Procès Deliveroo : Arthur, Simon, Edouard, témoins d’une d’époque révolue des coursiers
Ils se prénomment Arthur, Ilan, Ludovic, Kevin, Simon, Edouard, ont la trentaine, s’expriment avec aisance et ont travaillé pour Deliveroo entre 2015 et 2018. Ils étaient étudiants, intermittents du spectacle, en attente d’un emploi, et pour la plupart, vivaient leur première expérience professionnelle. De la plate-forme, ils gardent un souvenir amer, qu’ils sont venus raconter, mercredi 9 mars, devant le tribunal correctionnel de Paris. Tous se sont constitués parties civiles, aux côtés de plus de deux cents autres coursiers, représentés par Me Kevin Mention, qui les défend depuis 2016, et des syndicats SUD et CGT.
Arthur Hay a travaillé pour Deliveroo à Bordeaux pendant un an, de 2016 à 2017, et fait partie des premiers à avoir engagé des actions contre la plate-forme. « On a commencé à se réunir chaque semaine dans un magasin de vélo, a-t-il raconté. On était une dizaine, on découvrait le monde du travail, en fait. Pour dénoncer nos contrats de travail, on a lancé une opération escargot, c’est-à-dire qu’on a simplement respecté le code de la route pendant nos livraisons… »
Mineurs ou sans-papiers
Pour lui, comme pour Edouard Bernasse et Ludovic Boison, l’expérience a été la genèse d’un engagement militant. Arthur est toujours coursier mais dans une société coopérative et il est devenu délégué syndical CGT. Ludovic est lui aussi resté coursier « auprès d’une société qui salarie ses employés » et milite également à la CGT. Edouard, collaborateur d’un sénateur communiste, est secrétaire général du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP). Des témoignages qui ne représentent qu’une minorité des milliers de coursiers arpentant à vélo ou en scooter les grandes agglomérations, leur sac isotherme sur le dos, et qui ont offert à l’avocat de Deliveroo, Me Antonin Levy, l’occasion de dénoncer « les airs de forum politique » pris par le procès. Ils racontent surtout une époque révolue, celle des débuts de Deliveroo, qui ne correspond plus à ce que l’on observe aujourd’hui.
L’un des témoins est d’ailleurs le premier à en convenir : « Avant, on prêtait son compte à un copain. Aujourd’hui, les livreurs filent leur numéro à un mineur ou à un sans-papiers. » Ceux-là, que l’on voit circuler sur des vélos en libre-service, ou qui se partagent à plusieurs l’abonnement au vélo électrique d’un tiers, en échange du versement d’une commission, n’étaient pas représentés au procès Deliveroo. Ils constituent la nouvelle infanterie de livreurs, qui permet aux plates-formes de se prévaloir à juste titre de donner du travail à une population rejetée partout ailleurs. Mais qui, comme l’a observé Me Eric Gaftarnik, avocat du Syndicat national des transports légers (SNTL) – celui de la « logistique du dernier kilomètre » – explique aussi la bienveillance des pouvoirs publics à l’égard de ces plates-formes qui permettent de « baisser les chiffres du chômage, d’augmenter le nombre de créations d’entreprises, de calmer les banlieues et d’acheter la paix sociale, mais qui, à terme, détruisent l’emploi salarié ».