Ukraine : la « raison d’être » des entreprises à l’épreuve de la guerre
Entreprises. Interrogé sur la guerre en Ukraine, lundi 14 mars, sur France Inter, le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a demandé aux entreprises installées en Russie de dépasser le seul intérêt de leurs actionnaires et de s’appuyer sur leur « raison d’être » pour décider de la conduite à tenir pendant le conflit.
Inscrite dans le droit par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, la « raison d’être » d’une entreprise stipule « les principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (article 1835 du code civil). Conçue en temps de paix, cette disposition permet aux entreprises de préciser leurs engagements sociaux et environnementaux, mais peut-elle aussi éclairer les décisions difficiles à prendre en situation de conflit armé ?
Les guerres posent aux entreprises des dilemmes de plusieurs types. Les plus connus sont ceux qui émergent lors des périodes d’occupation. Sous la botte nazie, fallait-il se saborder ou continuer à produire ? En poursuivant l’activité, l’intérêt des actionnaires rejoignait celui de l’occupant, mais la préservation de l’appareil de production préparait aussi le futur de la nation libérée.
En revanche, sauf réquisition, la raison d’être devrait exclure de servir l’appareil militaire de l’occupant, car de telles collaborations ont conduit à disqualifier de nombreuses entreprises après la Libération.
Cependant, la mondialisation a plongé les entreprises dans des guerres (Rwanda, Syrie, Afghanistan) hors de leur territoire national (cf. « Les entreprises et la guerre : vers la responsabilité géopolitique des entreprises ? », Nathalie Belhoste et Bastien Nivet, La Revue internationale et stratégique, 2018/3, n° 111, p. 16-25). Aujourd’hui, il en va de même avec la guerre en Ukraine, où les entreprises affrontent des responsabilités différentes : faut-il partir de Russie ou y rester ?
Le diktat cynique de la rentabilité
La raison d’être devrait inviter le plus souvent à partir. Car celle-ci engage l’entreprise à servir des enjeux sociaux et environnementaux ou à respecter les droits humains fondamentaux. Or, si l’Etat lui-même viole radicalement ces enjeux et ces droits, l’entreprise sera entravée dans la réalisation de ses objectifs et niée dans sa propre identité. Rester en activité compromettrait en outre l’ensemble de son activité mondiale, alors que le choix de partir, au nom de sa raison d’être, sera clairement compris de ses parties prenantes. A ce jour, avec ou sans raison d’être, un grand nombre d’entreprises installées en Russie ont choisi de partir ou de suspendre leur activité.
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