Archive dans mai 2025

Cotransportage, sondages… Des travailleurs invisibles pour des rémunérations dérisoires

Tous les jours ou presque, après sa journée de travail dans un hypermarché Leclerc à Haudainville (Meuse), Sophie Depuiset « fait du Shopopop » : elle récupère les commandes d’autres clients au drive, et les livre à leur domicile, contre quelques euros. Pour compléter un salaire au smic, cette mère qui élève seule ses deux enfants énumère une panoplie d’autres applications : Roamler, « où on prend des rayons de magasin en photos pour vérifier qu’un produit est là – c’est entre deux et dix euros la mission », WeWard, une application qui compte les pas en échange de bons d’achat – « or je fais entre 15 000 et 25 000 pas par jour au magasin », ou encore une coopérative en ligne « où on achète des cartes cadeaux, et, en échange, on récupère une partie de la somme ». « J’ai fait un tableau, tout ça me rapporte 500 euros par mois. »

Cotransportage (Shopopop, Yper, Tuttut), voisins relais qui stockent et dispatchent des colis à leur domicile pour 25 ou 40 centimes pièce (Pickme, Welco), travailleurs du clic qui entraînent les intelligences artificielles (Yappers) ou répondent à des sondages en ligne (Moolineo, Toluna)… Toutes ces microtâches ont deux points communs : elles paient peu, et ne relèvent d’aucun statut. A l’inverse des traditionnels Blablacar, Vinted ou Leboncoin, où l’utilisateur doit déclarer son activité en tant qu’autoentrepreneur à partir d’un certain seuil de revenus, Shopopop et consorts sont autant de trous dans la raquette : ils s’inscrivent dans une zone grise.

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A Dunkerque, les sidérurgistes d’ArcelorMittal en tête du cortège du 1er-Mai : « On attend des actes ! »

Manifestation du 1er-Mai à Dunkerque (Nord).

La fanfare joue « L’Internationale » ; un sidérurgiste en habit argenté, cagoule et tenue de protection contre les projections de métal en fusion, brandit un fumigène ; le cortège s’élance derrière deux banderoles « Industries en danger, Dunkerque résiste », « Du métal sans Mittal ». La manifestation du 1er-Mai avait une coloration particulière jeudi matin à Dunkerque (Nord), une semaine après l’annonce par ArcelorMittal France d’un plan de suppressions de 636 postes qui touche particulièrement le site de la cité portuaire, l’un des plus importants hauts-fourneaux d’Europe, où 295 postes sont menacés.

Le délégué CGT du site, Gaëtan Lecocq, avait appelé à une « mobilisation exceptionnelle ». Plus d’un millier de personnes ont répondu à son appel – trois fois plus qu’à l’ordinaire selon les habitués qui n’avaient jamais vu autant de leaders politiques, dont les trois candidats au poste de premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure, Boris Vallaud et Nicolas Mayer-Rossignol, la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, les députés Aurélie Trouvé (LFI) ou Benjamin Lucas (groupe Ecologiste et social), la députée européenne Majdouline Sbaï (Ecologiste) mais aussi le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete. Autant de signes que l’affaire prend une tournure symbolique et une dimension nationale.

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« Par le biais d’un dialogue social et technologique, il est possible de définir une éthique collective de l’utilisation de l’IA »

Imaginez un monde du travail où le salarié apporterait lui-même son outil de travail : l’ouvrier installerait sa propre machine dans l’atelier, l’employé brancherait son propre PC et fournirait son papier et ses stylos. Mieux encore, imaginez maintenant que ces mêmes salariés fassent venir sur leur lieu de travail de nouveaux collègues, travaillant pour eux ou avec eux sans même que ceux-ci aient signé un contrat de travail et que l’employeur soit vraiment au courant.

