Au Qatar, le processus de réforme des conditions de travail des migrants menacé d’enlisement
Peter est une silhouette esseulée dans la nuit de Doha. Le voiturier ghanéen se tient droit comme un poteau à un carrefour de Msheireb, au pied des tours de bureaux de ce nouveau secteur, construit à l’emplacement d’un quartier indien tombé en décrépitude. Les clients se faisant rares, le quadragénaire, sanglé dans une livrée couleur ocre, accepte de s’ouvrir sur sa vie au Qatar.
« Mon salaire n’est pas bien haut, 1 250 riyals par mois [300 euros], sans le logement et la nourriture, qui sont pris en charge par mon employeur. Mais c’est mieux qu’au Ghana, c’est pour cela qu’on vient ici. Et puis, la situation s’améliore. Il y a cinq ans, si l’on demandait à changer d’emploi, on était renvoyé dans notre pays. Mais il y a quelques mois, grâce aux réformes du gouvernement, j’ai pu changer d’entreprise sans difficulté. Tous ces progrès, c’est grâce à la Coupe du monde et à la pression que les médias et les ONG de défense des droits de l’homme ont mise sur le Qatar. »
De l’autre côté de la ville, dans le quartier d’affaires de West Bay, Max Tuñon, le directeur de l’antenne locale de l’Organisation internationale du travail (OIT), ouverte en 2017, tient un discours à peu près similaire : « Il y a encore de nombreux défis, mais en matière de protection des travailleurs migrants, le Qatar a fait des pas remarquables. »
Les avancées ont été particulièrement lentes à venir. Alors que les autorités de Doha avaient promis d’abolir la kafala en 2015, ce n’est qu’en 2020, dix ans après le vote de la Fédération internationale de football (FIFA) attribuant à l’émirat le Mondial 2022, que ce système enchaînant les migrants à leur employeur, confinant à l’esclavage moderne, a été rayé de la législation.
La loi autorise désormais les deux millions de ressortissants d’Asie du Sud-Est et d’Afrique, à l’origine de la foudroyante modernisation de cette micromonarchie du Golfe, à quitter le pays et à changer d’emploi sans requérir au préalable la permission de leur patron.
« Mise en œuvre faible »
Le Qatar a aussi imposé en 2020 un salaire minimum obligatoire, fixé à 1 000 riyals, auxquels doivent s’ajoutent 300 riyals pour la nourriture et 500 pour le logement, s’ils ne sont pas fournis par l’employeur. « Quand je suis arrivé à Doha pour la première fois, il y a seize ans, j’étais payé 500 riyals par mois », confie Chandra, un Népalais de 35 ans, qui officie comme chauffeur dans une entreprise de détergent. « Aujourd’hui, j’en gagne 3 000 », ajoute ce migrant venu faire ses courses au centre commercial de Labour City.
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