La mise en place des CSE redistribue les rôles dans la négociation d’entreprise

La mise en place des CSE redistribue les rôles dans la négociation d’entreprise

« De leur échange d’expériences émerge une diversification des modalités de dialogue social, liée à l’anticipation du changement, la taille de l’entreprise, la répartition des dossiers et la prise en charge (ou non) de la professionnalisation des représentants du personnel. »
« De leur échange d’expériences émerge une diversification des modalités de dialogue social, liée à l’anticipation du changement, la taille de l’entreprise, la répartition des dossiers et la prise en charge (ou non) de la professionnalisation des représentants du personnel. » Ingram / Photononstop

Au 1er janvier 2020, toutes les entreprises d’au moins onze salariés sont tenues d’avoir organisé leur comité social et économique (CSE). La nouvelle instance représentative des salariés fusionne les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Faute de CSE au 1er janvier, les salariés ne seront plus représentés et le dialogue social sera suspendu. C’est ce qu’ont fixé les ordonnances Macron de 2017. En septembre, la moitié des entreprises n’avaient pas encore mis en place leur nouvelle instance unique du dialogue social. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a toutefois rejeté le 7 novembre tout report d’échéance, jugeant que les entreprises avaient « eu le temps » de se préparer.

Les représentants des ressources humaines, réunis mardi 19 novembre à la Maison de l’Amérique latine pour les Rencontres RH (le rendez-vous « management » du Monde organisé en partenariat avec Leboncoin), ont majoritairement mis en place leur CSE. De leur échange d’expériences émerge une diversification des modalités de dialogue social, liée à l’anticipation du changement, la taille de l’entreprise, la répartition des dossiers et la prise en charge (ou non) de la professionnalisation des représentants du personnel.

Une première dichotomie est apparue dès l’ouverture des débats entre les très grandes entreprises et les autres pour organiser les élections. « Au premier tour, on n’arrive pas à avoir assez de candidats, on se retrouve dans certains collèges en manque de représentants », témoigne Laurence Breton Kueny, la DRH d’Afnor, qui vient de tenir son premier CSE le 15 novembre.

Séances de négociations rallongées

Au Théâtre Mogador, face au manque de permanents, « on a négocié une réduction du nombre de sièges et reproduit le mode de négociation précédent », explique Davone Fonteneau, la DRH. Dans les structures atomisées de l’intérim, c’est la caricature. A la tête de 27 000 équivalents temps plein (ETP) dans ses sociétés clientes, mais de 1 300 salariés permanents répartis dans 270 agences, Sébastien Guiragossian, DRH d’Adéquat, a bien organisé quelques élections, mais « le taux de participation a été de 3 % à 4 %, avec beaucoup de postes vacants ». Faute de candidat, l’entreprise est tenue d’établir un procès-verbal de carence. Ces trois entreprises ne se sont pas vraiment éloignées de l’existant.

AXA, SFR Business ou HSBC n’ont pas eu ce problème. « Dans les réunions, on fait salle comble à chaque fois. On n’a pas de problème de vocations », indique Didier Jauliac, DRH de SFR Business, qui a mis en place son CSE depuis juin. En revanche, les séances de négociations sont rallongées : « On a onze CSE par an, d’une journée, voire plus, à chaque fois. » Même conséquence pour l’assureur AXA.

Sodexo détenait le record du tour de table des DRH : « On a prévu des réunions de trois jours tous les mois, car nos sociétés, qui ont leur entité juridique propre et leur propre histoire, vont être réunies dans un CSE unique, et il sera le seul à pouvoir régler les très nombreux problèmes d’inaptitudes », explique la DRH, Emmanuelle Carrié. Ils étaient jusqu’alors réglés par les délégués du personnel.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Représentation des salariés : des leaders syndicaux demandent un délai à Mme Pénicaud pour mettre en place le comité social et économique (CSE)

Sur les objectifs du législateur, rappelés par l’économiste du travail Thomas Breda, « la simplification du mille-feuille des instances représentatives » a toutefois été saluée par la majorité des DRH présents, même si le gain en efficacité varie, selon les entreprises et leur secteur d’activité. C’est dans « la marge donnée aux entreprises pour négocier au plus près du terrain [le deuxième objectif] » que les modalités de négociation se diversifient.

Les entreprises ont eu le choix de réorganiser le dialogue social au niveau national et local, pour chaque établissement, et en fonction de la nature des négociations. « On a une dizaine d’établissements avec des représentants de proximité. Localement, ils sont nos capteurs pour les droits d’alerte », illustre Didier Jauliac. Dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, le CSE peut être composé de plusieurs commissions de proximité comme la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ou la commission de l’égalité professionnelle, par exemple. « Certaines entreprises ont reproduit l’existant, d’autres pour être efficaces ont fait a minima et les dernières s’inscrivant dans une logique de rupture ont tout remis à plat », explique Thomas Breda.

Un an pour se préparer

AXA comme la Réunion des musées nationaux (RMN) affirment être repartis d’une page blanche. Ils ont pris au moins un an pour se préparer, ce qui leur a permis d’affiner l’attribution des dossiers. « Au début, on s’est un peu cherché sur les prérogatives de chacun, on a été très itératif, raconte Sibylle Quéré-Becker, directrice des relations sociales d’AXA. Puis on a formé les représentants pour fonctionner en deux parties : les sujets métiers attribués au CSE et les questions d’implantation et ceux anciennement à la charge des délégués du personnel aux commissions de proximité. »

A la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, « on a mis en place des représentants de proximité sur les 40 implantations pour avoir une représentation transversale. Le CSE est généraliste et les commissions plus techniques. Pour articuler CSE et CSSCT, l’agenda des réunions doit être bien cadencé », remarque la DRH Noëlle de La Loge. Une mauvaise articulation peut se faire aux dépens des prérogatives des CSSCT, remarque Thomas Breda.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Dernière ligne droite pour la « mise en place du CSE » dans les entreprises

Enfin, la mobilisation des manageurs locaux sort renforcée de ces réorganisations. L’objectif d’HSBC est de créer un circuit d’information le plus fluide possible. Le CSE unique compte 32 membres et 53 représentants de proximité font des points d’étape et se réunissent en commissions bisannuelles. L’idée étant que « tous les problèmes locaux soient réglés le plus en amont possible par les manageurs eux-mêmes », explique Philippe Saquet, le directeur des relations sociales d’HSBC.

Leur premier CSE devrait être mis en place le 5 décembre. Rémy Cointreau, qui a tenu sa première séance en avril, a même fait le pari « d’éliminer progressivement toutes les questions des ex-DP et qu’elles soient directement réglées par les manageurs de proximité. Il y a un effort de pédagogie à faire », précise le DRH, Marc-Henri Bernard. « Il y a eu très peu d’accord CSE innovants, conclut Thomas Breda. On assiste à un façonnement des représentants par les RH. Tout est au bon vouloir de l’employeur. » Le risque inhérent est que ce soit aux dépens de la représentation des salariés.

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.