« La Raison économique et ses monstres », d’Eloi Laurent : renverser le mythe de la croissance
« Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Dans l’épigraphe de son ouvrage La Raison économique et ses monstres (Les liens qui libèrent), l’économiste Eloi Laurent convoque l’artiste espagnol Francisco de Goya (1746-1828), citant le nom de l’une de ses gravures. Une manière de nous inviter à nous interroger sur la notion de léthargie, celle dans laquelle serait plongé le débat économique contemporain. Celle, aussi, dont pourrait être victime le lecteur lui-même, face à une « pensée dominante » centrée sur la croissance.
A-t-on encore prise sur les choix économiques ? L’auteur, qui enseigne notamment à Sciences Po et à l’université de Stanford (Californie), répond par l’affirmative dans un essai bref et au rythme enlevé, qui représente le troisième volume de ses « Mythologies économiques ». Ces choix ne sont pas, selon lui, « des vérités scientifiques qui s’imposeraient à nous comme les lois de la physique ou de la biologie ». A la résignation qui a pu gagner certains cercles, il oppose la capacité d’action et la possibilité de changer de cap. Il l’assure : « L’économie, c’est nous. »
Ce changement est une urgence, à ses yeux, tant « nos systèmes économiques aggravent les chocs écologiques d’une main et affaiblissent les institutions qui pourraient nous en protéger de l’autre ». Pour l’engager, une étape préalable s’impose : déconstruire le récit actuel, fait de « mythologies » et d’« apparences » dont il convient de se « désintoxiquer ».
L’économie prend au fil des pages la forme d’un « monstre mythologique », d’une « chimère à trois têtes ». « La première, la tête de chèvre, ânonne sans fin le présent : nous devons réformer pour performer », explique Eloi Laurent. C’est la vision du néolibéralisme. Une vision mise à mal selon lui par l’épidémie de Covid-19, qui a consacré « le triomphe de l’Etat-providence ».
L’apparence d’un serpent
L’auteur souligne que, conséquence de la crise sanitaire, « ce sont des indicateurs de santé-environnement qui doivent désormais gouverner l’économie ».
La deuxième tête du « monstre » prend l’apparence d’un serpent. Elle « ressasse le passé et crache son venin nostalgique : nous devons nous venger de notre déclin ». Derrière elle se cache la social-xénophobie, une idéologie qui estime que « la submersion prochaine du modèle social [justifierait] de le défendre contre les profiteurs étrangers ». L’auteur démonte cette théorie, soulignant notamment l’attachement des Français à la solidarité sociale.
La troisième tête qui émerge de l’essai d’Eloi Laurent est celle d’un lion. Il « brûle l’avenir de son souffle ardent : nous devons consommer, en nous consumant ». Telle est la description de l’écolo-scepticisme. La transition écologique s’annonce « horriblement coûteuse » ? L’auteur assure que « c’est la non-transition écologique qui est hors de prix ».
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