque tout pour en découdre avec son bullshit job. Ceux-là trouvaient plutôt du sens dans leur ancien métier : cela ne les a pas empêchés de plonger dans une tout autre activité. Par curiosité, passion ou coup de folie.

S’ils ont en commun d’avoir la tête bien faite, en plus d’un compte Instagram plutôt copieux, tous ces reconvertis ont choisi un métier de bouche en version artisanale. De leurs mains, Audrey Emery, Iris Michalon, Guillaume Strebler, Claire Hollender et Aurélien Ducloux réinventent des savoir-faire traditionnels pour proposer des produits haut de gamme à une clientèle qui cherche, comme eux, à respecter une certaine éthique dans ses modes de consommation.

« On retrouve toujours, parmi ces profils, une opposition globale à la production industrielle, dans une conception parfois fantasmée : ils pensent que la fabrication est polluante, que les produits sont standardisés, pas “naturels” et plein d’additifs, observe Antoine Dain, doctorant en sociologie à Aix-Marseille Université, qui termine sa thèse sur “la mobilité professionnelle des travailleurs qualifiés”, en comparant les reconversions dans l’artisanat de bouche et dans le bâtiment. Par contraste, eux travaillent des produits locaux qui ont souvent une épaisseur historique – comme le levain ou le blé ancien dans la boulangerie – et rejettent une forme de modernité. Ils mettent en avant des produits “d’antan” qu’il faut préserver, avec une personnalisation et une identité très marquée. »

« Viser l’excellence »

Marseille ressemble à un immense laboratoire en la matière. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le nombre de créations d’entreprises dans les métiers de bouche a augmenté de 15 % entre 2019 et 2022, selon la chambre de métiers et de l’artisanat de la région : « C’est énorme », lâche son président, Yannick Mazette, lui-même devenu artisan boulanger il y a trente ans après avoir exercé dans l’industrie du pneumatique. Dans certains secteurs, les chiffres ont explosé : + 50 % d’immatriculations dans la fabrication de produits laitiers, + 250 % dans la transformation du thé et du café. « Ces personnes en reconversion viennent avec une histoire, poursuit Yannick Mazette. Elles bousculent un peu les codes, mais c’est par la différence qu’elles vont exister. Le tout-venant n’a plus sa place, il faut viser l’excellence. »

Loin de la société industrielle, où chacun restait quarante ans dans le même métier, « l’individu privilégie désormais un changement de carrière pour son épanouissement personnel, avec la consommation comme support d’affirmation de soi », analyse Juliette Guidon, doctorante en sociologie à l’université Paris Cité, en contrat Cifre – convention industrielle de formation par la recherche – avec l’école hôtelière Ferrandi, dont la thèse porte sur les « reconversions professionnelles volontaires de cadres dans les métiers de bouche ». « L’origine sociale va beaucoup compter : dès l’enfance, ces cadres ont appris à manger bio, à aller au marché avec les parents… Ils vont se réapproprier ces habitudes familiales de consommation pendant la reconversion, de même que leurs compétences professionnelles : en tant que patrons, ils sont dans une transition horizontale plutôt que dans le déclassement. »

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