« La nature de l’autorité au sein des entreprises est en train de changer »
Les salariés en quête de sens et d’autonomie ne peuvent plus légitimer des dirigeants d’entreprises parés de leur seule position hiérarchique et ignorant la réalité du travail, observe, dans une tribune au « Monde », Thibaut Champey, lui-même directeur général d’un site de stockage et de partage de fichiers.
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Tribune. L’ambiance au sein des entreprises serait-elle devenue quasi insurrectionnelle ? 88 % des Français jugent qu’il y a trop de « “petits chefs” abusant de leur autorité » dans les entreprises, selon une étude d’OpinionWay pour Dropbox réalisée en mai ; 54 % des salariés estiment qu’il y a trop de chefs, selon une autre étude d’Opinion Way pour Lumio.
Les salariés sont-ils pour autant en révolte ouverte ? Non. Selon ces études, huit Français sur dix estiment que l’autorité en entreprise est respectée, et les deux tiers des salariés ressentent même le besoin de davantage d’autorité dans l’entreprise. Face à cette contradiction apparente, les directions restent perplexes.
Pourtant, le message est on ne peut plus clair pour qui veut bien l’entendre : il existe bien un ras-le-bol des salariés face à une certaine forme d’autorité – une autorité aveugle, sans connaissance du métier du salarié sur laquelle elle s’exerce, focalisée sur les objectifs plutôt que sur les solutions. Ce manager-là, presque tous les Français en ont connu un et il a souvent été caricaturé. Impulsif, autoritaire, on l’imagine volontiers se gargariser de ses titres et des signes extérieurs de sa fonction. C’est précisément ce que les salariés dénoncent.
Compétence
La nature même de l’autorité au sein des entreprises est en train de changer. Les fondements traditionnels de la légitimité, tels que le titre, la détention du capital, ou l’âge, sont proches de ne plus valoir un kopeck. Un rapport de force s’est subrepticement inversé : il faut désormais faire preuve de sa compétence auprès des salariés, et d’une capacité à mobiliser les ressources suffisante pour qu’ils suivent le mouvement.
Un mouvement que confirme la sociologue Danièle Linhart, qui estime dans une interview au Monde (« Les responsables du bonheur en entreprise ne soignent pas la souffrance au travail à sa source », Le Monde du 23 mars) que « les salariés, et notamment les plus jeunes, demandent à leur hiérarchie de l’expertise et de la compétence, d’avoir une connaissance réelle des métiers de leurs subordonnés et de pouvoir les aider à trouver des solutions quand se posent des problèmes professionnels ». Le supérieur n’est plus seulement suivi parce qu’il est le chef ; il l’est parce que ses salariés le reconnaissent comme étant le meilleur à cette place, tout simplement. Position inconfortable pour celui qui s’était habitué à ce que seuls les autres aient à faire leurs preuves…