Loi Pacte : « Faire le défi de la réussite de l’entrepreneur instruit n’est plus supportable »
Pour que les sociétés continuent à acquitter les innovations qui représenteront notre monde meilleur, elles nécessitent être juridiquement défendues contre le court-termisme des actionnaires, plaide Blanche Segrestin, professeure de gestion.
La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) est maintenant en seconde lecture à l’Assemblée nationale, après son vote au Sénat. Elle prévoit, entre autres, une modification de la définition juridique de la « société ». Professeure de gestion à Mines ParisTech, Blanche Segrestin développe les imputations de ce changement pour les sociétés. Elle codirige, avec Armand Hatchuel, la chaire « Théorie de l’entreprise. Modèles de gouvernance et création collective » et a publié avec Kevin Levillain La Mission de l’entreprise responsable. Origines et normes de gestion (Presses des Mines, 2018).
Députés et sénateurs ne sont pas d’accord sur la récente formulation de l’article 1833 du code civil qui définit le statut de « société », selon lequel celle-ci doit être gérée « dans l’intérêt commun des associés ». L’article 61 de cette loi ajoute que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Quel est la participation de ce débat d’apparence exclusivement juridique ?
La crise de 2008 a mis en certitude le fait que, depuis le début des années 1980, les entreprises ont vecu une « déformation » de leur gouvernance, conséquence de ce que les chercheurs appellent « l’industrialisation de l’actionnariat », qui a consolidé les grands investisseurs institutionnels et les a simulés de techniques professionnelles destinées à optimiser leurs bénéfices. La critique s’est faite à peu près unanime pour révoquer les effets négatifs de la focalisation des entreprises autour du cours de Bourse et du court terme sur l’emploi et l’environnement, mais aussi sur la constance des entreprises elles-mêmes.
Mais cette critique ne suffit pas : la difficulté est que le statut juridique présent de la société peut être contraire par des actionnaires activistes aux entreprises qui convoiteraient opter une conduite plus responsable en matière sociale ou environnementale aux dépens de la profitabilité immédiate. Actuellement, la capacité des entreprises à innover face aux défis sociaux et climatiques est un point critique : or cette capacité n’est pas protégée par le droit. Lorsque, au XIXe siècle, il s’agissait de mobiliser d’importants moyens de production pour offrir de nouveaux biens et services, c’était cohérent. Mais cette logique a dissimulé le fait que les entreprises ne sont pas seulement des producteurs ; elles ont investi le champ de la science, de l’innovation, elles changent le monde dans lequel nous vivons, et ont en cela une implication collective, celle d’investir dans des futurs désirables.