Qu’est-ce qu’un directeur de gauche
La distance entre la morale et les pratiques demeure la marque de l’usine des « patrons de gauche », développent un sociologue et un syndicaliste.
Ce ne sont pas les plus abondant ni les plus perceptibles, on les voit peu dans les débats et les médias, ce sont les chefs et patronnes de gauche. A mi-chemin entre des valeurs progressistes, parfois même anticapitalistes, et une position de chef de la société où la logique de marché reste prédominante, ces patrons échappent souvent aux radars.
Alors que pour un travailleur « de gauche », œuvrer pour l’un d’entre eux devrait être l’emploi idéal, la réalité révèle parfois amère. Nous avons consulté une vingtaine de personnes sur leurs expériences de travail dans des coopératives, des associations et des sociétés de l’économie sociale, mais aussi des syndicats, des médias ou encore comme attachés parlementaires d’élus de gauche, afin de débarrasser quelques enseignements sur le profil et le conduite de « patrons de gauche ».
« Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » C’est la première caractéristique des patrons de gauche : il y a fréquemment chez eux un espacement entre l’éthique affichée et les pratiques. Comme le raconte un ancien assistant parlementaire : « Mon élu défendait le droit au repos dominical dans l’Hémicycle, mais il faisait parfois travailler son équipe toute la semaine, dimanche compris, sans même accorder un repos le lundi. »
Une position délicate
Quoi qu’on puisse en dire, « être de gauche » ne défend pas des mauvaises pratiques patronales : horaires irréguliers, harcèlement professionnel, embauche des « petits jeunes » corvéables à merci, salariés changés par des stagiaires, rétribution affinitaire, absence de transparence, etc. Il arrive aussi que les patrons de gauche, comme les patrons tout court, soient de mauvais patrons.
En plus des abus d’autorité, le décalage entre éthique et pratique pose ici une gêne supplémentaire pour les salariés. Travailler pour un patron ouvertement « de gauche » n’est pas anodin : c’est souvent partager ses idées politiques. Or, comme le mentionne Michel Gollac (« Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail », rapport au ministre du travail, avril 2011) les conflits de valeurs sont source de malaises, abaissent l’image du métier aux yeux des salariés, alimentent le sentiment d’inutilité du travail.
Une autre caractéristique de ces patrons est souvent de ne pas s’assumer comme employeurs, d’être mal à l’aise dans la relation de subordination avec leurs salariés et de faire comme si les hiérarchies salariales avaient disparu en poursuivant à s’appeler « camarade ». Une parlementaire va par exemple jusqu’à contester les hiérarchies salariales et revendique d’avoir créé un mode nouveau de gestion « sans chef », « horizontal et participatif ».