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Dystopie ? C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui avec l’introduction de l’intelligence artificielle (IA) dans nos vies professionnelles. Loin des fantasmes ou du vertige que provoquent les débats sur les perspectives d’utilisation massive des IA, de plus en plus de salariés utilisent chaque jour, concrètement, une IA générative pour les assister dans leur travail. Ici pour peaufiner une présentation, là pour créer une tâche à accomplir dans un tableur Excel, là encore pour rédiger une réponse à un client mécontent, ou trouver des informations sur un thème encore mal maîtrisé.

Nous imaginions jusque-là souvent nous faire imposer les IA, tel Elon Musk prenant le contrôle de nos vies ; la réalité est différente : les salariés maîtrisent bien plus la machine que nous le pensions. Certains y verront les travailleurs façonner eux-mêmes les chaînes qui les asserviront à la machine, j’y vois plutôt l’occasion pour eux d’améliorer leur environnement de travail. Les directions ont souvent – et pour une fois – un train de retard sur l’IA : beaucoup d’entreprises l’ont placée au cœur de leurs priorités pour 2025, sans savoir encore précisément quels sont les besoins et les cas d’usage. Elles misent sur « l’innovation spontanée », et attendent que leurs salariés remontent leurs besoins et les applications possibles de l’IA.

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Au-delà des premiers usages basiques décrits plus haut, la tendance aujourd’hui est de permettre aux IA d’exercer davantage de tâches expertes en exploitant les données des entreprises et sans les faire fuiter. En somme, que le collègue utile mais un peu trop généraliste qu’est l’IA générative aujourd’hui devienne un assistant expert de l’activité d’une entreprise ou d’un métier. En ce sens, l’IA n’est donc pas juste un sujet technique, mais bien davantage une problématique du travail.

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Les séries sous l’œil de la recherche en management : « The Office », « Engrenages »…

A Scranton (Pennsylvanie), dans les années 2000, la branche locale de l’entreprise Dunder Mifflin est spécialisée dans la vente de papier. A la manière d’un documentaire parodique, la série The Office [2005-2013, 201 épisodes] suit le quotidien de ses salariés durant neuf saisons, à « ras de moquette ».

On y trouve notamment Jim, un commercial désabusé qui, décrivant son métier, conclut : « Je m’ennuie rien que d’en parler. » Il y a aussi Michael, le manageur, qui multiplie maladroitement les initiatives (remises de trophées, goûters d’anniversaire…) pour favoriser la cohésion interne, et, surtout, gagner l’affection de ses employés. Au fil des épisodes se dessinent un collectif de travail et toute la complexité de ses interactions, faites de liens et de tensions.

La série, qui place la question managériale au cœur de sa narration, a connu un vif succès. Au point de devenir, comme d’autres productions appréciées du public (Breaking Bad, Engrenages…), un objet d’étude pour la recherche scientifique. Que donnent-elles à voir du management ? En quoi sont-elles « bonnes à penser » et permettent-elles d’enrichir la connaissance du grand public, mais aussi des chercheurs, sur le monde de l’entreprise et de la gestion d’équipe ? Leur contenu et leur apport ont notamment été analysés lors d’un colloque, « Management en séries », en 2023, à l’université Gustave-Eiffel. Une partie des actes a été publiée dans la revue Saison, et ces contributions ont abouti à un ouvrage, « Management en séries – Saison 1 », publié en février 2025 aux éditions EMS.

Les participants mettent en premier lieu en lumière la capacité de ces séries à offrir une « lecture critique » des pratiques gestionnaires et, par ricochet, à « construire une culture politique populaire ».

Un rôle d’aiguillon

C’est le cas par exemple d’Engrenages qui va, dans la saison 7, « fai[re] entrer le spectateur dans la boîte noire de la politique hospitalière », explique Jean-Paul Domin, professeur en sciences économiques à l’université de Reims Champagne-Ardenne. Elle met en scène une « dictature du chiffre » et une « taylorisation de l’hôpital public » qui fait écho aux mutations managériales du secteur en France, soulignant en particulier leurs conséquences délétères sur les conditions de travail du personnel et sur les soins apportés aux patients.

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