« Santé et travail, paroles de chômeurs » : être en recherche d’emploi, une « vallée de désespoir »
C’est un impensé des politiques publiques, mais aussi des cénacles de la recherche académique. La relation entre le chômage et la santé n’a jamais pu s’imposer comme un enjeu de santé publique digne d’attention, malgré des statistiques alarmantes : 14 000 décès seraient imputables au chômage chaque année, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2016.
« Qui s’intéresse aux chômeurs ? (…) Que sait-on des vies qui se déroulent lors de ce temps de suspension de l’activité professionnelle ? » Palliant le manque d’intérêt pour le sujet, un ouvrage, Santé et travail, paroles de chômeurs (Erès), offre une plongée dans le quotidien des demandeurs d’emploi, fruit d’une recherche-action d’ampleur menée sur plus de deux ans.
Sous la direction de Dominique Lhuilier, professeure émérite en psychologie du travail, Dominique Gelpe, docteur en psychologie, et Anne-Marie Waser, sociologue, ces travaux nous proposent d’explorer cette « zone d’invisibilisation majeure », parfois associée hâtivement à une période d’oisiveté pour des « tire-au-flanc » qui « viv[raient] aux crochets de la société ». Les témoignages rapportés dans l’ouvrage mettent au contraire en lumière les douleurs et les doutes des demandeurs d’emploi, leur santé fragilisée, les impasses auxquelles ils font face, les addictions dans lesquelles, parfois, ils s’enferment.
Les auteurs font preuve de nuance. Ils évoquent, aussi, des cas où le temps du chômage peut être mis à profit pour « prendre soin de soi », trouver de nouvelles voies d’épanouissement personnel – temps passé avec des enfants, activités bénévoles… Bien souvent, toutefois, la souffrance domine. C’est le cas pour Paul, cadre de 55 ans, dont le corps, épuisé, a « lâché » à plusieurs reprises durant sa carrière, en raison d’un « surinvestissement au travail ». Il parle du chômage comme d’une « vallée de désespoir », un terrain d’« humiliation », où il a la sensation d’être « dans les pattes de la société », et d’ennuyer son entourage lorsqu’il évoque sa situation.
« Perte d’identité virile »
« Vous n’êtes plus le même bonhomme ! », juge-t-il. Une situation douloureuse à plus d’un titre : à la perte d’estime de soi qui accompagne l’absence d’emploi s’ajoute, pour certains chômeurs, la peur de retrouver le chemin de l’entreprise. « Je suis tétanisée à l’idée de retourner travailler », reconnaît une demandeuse d’emploi.
Les auteurs soulignent en outre que le chômage peut avoir des impacts variables en fonction du genre. « L’emploi est l’instrument de l’émancipation des femmes ; son absence ou sa précarité menacent l’autonomie et exposent à la dépendance économique », notent-ils. Elles sont tout particulièrement touchées par l’isolement social durant ces périodes. « La perte d’emploi au masculin est plus souvent liée à “la honte” », parfois synonyme de « perte d’identité virile ». « Je ne me sens plus un mec », explique Fabrice, 44 ans.
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