La violence vient de l’organisation
Chronique « Carnet de bureau ». La Cour de cassation a confirmé le 23 octobre le licenciement pour faute grave d’un cadre d’Airbus qui, lors d’un programme de team building, voulait forcer un salarié à marcher pieds nus sur du verre brisé. Le salarié, après être sorti en larmes, a « été obligé de donner les raisons de son refus », précise l’arrêt. Il a décidé d’exercer son droit d’alerte, qui a abouti au licenciement du manageur.
Un rescapé du Bataclan, salarié de Publicis, est en arrêt maladie et en attente d’une décision le 21 janvier 2020. Il a saisi les prud’hommes, après un nouveau choc : sur son lieu de travail, il s’est retrouvé « nez à nez avec un terroriste de pacotille », dans une simulation d’attentat organisée par son employeur.
Marche forcée sur du verre pilé pour booster la motivation, kalachnikov dans le couloir pour tester la sécurité… la violence au travail est « un risque systémique », révèle l’Institut national d’études démographiques (INED, « Violences et rapports de genre », à paraître en mars 2020). Derrière les initiatives coupables des auteurs, l’organisation a sa part de responsabilité.
L’enquête de l’INED, menée auprès de 17 333 personnes (45,6 % d’hommes, 54,4 % de femmes) de 41,3 ans en moyenne, a recensé les violences sur le lieu de travail, leurs fréquences, leur gravité, les circonstances et les caractéristiques des victimes et des agresseurs(euses). Les salariés des affaires Airbus et Publicis pourront s’y reconnaître.
Insultes, pressions, violences
L’enjeu est d’importance. Au cours des douze mois précédant l’enquête, 20,1 % des femmes et 15,5 % des hommes ont été victimes d’au moins un fait de violence. Grosso modo, un salarié sur cinq aurait subi au moins une insulte ou des pressions psychologiques, une atteinte à son activité de travail, une violence physique ou sexuelle.
Les insultes et les pressions psychologiques (humiliations, dénigrements, menaces) sont les violences les plus fréquemment constatées, suivies par les atteintes à l’activité professionnelle : sabotage, mise à l’écart, injonction de tâches inutiles, d’horaires injustifiés, ou changement inapproprié de lieu de travail. Près de 80 % des victimes témoignent de violences multiples, confirmant le risque systémique.
« Pour les insultes et pressions psychologiques (…), les auteurs appartiennent avant tout à la hiérarchie », indique l’INED. Fournisseurs, public et clients sont davantage impliqués dans les violences physiques. Mais les subordonnés sont rarement mis en cause, « ce qui inscrit bien la violence au travail comme une forme d’expression et de maintien des rapports de force », analysent les deux chercheuses, la sociologue Sylvie Cromer et la psychologue Adeline Raymond. La surreprésentation parmi les victimes des plus jeunes (20-29 ans), des contrats précaires et des fonctionnaires établit le lien entre violence et subordination.