Le manageur et le gréviste
Droit social. Si le droit de grève suspend l’exécution du contrat de travail, il surprend souvent le manageur, déconcerté par cette singulière et souvent brève parenthèse dans les rapports d’autorité. A fortiori car la grève étant moyen de pression mais aussi d’expression, les dynamiques collectives s’éloignent parfois de la somme de « personnes prudentes et avisées » chères à notre code civil.
A fortiori en France, au droit de grève si particulier : un droit individuel, exercé collectivement. Des non-syndiqués peuvent à tout moment en déclencher, contrairement à nos services publics et à la plupart des pays étrangers, où c’est nécessairement un syndicat qui déclenche et encadre le conflit, et où il n’existe donc pas de « grève surprise » (aucun préavis) ni de « grève sauvage ».
De quoi mettre rapidement le cadre en difficulté à l’égard de clients ou fournisseurs mécontents, mais également des non-grévistes. Car une grève interne n’est pas un cas de force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de ses obligations. Si le recours à des travailleurs temporaires ou en contrat à durée déterminée pour remplacer des grévistes constitue un délit pénal, rien n’interdit de muter des non-grévistes. En droit : car certains refusent cette mutation, se déclarant immédiatement grévistes pour le faire sans risque d’insubordination. En plein rapport de force…
La question de l’argent étant souvent le nerf de la grève, regardons le droit des contrats. Pas de travail, pas de salaire : c’est un exercice coûteux. Mais l’abattement doit être strictement proportionnel à la durée de l’arrêt de travail, et pas aux conséquences finales sur la production ; de quoi susciter des tactiques de grèves courtes mettant à l’épreuve les nerfs de l’encadrement.
La « grève froide »
Venons-en à l’exercice du pouvoir disciplinaire. « Le puissant voit souvent révolte là où n’existe que refus de la subordination » ; la sentence prêtée au cardinal de Retz reste vivante. Mais à l’exercice normal d’un droit constitutionnel est naturellement liée une immunité disciplinaire : « L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié » (L. 2511-1).
Immunité dont la Cour de cassation a une vision panoramique. Ainsi, dans son arrêt du 23 novembre 2022, un manageur appelle ses subordonnés à faire grève, mais aucune grève ne suit. Licencié pour faute, il invoque alors la protection constitutionnelle, refusée par les prud’hommes puis par la cour d’appel de Paris, car il n’avait jamais été « gréviste ». Cassation : est nul « tout licenciement prononcé à raison d’un fait commis au cours ou à l’occasion de l’exercice du droit de grève, qui ne peut être qualifié de faute lourde ». Si l’on comprend le but du juge, on cherche « l’exercice du droit ».
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