Entreprise libérée : quand la libération vire à la guerre

Entreprise libérée : quand la libération vire à la guerre

Depuis cinquante ans, le groupe industriel Hervé, spécialisé dans le second œuvre du bâtiment, fonctionne selon un modèle participatif où le pouvoir est décentralisé entre les 3 100 salariés. « Ça repose sur la franchise, le respect, l’argumentation contradictoire entre les personnes pour arriver à un processus décisionnel où les salariés sont impliqués dans les décisions qui les concernent », précise Emmanuel Hervé, fils de l’instigateur de ce « management concertatif » et désormais PDG. Le groupe est composé de 200 équipes autonomes d’une quinzaine de salariés en moyenne, libres de choisir leur stratégie et animées par un « manageur d’activité ».

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Pendant plusieurs années, Thibaud Brière a contribué à éduquer les manageurs à la « vision » du père, Michel Hervé. « J’ai été engagé pour faire un travail de philosophe d’entreprise, j’enseignais leur philosophie, que je trouvais exaltante. » Emmanuel Hervé tient à préciser ce rôle : « Il était employé en qualité de directeur de l’une de nos filiales, Hervé Management, pour de la formation professionnelle et du conseil. » Mais en 2018, il est licencié pour insuffisance professionnelle, après avoir alerté sur la dérive du management vers un système manipulateur. « Il avait lancé une campagne de fake news, dans le mépris total des salariés. Il ment sciemment », assène Emmanuel Hervé. Deux procédures opposent le groupe Hervé à Thibaud Brière : l’entreprise a attaqué l’ex-salarié pour diffamation privée, et un contentieux aux prud’hommes est toujours en cours.

Globalement, l’ancien employé dénonce l’écart entre les apparences et la réalité de cette « démocratie ». Il constate notamment que la hiérarchie n’a pas été remise en cause dans les faits, et que le contrôle demeure, dans le cadre de réunions assez tendues. « La liberté critique dans le groupe est une fumisterie, une vitrine… déplore un autre ex-salarié. A l’intérieur tout n’est que mensonge et manipulation. » Il pointe une dérive sectaire. Le partage de l’information semble quant à lui servir les intérêts de la direction : dans l’entreprise, les manageurs sont régulièrement évalués par leurs équipes, à l’aide d’un questionnaire théoriquement anonyme.

« Idéologie en interne »

Le groupe Hervé nie encore une fois ces dérives, et reconnaît développer de grandes convictions sur la transparence, dans le cadre de son modèle. « On encourage chacun à dire ce qu’il pense, avec franchise et respect, affirme le président. On assume ce qu’on dit et on le dit en présence des personnes, ça permet de nuancer et d’être dans la complexité. Tout ce qu’il décrit est contraire à nos valeurs. Tous les représentants du personnel et syndicaux ont démenti en CSE [comité social et économique] », affirme enfin le patron. Plusieurs documents confirment en effet qu’une centaine de salariés ont démenti les faits décrits par M. Brière.

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LJD

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