Dans les quartiers Nord de Marseille, les salariés d’un McDo se battent pour sauver leur emploi
Pour Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, c’est « un petit frère de Florange » qui se prépare, avec des « licenciements cachés par une liquidation insidieusement déguisée en rachat ». Les 77 salariés du McDonald’s Saint-Barthélémy, dans les quartiers Nord de Marseille, vivent dans la hantise du chômage depuis l’annonce de la transformation de leur établissement en « halal asiatique ».
Avec le refus du tribunal de grande instance de Marseille, vendredi 3 août, de prolonger le délai de consultation du comité d’entreprise au-delà de mardi minuit, la fin de ce « McDo » inauguré en 1992 semble imminente. Mais les salariés sont loin de désarmer. « Cette décision n’enlève pas son caractère frauduleux au projet de cession (…) et nous finirons par obtenir l’annulation de la vente devant la justice », assurent-ils dans un communiqué.
« Cette reprise, c’est du vent, McDonald’s veut juste éviter de payer un plan social », s’insurge auprès de l’Agence France-Presse Kamel Guemari, sous-directeur du restaurant et secrétaire départemental adjoint FO de la restauration rapide. « En attendant, c’est nous qui avons les salariés en pleurs à 1 heure du matin. Le numéro vert de la cellule psychologique, c’est bidon, il n’y a jamais personne au bout du fil », accuse-t-il, vidéo à l’appui.
Selon Jean-Pierre Brochiero, actuel franchisé du McDonald’s Saint-Barthélémy, à 50-50 avec McDonald’s France, ce restaurant des quartiers Nord est déficitaire, avec 3,3 millions d’euros de perte depuis 2009. Et ce malgré les 404 000 euros touchés en 2014 en compensation des travaux de la L2, une rocade de contournement de Marseille en chantier depuis dix ans, qui longe le restaurant.
Des chiffres récusés par Christophe Lomonaco, ex-directeur du McDonald’s de Saint-Barthélémy, aujourd’hui à Plan-de-Campagne, un des cinq autres « McDo » de M. Brochiero qui vont rester sous l’enseigne américaine, mais avec un autre franchisé : « McDonald’s a touché 500 000 euros par an pour la L2, si on en tient compte Saint-Barthélémy est positif ».
Une reconversion vers le halal qui ne convainc pas
Zora, 47 ans, divorcée et mère de deux enfants, est une des 77 salariés menacés. En CDI à plein temps, comme 55 de ses collègues. Une rareté dans un modèle McDo qui fonctionne largement avec des temps partiels, souvent étudiants. « Le soir, on n’arrive pas à dormir. Et si on dort, on fait des cauchemars », raconte-t-elle.
« McDo veut se débarrasser du dernier village gaulois », accuse Salim Grabsi, professeur dans le quartier et membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SDQPM) : « Sinon pourquoi refuser de reclasser ces salariés dans les autres McDo marseillais ? »
Ce McDo est le deuxième employeur privé des quartiers Nord, derrière un hypermarché Carrefour. D’où sa mobilisation, et la visite sur place de Jean-Luc Mélenchon ou du secrétaire départemental du Parti communiste.
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Si M. Brochiero parle de « projet de la dernière chance », soulignant les 500 000 euros de travaux prévus par Hali Food, le repreneur, et les 70 emplois préservés dans ce tournant vers « la restauration ethnique », « au cœur d’un quartier à forte concentration musulmane », peu croient à cette reconversion vers le halal.
« Le jour de l’Aïd, tous les gamins viennent au McDo au lieu d’aller manger le couscous de la grand-mère », assure Karima Berriche, du SDQPM : « C’est la cantine du quartier, ça remplace même la cantine scolaire quand ils sont en grève ! »
« Le poumon du quartier »
« C’est le poumon du quartier », insiste Aïcha, 49 ans, chez McDo depuis vingt-cinq ans. « Notre deuxième maison », lâche Cécile, 55 ans, « équipière polyvalente » depuis vingt-quatre ans : « Ici j’ai fêté l’anniversaire de tous les enfants du quartier ».
Des gamins au parcours parfois difficile. « Une trentaine de jeunes sortis de prison sont passés ici pour se recaser », estime Kamel Guemari, chez McDo depuis 1998, à 16 ans : « Le juge d’application des peines jouait le jeu avec nous ». « Mais il n’y a pas que ça », insiste Farida, une cliente venue avec ses enfants : « Le quartier, sans le McDo, ce sera le désert. Quand on veut se donner un rendez-vous, c’est ici. Il n’y a rien d’autre… »
A quelques mètres, le mini-centre commercial du quartier n’attend plus que d’être rasé. Et les rideaux de fer sont baissés sur la boulangerie, la boucherie et le salon de coiffure.
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