Peut-on être aux ordres et responsable ?
« Faire le ménage » n’a pas la même signification dans une entreprise de propreté et dans une division où arrive un nouveau patron. Un directeur informatique est licencié pour faute grave : « Vous avez instauré un climat de tension et de peur, avec une volonté affichée d’éliminer l’ancienne équipe au profit de collaborateurs embauchés par vous, plaçant par votre comportement Mme G. au bord de la dépression », justifie la direction. Une caricature de harcèlement managérial, notion certes floue au pays de la subordination, mais maladie hiérarchiquement contagieuse quand la concurrence devient féroce.
Le directeur informatique saisit alors la justice pour contester la gravité de sa faute, car c’est « en lien étroit avec sa hiérarchie qu’il avait conduit la réorganisation ». Ni faute grave ni même, en l’espèce, faute réelle et sérieuse, affirme la Cour de cassation le 12 juillet 2022. « Résultat d’une position managériale partagée et encouragée par l’ensemble de ses supérieurs hiérarchiques, le comportement de M. X ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise », précise l’arrêt.
L’entreprise est condamnée à verser 24 120 euros de préavis, 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement non fondé et même 10 000 euros pour les conditions vexatoires de cette rupture. Il paraît logique qu’un employeur, responsable de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs, ne puisse reprocher une « faute » à un cadre dont il a soutenu les errements.
Cette décision voulant sanctionner les hautes directions jouant les Ponce Pilate paraît plus protectrice de l’encadrement que celle du 8 mars 2017, où la responsable RH d’un magasin avait été licenciée, parce qu’elle était restée inactive alors que le directeur créait « un climat de terreur et d’humiliations ». La Cour de cassation avait validé son licenciement, estimant qu’« en cautionnant les méthodes managériales inacceptables du directeur avec lequel elle travaillait en très étroite collaboration, et en les laissant perdurer, Mme X avait manqué à ses obligations contractuelles et mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés ». Plus facile à dire qu’à faire, quand de bons soldats sont dirigés par de petits chefs.
Mais, au-delà de l’aspect disciplinaire, existent aussi les très inquiétantes responsabilités civile et pénale. Le manageur fautif peut-il être poursuivi en dommages-intérêts par l’un de ses collègues-victimes, alors que l’employeur est civilement responsable de ses salariés ? « Fussent-ils commis dans l’intérêt, voire sur les ordres de l’employeur, ces faits nécessairement intentionnels engagent la responsabilité personnelle du salarié qui s’en rend coupable à l’égard de ses subordonnés. » L’arrêt de la chambre sociale du 10 novembre 2010 est hélas ignoré des manageurs ayant benoîtement cru au : « T’inquiète pas : en cas de problème, on te couvre ! » Mais ces poursuites sont rares.
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